«Après une journée de ramassage d’afyache (fruit de l’arganier), j’ai les mains en sang. Il m’arrive même de perdre mes ongles».
Ce témoignage d’une femme d’une coopérative de Tiznit, région d’Agadir, illustre les dures conditions dans lesquelles travaillent celles qui fabriquent l’huile d’argan. Et là n’est pas le pire : le ramassage de ce fruit se fait en été dans des régions rocailleuses où la température peut atteindre les 50 °C et, surtout, c'est une activité non rémunérée. «Les femmes qui travaillent dans les coopératives de production d’huile d’argan ne sont payées qu’au kilogramme de fruits concassés à près de 30 DH, ce qui leur fait un salaire moyen entre
1 000 et 2 000 DH», assure Fadma Aït Mouhoucht, conseillère en développement.
Ainsi, celles qui fabriquent une huile vendue jusqu’à 250 DH le litre et 20 euros à l’export ne perçoivent même pas le SMIG. Une injustice reconnue par l’ensemble des opérateurs de la filière d’argan. «Les ayants droit prennent très peu de la valeur ajoutée, ce sont les valorisateurs qui en bénéficient le plus», avait notamment déclaré Mohamed Badraoui, directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) lors du congrès international consacré à l’arganier à Agadir du 9 au 11 décembre. Par «valorisateurs», il faut comprendre les spéculateurs qui exercent des pressions afin que l’huile leur soit vendue au plus bas prix comme l’atteste la représentante de l’Union des coopératives féminines pour la commercialisation des produits agricoles réparties entre Taroudant, Chtouka-Aît Baha, Tiznit, Souila et Agadir.
La protection des ayants droit
Les ayants droit ce sont les familles auxquelles le dahir royal de 1917 permet de jouir de l’usufruit des arganeraies. Afin de les protéger de la rapacité des spéculateurs, des associations des ayants droit ont été mises sur pied et actuellement chapeautés par la fédération nationale qui couvre l’ensemble des provinces qui produisent l’huile d’argan : «Celles qui souffrent le plus et qui ignorent leur droit ce sont les femmes des coopératives. Dans le cadre du contrat programme, des centres de collecte du fruit entreront en fonction au début de 2014. Afin que ces femmes ne soient pas tentées de brader leur fruit au plus bas prix, ces centres leur verseront des avances sur la collecte», à en croire Atbir Ahmed, président des ayants droit des usagers de l’arganier de Taroudant. En attendant que ces centres voient effectivement le jour et que les femmes ne soient plus sous-payées, il n’est pas inopportun de s’interroger sur les effets de l’adoption, en 2009, de la loi portant l'indication géographique d'huile d’Argan.
La réponse de Mohamed Ourais, président de l'Association marocaine de l'indication géographique d'huile d'argan (Amigha), est des plus mitigées : «S’il est vrai que nous avons fédéré les producteurs au sein de 22 coopératives dotées d’une unité industrielle, beaucoup d’efforts restent à faire afin de coordonner les interventions des différentes administrations». Pour Mohamed Ourais, la meilleure preuve est que l’huile d’argan continue à être exportée en vrac dans des fûts de 100 litres en violation de la loi sur l’Indication protégée selon laquelle cette huile ne doit être commercialisée que dans des bouteilles d’un litre et d’un litre et demi portant expressément la notion «huile d’argan du Maroc. Indication géographique protégée» En dépit de cette loi, poursuit Mohamed Ouraïs, cette huile est exportée sous l’appellation huile végétale ce qui permet de contourner la loi : «70% de la production annuelle, estimée à 4 000 tonnes d’huile sont exportés en vrac et non en conditionnés», donc vendus à un prix en deçà de sa véritable valeur. «Je suis persuadé que le respect de la loi sur l’Indication géographie protégée permettra aux familles d’avoir un niveau de vie décent», conclut M. Ouraïs.
