Que reflète le comportement de quelqu'un soi-disant «amoureux» de l'argent ? Selon le psychosociologue Mouhcine Benzakour, «l’argent fait le bonheur dans l’imaginaire ! Ce n’est pas la réalité, car ce dernier crée la puissance et la volonté». Pour le spécialiste, l’important est de «soulever les questions suivantes : mes parents manquaient-ils d’argent ? Ai-je envie d'assurer ma sécurité financière ? Comment mes parents se comportaient-ils avec l’argent ?» expose-t-il. Avant de reprendre, «Il faut savoir aussi que le problème peut être présent dans les couples, celui qui gagne le plus peut être tenté d’enfermer l’autre.
L’argent aurait une représentation très variable suivant le type de personne. Ainsi, il est illimité dans le désir, mais ne l’est pas dans la satisfaction et il serait un miroir sur lequel on renvoie tous les désirs».
Il y a quelques jours aux alentours de Béni Mellal, un «amoureux de l’argent» a sévi en tuant son frère pour une question d’héritage, apprend-on de source policière. L’homme a asséné un coup de couteau à son frère cadet et blessé un deuxième à la suite d’un conflit sur les biens hérités. Le tueur présumé se serait engagé dans une altercation verbale avec ses deux frères, avant de poignarder mortellement son frère cadet au niveau du cœur. L’homme a ensuite asséné un coup de couteau à son deuxième frère au niveau du ventre, précise la même source. Voilà comment on peut en arriver au pire, pour une question d’argent.
Envie de richesse
À quelques kilomètres de là, à Marrakech, une jeune étudiante en commerce, se tord de remords. Dina, âgée de 24 ans, avoue être attirée par l’argent. «Je pense que mon unique défaut est cette envie de richesse», confie-t-elle. «Je suis attirée par cela même si je ne suis pas dans le besoin», indique Dina. «Comme toute jeune fille de mon âge, j'aimerais bien me marier aussitôt que j’aurai fini mes études. Mais il est vrai que mon véritable rêve est de devenir riche. J’ai alors toujours pensé que sortir avec un homme très aisé serait la solution de facilité», avoue la jeune femme. Elle explique qu'il y a quelques mois, elle a rencontré Adil, un jeune homme qui ne l'a pas attirée aux premiers abords. Elle l'a rejetée plusieurs fois, avant de découvrir qu'il était très riche. Alors, elle l'a fréquenté sans hésiter.
«L'argent l’a rendu beau à mes yeux. Avec le temps, j'ai appris à le connaitre et il s’avère que c’est une personne vraiment adorable, galante, et prévenante. D’ailleurs, mes sœurs disent de lui que c'est l’homme parfait», souligne Dina. Mais alors qu'elle a côtoyé Adil par cupidité, Dina avoue s’être vraiment attachée à lui et ne sait plus que faire. «Notre relation devient sérieuse, mais le problème c'est que je me sens vraiment mal puisque la raison pour laquelle je l'ai choisi au début était pour m'assurer un avenir. Maintenant, je suis perdue, je me dis que je ne le mérite pas» !
Sécurité et indépendance
Et Dina n’est pas la seule personne à avoir pensé à son statut social en fréquentant un nouvel homme. En effet, on note de plus en plus que des filles ou garçons sont plus attirés par ce que la personne convoitée a dans son portefeuille et non dans sa tête. D’ailleurs, cette mentalité ne serait pas limitée comme le confirme le psychosociologue Mouhcine Benzakour.
D’après ses propos, «pour 65% des femmes marocaines, l'argent représente la sécurité, l’indépendance et l’autonomie. Pourtant l'argent n'a aucune valeur propre», souligne-t-il. Et de citer Jacques Lacan qui définit l’argent «en tant que signifiant» (Le signifiant est un concept qui indique que ce dernier est l’empreinte psychique d'un son et l'une des deux parties du signe linguistique. L'autre étant le signifié renvoyant au concept. Et le signifiant, prime sur le signifié, ndlr). Le psychosociologue explique que l’argent «permet d'accéder à son désir par son glissement dans la chaîne du langage. Quand le sujet le possède et le garde, il répond de la valeur et de la puissance qu'il a réellement à l'intérieur de lui. En tant que signifiant, il correspond à un manque. Le figer arrête la course désirante et conduit à l'esclavage».
Questions à Mouhcine Benzakour, psychosociologue
«Pour “régler son compte à l'argent”, il faut savoir ce pour quoi on veut le gagner»
Comment reconnaît-on quelqu'un de dépendant à l'argent ?
Les individus souffrant de troubles névrotiques avec l’argent ont tendance à se positionner en victime par rapport à autrui. Mais en réalité, ce sont eux qui créent des problèmes aux autres. J’y vois une certaine immaturité et une grande difficulté à s’extraire de l’enfance. C’est pourquoi la confrontation à des règles, à des lois, peut se révéler très «maturante» pour des sujets en forte demande de repères. Ce sont aussi des êtres vulnérables, qui ont souvent traversé des périodes délicates au cours de leur vie (comme des ruptures ou des abandons), sachant qu'aucun de nous n’est à l’abri : à partir du moment où nous ressentons des émotions, nous sommes tous des dépendants en puissance.
On dit que l'argent ne fait pas le bonheur pourtant nombreux sont ceux qui peuvent tout faire pour devenir riches. Pourquoi ?
Dans notre imaginaire où tout semble réalisable, tout posséder, ne rien perdre... Vouloir tout acheter y compris les autres est égale à une volonté de puissance : l'argent nous renvoie à toutes nos frustrations et à toutes nos peurs. Vouloir combler un manque, en vouloir toujours plus, acquérir toujours plus, ne pas se donner de limites dans le désir de possession et ne jamais pouvoir l'assouvir...
L'argent fait référence à la sécurité liée à l'enfance, il représente tous nos manques, nos frustrations, et ceux que nos parents nous ont transmis. Pour «régler son compte à l'argent», il faut savoir ce pour quoi on veut gagner de l'argent, comprendre pourquoi on choisit telle ou telle profession. Il est aussi nécessaire de mener une vraie réflexion approfondie sur notre propre valeur, car être conscient de ce que l'on vaut, connaître sa place, c'est aussi reconnaître à l'argent une valeur juste : celle qu'il est juste une valeur.
Est-ce que cette idée est plus ancrée dans la tête des Marocains que chez les autres ?
L'idée de se sentir en sécurité est universelle, mais croire que l'argent fait le bonheur représente une peur, un manque, de l'insatisfaction, de la dépendance… C'est une peur qui peut toucher n'importe qui, qu'il soit marocain ou non, femme ou homme, célibataire ou marié(e).