Devant un parterre de chercheurs en sciences politiques et en sociologie, la jeune Amel Boubekeur a passé au peigne fin la problématique épineuse de «la transformation de l’Islam politique au Maghreb». C’était lors d’une rencontre organisée, jeudi dernier, en partenariat avec le Centre de recherches Links, le département de droit public et des sciences politiques de la Faculté de droit de Casablanca, l’Institut français de Casablanca et le Centre Jacques Berque. Le thème proposé reste un sujet qu’Amel Boubekeur, chercheuse associée au Centre Jacques Berque à Rabat, maitrise bien, sachant que ses recherches portent sur les scènes politiques au Maghreb, les politiques étrangères euro-arabes et l’Islam en Occident. L’actualité et l’importance du thème choisi expliquent en grande partie l’intérêt qu’il a suscité au campus de la Faculté de droit de Casablanca auprès des enseignants chercheurs et des étudiants ainsi qu’auprès des directeurs de différents instituts de recherche ayant assisté à la rencontre. Les organisateurs voulaient savoir à travers ce débat dans quelle mesure les transitions politiques en cours au Maroc, en Algérie et en Tunisie ont eu un quelconque impact sur les mouvements salafistes et les partis islamistes de ces pays ? Car ces derniers, qui ont pratiqué l’opposition durant des années, sont confrontés à l’épreuve du pouvoir. Et partant, ils doivent reformuler les objectifs «révolutionnaires» qui étaient les leurs avant d’être aux commandes.
Lors des débats, les participants ont souligné que pour les islamistes, il s’agit aujourd’hui de faire de la politique participative et non plus l’opposition et la critique. «Il s’agit aussi d’établir des programmes qui soient capables de s’adjoindre à un projet de société global plutôt que de se contenter, simplement, de dénoncer le pouvoir central. L’enjeu majeur de l’islam politique aujourd’hui consiste à voir s'il y a la possibilité ou non de réinventer de nouveaux modes de gouvernance», explique Amel Boubekeur. Cependant, la chercheuse tient à apporter des précisions pour corriger certaines «idées préconçues». Selon elle, concernant le rôle des partis islamistes dans un contexte post-autoritaire en Tunisie et dans un contexte transitionnel en Algérie et au Maroc, il y a des idées préconçues qui persistent. Depuis la victoire des islamistes, une première interprétation a prévalu : c’est qu’il s’agit d’une transition islamiste. «En ce sens que ce sont les mouvements contestataires du Printemps qui ont amené les islamistes au pouvoir.
C’est une première idée préconçue que l’on retrouve, alors que l’on constate que la temporalité des manifestations est différente de la victoire des partis islamistes», soutient Amel Boubekeur. S’inscrivant en porte à faux par rapport à cette idée, elle a montré que les manifestations du Printemps arabe sont héritières d’un certain nombre de luttes antécédentes. «On a vu aussi que les manifestants ne sont pas descendus dans la rue uniquement sur injonction des islamistes. Donc, l’idée consistant à dire que ces mouvements sont à l'instigation des islamistes n’est pas fondée», affirme-t-elle. Pour étayer davantage ses dires, la chercheuse avance un deuxième argument : pour les islamistes, la victoire c’est d’islamiser la société, de prendre possession des institutions. Alors que dans les faits, on constate que cela ne s’est pas passé comme ça. D’ailleurs, dans les manifestations du Printemps arabe, il y avait un rejet de toute appartenance partisane, notamment islamiste. De la sorte, la transition islamiste en tant que telle n’est pas celle qui a eu lieu. Aussi, la culture de réforme et de changement dans les idées islamistes est différente de la culture de changement qui a permis aux partis islamistes d’arriver au pouvoir», explique A. Boubekeur.
