Il reste cependant une forte amertume quant aux droits civiques des MRE encore en pointillé, une amertume liée à l'absence de représentativité et de participation à la vie politique, sociale et économique du pays, alors même que la Constitution, dans ses articles 16, 17, 18, 30 et 163, les assure d’une participation réelle et effective à la construction du Maroc de demain.
On retiendra la déclaration du ministre qui souligne dans cet entretien que «Le plan d’action gouvernemental prévoit pour 2014, au plus tard, la sortie des textes réglementant cet aspect de la participation, dans le cadre de la loi électorale actuellement à l’étude».
D’autres questions devront être suivies avec attention et vigilance : l’avenir du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) qui est un acquis, mais qui doit revoir son fonctionnement pour devenir un réel espace de réflexion et de prospective qui accompagne les formidables mutations que connait l’immigration marocaine.
Des mutations qu’évoque pour nous le ministre délégué auprès du Chef du gouvernement chargé des MRE, Abdellatif Maâzouz.
Le Matin : Quels sont les chantiers stratégiques qui sont menés actuellement par votre département ?
Abdellatif Maâzouz : Notre pays a développé, depuis plusieurs années, une politique publique pour la gestion des affaires de notre communauté établie à l‘étranger. Cette politique a été couronnée en 1990 par la création d’un ministère dédié, puis de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger. Autre particularité qui témoigne de l’intérêt porté aux MRE, le Maroc est l’un des rares pays à avoir un Conseil national de ses résidents à l’étranger et à avoir dédié cinq articles de sa Constitution à nos concitoyens résidant à l’étranger. Aussi, l’expérience marocaine dans ce domaine est citée en exemple dans toutes les rencontres internationales portant sur la gestion des affaires des communautés établies à l’étranger. Dans ce même ordre d’idées, et pour renforcer cet acquis, et sans arrêter les activités initiées par mes prédécesseurs, nous avons mis l’accent, dès le début de ce mandat, sur de nouveaux chantiers en vue de renforcer l’efficience de la politique publique en matière d’émigration.
Ainsi, et partant des orientations royales contenues dans le discours du 20 août 2012, et avec nos partenaires directement concernés, nous nous sommes penchés sur la définition d’une stratégie nationale qui permet à notre pays de se doter d’un référentiel stratégique à l’horizon 2030 en faveur des Marocains du monde (MDM). L’objectif de ce travail est de définir les principales actions à prendre par l’État marocain, sur les prochaines années, mais aussi à plus long terme, pour répondre à la grande évolution que connaît et connaitrait, encore plus dans le futur, la population des Marocains du monde, aux flux et aux politiques migratoires dans les pays de résidence, ainsi qu'aux besoins en compétences de l’économie marocaine. Nous conduisons ce travail conjointement avec l’Institut royal des études stratégiques, le Conseil de la Communauté marocaine à l’étranger, La Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, en concertation avec les autres départements concernés.
Nous avons aussi accordé une grande importance à l’organisation du ministère. Un nouvel organigramme est maintenant prêt, en remplacement de l’organigramme effectif depuis la création du ministère. En parallèle, l’action a aussi porté sur l’amélioration de la coordination et de la synergie avec les intervenants et les acteurs publics et associatifs. À titre d’illustration, nous avons établi un plan d’action commun avec la Fondation Hassan II pour les MRE. Nous avons aussi introduit une approche transparente et structurante dans la sélection et l’appui des projets portés par les associations de Marocains du monde. Enfin, un travail important a été engagé depuis 2012 pour le développement des partenariats avec certains pays de résidence et des organisations internationales sur des projets concernant la vie des MDM. Je tiens à cette occasion à remercier les équipes de la Banque mondiale et de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) pour leur appui technique et leurs encouragements.
Un milliard de dirhams dédié en 2012 aux questions des MRE
Au vu des chantiers importants que mène votre département et qu’il devra mener à l’avenir, le budget qui vous est alloué est faible. Ce constat a été fait par le Chef du gouvernement lors de sa dernière intervention au Parlement. Un mot sur ce budget et sa répartition ?
Les ambitions du Maroc pour ses MDM sont de plus en plus importantes. Les moyens déployés en leur faveur dépassent de très loin le budget de mon département (Fondation Hassan II, CCME, DACS au MAEC, Fondation Mohammed V pour la solidarité, ministères des Habous et affaires islamiques, de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Santé...). Nous avons estimé à près d’un milliard de dirhams les ressources dédiées en 2012 aux questions des MRE. Le ministère chargé des MRE a également vu son budget multiplié par dix entre deux législatures. Toutefois, nous estimons que les moyens actuellement alloués à ce ministère doivent évoluer au rythme des nombreuses missions qui lui sont dévolues, des effectifs et de la répartition géographique des MDM, de la diversité et de la multitude de leurs attentes, etc. D’autant que les aspects que nous traitons demandent des investissements soutenus à moyen et long terme : encadrement culturel, activités à l’étranger pour le maintien des liens identitaires avec le pays, assistance sociale pour les MDM démunis ou en situation précaire, mobilisation et appui aux acteurs relais tels que les associations... En 2013, nous avons dû renoncer à 30 millions de dirhams de notre budget d’investissement dans le cadre de la solidarité gouvernementale pour la réduction du déficit budgétaire.
La crise profonde qui touche actuellement les pays européens où résident nos MDM a-t-elle impacté leur séjour estival au Maroc ? Peut-on faire une première évaluation ?
Du début juin au début août 2013, le nombre de MDM entrant au Maroc a dépassé 1,3 million de personnes, soit presque le même nombre que l’an dernier. Mais plus on s’approche de la fin du mois du ramadan, plus le nombre d’arrivées augmente. D'ailleurs, les prévisions, basées sur le nombre de réservations et sur une étude du comportement de nos estivants de l’étranger, accordant généralement une grande préférence au mois d’août, prédisent un nombre au moins égal à celui de l’an dernier. Nous leur souhaitons d’excellentes vacances parmi les leurs, dans leur pays. L’État marocain a tout fait pour que nos compatriotes de l’étranger en reviennent avec grande satisfaction.
Quelle est votre analyse sur la question de la participation des MDM à la vie politique ?
La participation des MDM à la vie politique nationale est un droit qui leur est acquis. Il est l’expression manifeste de leur pleine citoyenneté marocaine. Il leur est officiellement reconnu par plusieurs articles de la Constitution de juillet 2011 et rappelé par le discours royal du 20 août 2012. La mise en application de ce droit passe par plusieurs étapes, à l’instar d’un bon nombre de textes d’application de certaines dispositions de la nouvelle Constitution. Le plan d’action gouvernemental prévoit pour 2014, au plus tard, la sortie des textes réglementant cet aspect de la participation, dans le cadre de la loi électorale actuellement à l’étude. Par ailleurs, des consultations ont été lancées pour organiser et encadrer la représentativité de la composante MDM au sein des instances consultatives inventoriées par la Constitution.
Être au plus près des réalités et des préoccupations des MRE
On parle beaucoup de politique de proximité dans les pays d’accueil : au-delà de la mise à disposition de cette communauté marocaine de quelque 576 instituteurs ainsi que de 300 imams et prédicateurs, comme l’a indiqué le Chef du gouvernement au Parlement, quelle est la politique menée dans ce sens par votre département ?
Gérer les affaires d’une population de près de 5 millions d’individus répartie sur les cinq continents ne peut se faire convenablement sans un travail de proximité. Notre démarche a été d’être toujours au plus près des réalités et des préoccupations de nos concitoyens à l’étranger. Aller à leur rencontre là où ils résident, ou dans les régions où ils se retrouvent en vacances au Maroc, s’entretenir avec les responsables diplomatiques et consulaires à leur service, recueillir les avis des associations qui les encadrent, étudier leurs préoccupations et trouver des solutions à leurs attentes avec les autorités locales et nationales des pays de résidence ; c’est ce que nous avons fait tout au long de cette période. Plus de cinquante rencontres en 15 mois, ce n’est pas une tâche aisée. Elle exige un véritable engagement et demande une préparation et une exécution des plus minutieuses pour optimiser chaque déplacement à l’étranger. Quand on fait la comptabilité des problèmes résolus, des avancées obtenues, des perspectives ouvertes pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de nos concitoyens expatriés par le biais des contacts directs, il y a lieu d’être satisfait, même si nous savons que le chantier est encore immense. Permettez-moi de saisir cette occasion pour féliciter le corps diplomatique marocain et les autorités territoriales marocaines pour leur professionnalisme et les remercier pour toutes les facilitations qu’ils nous ont apportées lors de nos différentes visites à l’étranger ou dans les différentes provinces et préfectures du Royaume.
Il n’y a pas de retour massif des MRE
On évoque des milliers de retours définitifs de nos MDM : peut-on avoir une cartographie de ces retours par pays ?
D’abord, personne ne peut prétendre qu’il y a un retour massif de MDM et encore moins avancer pour l’instant un chiffre crédible dans ce sens. On a tendance à oublier que bon nombre de nos concitoyens optent, au terme de leur vie active, pour une retraite méritée au pays natal. Cela fait partie du projet migratoire, notamment des premières générations. Donc des retours définitifs, il y en a et il y en aura toujours tant que resteront vivaces les liens qui rattachent les Marocains de l’étranger à leur pays d’origine. Ceci étant, il y a des retours qui ne sont pas choisis. En temps de crise, comme cela a été le cas ces dernières années, bon nombre de nos concitoyens ont été forcés de rentrer au pays. Momentanément ou définitivement ? Dans quelles dimensions ? Avec quelle répartition dans les régions ? Ce sont là des questions auxquelles nos moyens actuels d’investigation ne sont pas en mesure de répondre.
Toutefois, nous savons qu’il y a quelques retours de tout petits groupes, de manière très diffuse à travers le territoire, et qui ne soulèvent, en général, que quelques difficultés d’insertion traitées individuellement. Nous veillons, avec les administrations et les organismes concernés à faire face au besoin d’éducation des enfants, à la question du logement (convention avec Al Omrane et différé des crédits par les banques), aux soins des malades nécessiteux et à l’aide à la réinsertion professionnelle à travers des activités génératrices de revenus.
Y a-t-il une politique de soutien d’orientation de ces MDM vers d’autres destinations, notamment vers les pays du Golfe ?
Nos équipes travaillent activement à la mise en place de deux programmes parallèles : l’un, celui dont je viens de parler, concernant la réinsertion au Maroc, et l’autre s’intéresse au redéploiement à l’international. Je crois en la mobilité professionnelle à l'échelle mondiale. Si les traditionnels marchés du travail européens sont pour l’instant saturés, notamment pour certaines activités, d'autres bassins d'emploi – ceux des pays émergents et d’autres secteurs d’activité (services aux personnes, TIC, tourisme…) – sont très demandeurs de main-d’œuvre et de compétences.
De ce point de vue, je reste optimiste. Lors de la tournée que j’ai effectuée au début de l’année aux pays du Golfe, mes interlocuteurs ont montré beaucoup d'intérêt pour les profils marocains. Dans les pays d’Europe du Nord, Scandinavie et Allemagne, l’horizon est également prometteur. D’ailleurs, nous sommes en train de mettre au point avec les partenaires allemands, avec l’appui de la Banque mondiale, un projet pilote pour encourager la mobilité vers ce pays qui garde une très bonne impression des Marocains qui y travaillent depuis cinquante ans.
Vous avez organisé plusieurs rencontres en Amérique du Nord et en Europe sur le thème de la mobilisation des compétences. Un mot sur ce programme ?
Le programme de mobilisation des compétences marocaines résidant à l'étranger consiste à faire appel aux individualités possédant de l’expertise, de l’expérience et du savoir-faire, et qui sont prêtes à les mettre à contribution en faveur du développement du Maroc de manière ponctuelle ou pérenne. L’intérêt pour ce programme se justifie par un contexte extrêmement favorable caractérisé par l’existence de profils hautement qualifiés parmi les Marocains du monde – plus de 400 000 MDM ont un niveau Bac+5 et plus, et autant de Marocains sont très qualifiés dans de nombreux métiers de par leurs acquis professionnels – et par l’existence de nombreux plans sectoriels engagés au Maroc demandeurs de ce type de participation.
C’est sur la base de ces constats que nous avons fondé les objectifs de ce programme, à savoir : d'abord, offrir un cadre à ces compétences pour les informer sur les opportunités de leur implication, leur permettre de développer des partenariats avec les acteurs publics et privés marocains, ensuite inscrire ces partenariats dans le cadre de la coopération bilatérale et multilatérale et accompagner les porteurs de projets.
Cette approche a été mise en œuvre par la constitution de réseaux de compétences, qu’ils soient géographiques (France, Allemagne, États-Unis, Canada…) ou thématiques (réseau des Compétences médicales marocaines du monde, réseau des professeurs et des chercheurs…).
Parallèlement à la mise en œuvre de cette approche, ces talents disposent aujourd’hui de la plateforme «Maghribcom» qui leur sert de cadre formel de mise en circulation de l’information, en termes d’opportunités d’affaires, de collaboration ponctuelle, d’investissement ou d’emploi, et de tremplin pour établir des partenariats «gagnant-gagnant» avec les opérateurs économiques au Maroc, voire dans d’autres pays (www.maghribcom.gov.ma).
Quels sont les chantiers qui restent à mener dans votre département et que vous n’avez pas eu le temps d’initier ou d’achever ?
Vous savez, nous parlons de près de 5 millions de Marocains, très dynamiques, porteurs de changements et de développement à leur pays. Leurs contributions, comme leurs attentes, sont loin d’être épuisées.
C’est un chantier constamment ouvert. Il est important de tout mobiliser autour de la vision nationale exprimée par Sa Majesté le Roi et d’opérationnaliser le plan d’action qui découlera de notre stratégie à l’horizon 2030. Le MDM est au centre de cette stratégie. Il est important d’encadrer son départ et de s’occuper de son retour, au même titre que son séjour à l’étranger.
Qu'est-ce qui vous aura le plus marqué ces dix-huit mois que vous avez passés à la tête de ce ministère ?
La richesse humaine de la population des MDM, sa générosité, son amour pour sa Patrie et son Roi et l’excellente image dont elle jouit dans les pays de résidence.
