Le Matin : «La Lune rouge», d’où vient le choix de ce titre pour votre film ?
Hassan Benjelloun : D’abord, le film raconte l’histoire de ce compositeur aveugle, considéré comme une figure de proue de la musique moderne au Maroc et dans le monde arabe. Parmi ses œuvres les plus connues figure «La Lune rouge», que Abdelhadi Belkhayat a interprétée et portée très haut par sa belle voix. C’est un clin d’œil à l’œuvre de ce don du ciel, qui est lui-même une «lune rouge» dans l’histoire de l’art au Maroc, particulièrement la musique moderne. C’est un hommage que je rends à travers ce film à Abdessalam Amer, en même temps, c'est un retour sur son parcours riche à plus d’un titre.
Le film raconte l’histoire de Abdessalem Amer, mais à travers lui, c’est aussi l’histoire du Maroc de 1939 à 1979…
Oui, effectivement ! Abdessalam Amer est à l’image du Maroc pendant 40 ans, de 1939 à 1979, dans ses infimes détails. C’est l’ambiance de l’époque, la société marocaine avant et après l’indépendance du pays en 1956. C’était les années aussi où Abdessalem Amer a conquis le cœur de plus d’un Marocain notamment par la profondeur de ses compositions originales et touchantes «Qissat Achaouk» (Histoire d’une passion), «Al Qamar Al Ahmar» (La Lune rouge), Habibati (Mon Amour), entre autres chefs-d'œuvre du regretté. C’est dire aussi que les meilleures chansons de la musique marocaine moderne sont des compositions du défunt. Le film se veut surtout une biographie romancée de ce compositeur, homme d’exception, et une exposition des contraintes auxquelles il a su faire face. Malgré l’infirmité, la maladie, le manque de moyens, les mille et une intrigues, il a réussi à percer et à s’affirmer. Sa foi, son esprit de défi et son amour pour la création artistique font foi d’une œuvre qui ne prend jamais de rides et ne subit pas l’usure du temps.
Comment avez-vous procédé au casting pour ce long métrage ?
À vrai dire, le casting était très difficile. Il m’a fallu chercher un compositeur qui a la musique dans la peau et qui peut camper ce rôle assez complexe. Mais après avoir longtemps hésité entre plusieurs noms, j’ai fini par choisir le grand artiste Abdelfettah Ngadi, qui s’invite d’ailleurs pour la première fois au grand écran. D’autant plus que ce compositeur est aveugle comme le fut Abdessalem Amer. Et dès les premières séquences filmées, je me suis bien rendu compte que j’avais fait le bon choix. Abdelfettah Ngadi a campé pile-poil le rôle du défunt. Tant mieux !
Pourriez-vous nous parler des conditions du tournage du film ?
Nous avons tourné le film dans des conditions très difficiles. D’abord pour des raisons inhérentes au manque de moyens. Le budget était vraiment très restreint. Le film devait être coproduit, mais finalement cela n'a pas été possible. Puis, comme nous avons tourné plusieurs séquences en Égypte en pleins soulèvements, ce n’était pas du tout facile. Nous avons eu beaucoup de mal à travailler dans les conditions d’instabilité que connaissait le pays pendant tout ce temps-là. Pourtant, c’était un pari gagné. Et le film a quand même vu le jour après plusieurs reports de tournage depuis 2010, à cause du budget qui ne suffisait pas vraiment pour la réalisation d’un film de ce genre. Cela nécessitait plus de 10 millions de dirhams.
Justement, en évoquant cette histoire du genre, «La Lune rouge» est-il une continuité ou une rupture dans votre filmographie riche ?
Je dirai plutôt que ce film s’inscrit dans une logique de continuité vis-à-vis de mon parcours de réalisateur. C’est le même cachet, quoique d’un film à l’autre, j’essaie de renouveler mon style.