Parmi ces 5 projets sélectionnés, le projet du Pont Hassan II a été choisi, cet ouvrage d’art qui se distingue par son architecture et par son insertion dans le site est aussi un bien public qui fait l’admiration des citoyens des deux rives et des touristes. Ce pont, dont les travaux ont été lancés le 23 décembre 2007, a été inauguré par le Souverain le 18 mai 2011 et mis en service le même jour.
Le Prix Aga Khan d’architecture a pour «objectif d’identifier et d’aider les concepts de construction qui répondent avec succès aux besoins et aspirations des communautés dans lesquelles les musulmans ont une présence significative. Le prix récompense une architecture d’excellence qui permette en outre d’améliorer la qualité de vie en général. Il a lieu tous les 3 ans». Le jury se compose de membres éminents du domaine de l’architecture, parmi lesquels on compte cette année l‘architecte chinois Wang Shu, lauréat du Prix Pritzker en 2012. Les neufs membres du jury pour ce cycle 2010-2013 étaient : David Adjaye, architecte (Royaume-Uni), Howayda al-Harithy, professeur à l’Université américaine de Beyrouth (Liban), Michel Desvigne, paysagiste (France), Mahmood Mamdani, professeur à l’Institut Makerere pour la recherche sociale (Ouganda), Kamil Merican, architecte (Malaisie), Toshiko Mori, architecte (États-Unis), Shahzia Sikander, artiste (États-Unis), Murat Tabanlioglu, architecte (Turquie) et Wang Shu, architecte (Chine). Le prix sera décerné le 6 septembre à Lisbonne par le Prince Aga Khan et le Président du Portugal.
Ce prix aura une résonance particulière sur l’ensemble des projets de l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregrag qui entre dans une phase nouvelle. Les grands projets d’infrastructure que nous décrit Lemghari Essakl : tunnel, tramway, pont, marina... ont bénéficié d’un moment particulier : c’est la rencontre de besoins affirmés, de moyens d’exécution, d’un plan d’action et d’une volonté sans faille pour s’adapter à un monde qui change rapidement. Cet aménagement était devenu «une impérieuse nécessité», pour préserver du chaos un territoire hautement symbolique. Ce grand projet qui intègre plusieurs dimensions est un projet stratégique pour la région, c’est aussi un projet du temps long qui requiert des ressources financières importantes. Aujourd’hui, l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg entame une nouvelle phase de son développement, une phase qu’il faudra maitriser. Maintenant, nous explique M. Essakl, le déclic, c’est le marché qui a besoin d’une vitalité économique. Il faut donc continuer, maintenir l’effort, car nous sommes dans des projets de temps longs, mais les projets sont là». À preuve le Pont Hassan II, un ouvrage d’art qui suscite beaucoup d’admiration.
Ce choix est aussi d’excellent augure pour un grand événement qui se tiendra dans moins d’un mois dans la capitale : le Sommet mondial des cités qui est organisé tous les 3 ans se tiendra pour la première fois en terre africaine à Rabat. Le IVe congrès mondial de CGLU (Cités et gouvernements locaux unis) aura lieu du 1er au 4 octobre, coïncidant avec le centenaire du mouvement municipal international, né en 1913. Quelque 4 000 dirigeants locaux et régionaux, élus et hauts fonctionnaires, ministres, représentants d'ONG et Chefs d’État venus du monde entier vont débattre sur le thème «Imaginer la société, construire la démocratie», traitant de questions concrètes qui touchent la qualité de vie et l’accès aux services essentiels, la nouvelle gouvernance, la péréquation et la solidarité entre les territoires, la décentralisation, la démocratie participative…
Le Matin : C’est en 2006 qu’il a été décidé, compte tenu de l’ampleur du projet de l’aménagement du Bouregreg et de sa charge symbolique et historique, de confier à un opérateur unique de sa conduite. Ainsi est née l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg, un établissement public que vous dirigez. Un mot sur cette expérience ?
Lamghari Essakl : C’est un modèle que nous avons «osé» mettre en œuvre sous forme d’expérience et qui a donné des résultats. Il est important aujourd’hui de faire un bilan d’étape. L’établissement public avait pour vocation première de protéger un territoire qui avait connu des évolutions et des agressions non contrôlées, comme le rejet d’eaux usées domestiques et industrielles qui ont impacté son devenir. La vallée du Bouregreg est connue comme étant un site écologique et historique, certains ont parlé à juste titre de l’histoire des dégradations qui n’ont pas eu lieu grâce au travail de préservation et d’assainissement qui a été fait sur ce territoire. Un territoire important qui fait près de 60% d’une ville comme Paris intra-muros, soit 105 km², qui part de l’embouchure jusqu’au barrage Sidi Mohammed Benabdellah, mais qui au cours du temps n’avait pas eu la chance d’être protégé. Le site, fortement menacé et altéré par de multiples agressions (décharges d’ordure, eaux usées, exploitations de carrières, quartiers clandestins), a été protégé contre les extensions de l’urbanisation accélérée et anarchique qui menace les villes du monde entier. Au Maroc, il y a eu un développement, une prolifération importante d’habitats sociaux et de «poches anarchiques» urbaines créées sans autorisation sur des terrains non lotis, c’est-à-dire non viabilisés. À Salé, la ville est passée de 250 000 à 850 000 habitants, une évolution marquée par beaucoup de nuisances, mais aussi par un déficit en équipements collectifs, en infrastructures et en services publics.
«Nous sommes une agence d’aménagement»
Vous avez parlé de modèle, sur quels principes repose ce modèle ?
Notre ambition est portée par des fondamentaux : le premier c’est la sauvegarde écologique, une impérieuse nécessité en raison des dégradations que j’ai évoquées, le respect du patrimoine historique à haute portée symbolique, car la vallée est un site exceptionnel par ses monuments, ses paysages et les fonctions religieuses et intellectuelles de certains lieux et espaces. Tout acte d’aménagement doit chercher son inspiration dans ce legs architectural et historique. Autre principe : le lien et l’unification des deux villes de Rabat et de Salé pour créer une zone de prospérité qui profiterait à l’ensemble de l’agglomération. C’est au fleuve du Bouregreg que les deux villes de Rabat et de Salé doivent leur naissance et ces deux villes jumelles ont grandi dos à dos depuis des siècles.
Il fallait les réunir. Notre projet d’aménagement, qui a autant de valeur pour Rabat que pour Salé, avait pour objectif de créer une symbiose de vie et de développement entre les deux rives du fleuve Bouregreg, tout en créant dans la vallée du Bouregreg un lieu de vie et de nouveaux espaces urbanistiques. Pour accompagner ce projet, l’Agence a axé ses efforts sur sa mission d’aménagement. Nous sommes une Agence d’aménagement et non de développement urbain qui peut être confié à des sociétés ou au privé. Et l’aménagement commence pour nous, par les solutions apportées pour assurer la mobilité des citoyens qui sont au cœur de nos préoccupations. L’urbanisme ne peut réussir que s’il a inscrit au cœur de ses préoccupations la problématique de la mobilité. Des études préalables nous ont montré que plus de 650 000 personnes, transportées par quelque 150 000 véhicules, transitaient chaque jour par la vallée du Bouregreg et que les itinéraires de franchissement portés par les ponts de Moulay Hassan, Moulay Youssef, Al Fida et Mohammed V étaient sollicités à saturation. Pour permettre aux citoyens de ce territoire de se déplacer d’un endroit à l’autre, il faut assurer un schéma, construire des ouvrages comme le pont
Hassan II qui est un ouvrage exceptionnel et complexe, qui sera récompensé par le Prix Aga khan de l’architecture. La cérémonie aura lieu le 6 septembre à Lisbonne et le prix sera délivré par Son Altesse le Prince Aga Khan et le Président du Portugal. Nous avons, après des études importantes, restitué la mobilité et la navigabilité à travers le fleuve, car il ne faut pas oublier que Rabat abritait le premier port du Royaume avant la construction de celui de Casablanca. L’estuaire du Bouregreg est même devenu un poste de frontière avec police et douane. Les touristes peuvent entrer au Maroc par la voie maritime de Rabat Salé. Nous avons enfin anticipé l’avenir et réalisé un tunnel sous les Oudayas qui va desservir la Rocade atlantique, de la rive du Bouregreg jusqu’à Temara sur la voie côtière. Cela permettra aux citoyens d’accéder à la ville de Rabat par la porte de Bab el-Had, par la porte de Kamra, pour désengorger le site. Avec la réalisation du projet du tramway, un transport écologique qui a amélioré l’offre de transport collectif, notre établissement a permis de lever un tabou, celui de la fatalité de l’échec.
Le tramway qui circule actuellement a une capacité de 700 voyageurs, ce qui correspond à 120 taxis blancs ou 12 bus, fonctionne bien sans incident majeur. Il y a eu quelques incidents corporels, parfois dramatiques, dus sans doute à la nouveauté de ce transport collectif.
L’agence a développé ses missions d’aménagement, dites-vous, qu’en est-il du plan d’aménagement ?
Le plan d’aménagement du territoire de la Vallée a été promulgué en septembre 2009. Notre établissement, créé en janvier 2006, a tenu son premier conseil d’administration en juin 2006, notre budget a été approuvé en juillet 2006 et le plan d’aménagement promulgué en septembre 2009, ce qui est un exploit, car les plans d’aménagement prennent habituellement beaucoup plus de temps !
Il faut continuer et maintenir l’effort
Quels sont aujourd’hui les projets de l’Agence ?
Aujourd’hui que les fondamentaux que j’ai évoqués sont réalisés, à savoir protéger le site, assainir la situation complexe du foncier qui appartient à l’État, aux villes de Rabat et de Salé, au ministère des Habous et aux particuliers, promulguer le plan d’aménagement, réaliser les infrastructures, on peut se poser la question de la vocation future de ce site et de son développement. L’Agence a préparé l’environnement, il reste aujourd’hui la partie développement du site.
Nous avons prévu dans nos textes et nos statuts la possibilité pour l’Agence de créer des structures détenues par des établissements ou des sociétés de droit privé pour amorcer ce développement en partenariat public-public ou public-privé. C’est ce que nous avons fait pour réaliser le projet de Bab Bahr sur la rive droite, où nous sommes en partenariat avec une société émiratie. Le projet prévoit la construction de deux hôtels, dont l’un devrait démarrer prochainement, la construction de 1 500 logements sous forme d’appartements, la construction de 70 000 m² de plancher de bureaux et 60 000 m² de commerce. Il faut savoir que nous avons démarré ce projet en 2006, une période de très forte inflation des matières premières, avec un baril qui avait atteint le niveau historique de 140 dollars et, pour couronner le tout, la crise mondiale financière et aujourd’hui un contexte de grand retournement dans le monde arabe.
Malgré tout, nous avons tenu le coup pour réaliser nos projets d’infrastructures, car nous avions le financement nécessaire.
Nous avons eu la chance d’être dotés jusque-là par le budget général de l’État, par le Fonds Hassan II pour le développement économique et social et par la Direction générale des collectivités locales pour réaliser nos projets. Aujourd’hui, les finances publiques sont en difficulté, on nous demande de mobiliser d’autres sources de financement, ce que nous faisons auprès de bailleurs de fonds comme l’Agence française de développement, la BEI... Nous avons un territoire, un bon patrimoine, car nous sommes assis sur une réserve foncière très importante, nous avons mis en place une vision d’urbanisme, des infrastructures, nous avons acquis au fil de ces dernières années, une crédibilité. Maintenant, le déclic, c’est le marché qui a besoin d’une vitalité économique. Il faut donc continuer, maintenir l’effort, car nous sommes dans des projets de temps longs, mais les projets sont là… Nous avons obtenu 4 450 milliards de DH pendant 7 ans. L’Agence a restitué à l’État 980 millions de DH sous forme d’impôts et de taxes, payé pour l’accompagnement social quelque 350 millions de DH, accompagné le concessionnaire REDAL pour renouveler tous les réseaux souterrains pour 300 millions de DH. L'Agence possède, comme je l’ai dit, un important patrimoine foncier, le tramway est une structure publique, la marina et le tunnel sont réalisés et le site est préservé, ce sont là autant d’atouts pour nos futurs investisseurs.
Comment pourriez-vous qualifier vos relations avec les différents partenaires : élus, présidents de région ?
Nous avons entretenu d’excellentes relations et nous avons été soutenus sur tous les plans. J’ai travaillé avec deux présidents du conseil de la ville de Salé et deux présidents du conseil de la ville de Rabat qui nous ont soutenus. J’ai également travaillé sans différence aucune, avec trois présidents du conseil d’administration de notre établissement public : Driss Jettou, Abbès El Fassi et Abdelilah Benkirane, qui nous ont tous accompagné avec détermination. Aujourd’hui, nous devons nous autofinancer, mobiliser des fonds et amorcer la phase du développement de la vallée du Bourereg.
