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«La Charte de la réforme de la justice contient des orientations avant-gardistes»

La Cour de cassation a participé activement aux travaux du «Dialogue national sur la réforme du système judiciaire». Mohamed Khadraoui, magistrat membre de la Cour de cassation, dresse le bilan de la participation de la Cour aux travaux de ce dialogue et son appréciation du contenu de la Charte de réforme du système judiciaire. Entretien.

«La Charte de la réforme de la justice  contient des orientations avant-gardistes»
Mohamed Khadraoui.

Le Matin : Quel bilan faites-vous de la participation de la Cour de cassation aux travaux de la Haute Instance du dialogue national sur la réforme du système judiciaire ?
Mohamed Khadraoui : La Cour de cassation a participé au dialogue national sur la réforme du système judiciaire à travers son premier président, Mustapha Fares. La Cour a également organisé une rencontre d’information et de contact avec les membres de la Haute Instance du dialogue national sur la réforme du système judiciaire. Rencontre au cours de laquelle a été présentée l’expérience de la Cour de cassation en matière de modernisation de l’institution judiciaire. Cette expérience a été présentée en tant qu’exemple à suivre en termes de modernisation des institutions judiciaires. À ce niveau, la Cour a procédé à une séparation entre l’action judiciaire et l’administration judiciaire.

Est-ce que l’Instance du dialogue national sur la réforme de la justice a tiré profit de cette expérience ?
Oui, c’était le cas en matière d'efficience judiciaire et de l’approche à adopter concernant le coût de chaque dossier des justiciables et pour savoir comment arriver à le traiter en un minimum de temps. Nous avons également montré comment tirer profit de l’informatisation des dossiers. La Cour de cassation a donc présenté son projet de juridiction numérique. C’était à travers cette expérience que les rédacteurs de la Charte ont consacré tout un volet à la «justice numérique». D’un autre côté, plusieurs conclusions de la Charte concernent directement la Cour de cassation. C’est le cas en ce qui concerne le point qui appelle à adopter des mécanismes permettant d’unifier la jurisprudence et de limiter leur disparité, la publication de cette jurisprudence, etc.

Quels sont les points sur lesquels a insisté la Cour de cassation dans le cadre de ce dialogue ?
Nous avons surtout insisté sur la modernisation de l’administration et de l’action judiciaires pour que la justice joue bien son rôle. Car cela va permettre de garantir l’équité exigée par la justice, notamment en ayant des décisions judiciaires dans un délai raisonnable. Chose qui revêt un caractère primordial dans la mesure où il s'agit d'un critère d'évaluation de l’état d’avancement de la justice. C’est pourquoi il faut miser sur la modernisation de la justice.

Maintenant que la Charte, considérée comme une feuille de route de la réforme de la justice, est élaborée, quelle lecture en faites-vous ?
Il est difficile d’avoir un avis objectif. Mais en principe, on ne peut que dire que c’est positif. Car, tout d’abord, c’est un travail qui est le fruit d’une démarche participative. Travail auquel ont participé les avocats (même s’ils l’ont boycotté après), les huissiers de justice, les notaires, des ONG de défense des droits de l’Homme… et même des experts étrangers. Il est donc le fruit de la confrontation de plusieurs avis et qui a pris beaucoup de temps. Il est aussi le résultat d’un débat qui a été organisé sur le plan national, régional et sectoriel. Il y avait énormément de plateformes et de mémorandums présentés, des diagnostics, des analyses, des études, des statistiques… Ce qui constitue, pour le Maroc, une importante base de données relative à la justice qui représente une richesse inestimable et concerne différents thèmes et sujets. Certes, il peut y avoir des lacunes, mais nous avons déjà franchi un pas important et fait un premier diagnostic avec la participation de nombreux acteurs, même ceux qui avaient choisi de boycotter les travaux de l'Instance.

En dehors de la démarche participative et du diagnostic fait, que pensez-vous du contenu de la Charte et de ses conclusions ?
Je pense que la Charte contient des éléments et des orientations que l’on peut juger avant-gardistes. Des propositions qui auront besoin de temps pour pouvoir être mises en place. La Charte contient une vision futuriste du secteur de la justice. Ainsi, on a une position très positive à ce sujet. Par exemple, en ce qui concerne la Cour de cassation, nous avons apprécié les recommandations appelant au renforcement de l’indépendance de la justice. Il est proposé de mettre fin à la dépendance du parquet du ministère de la Justice. Il est aussi proposé de garantir la représentativité féminine au sein du Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire, la coopération entre le Pouvoir judiciaire et le Pouvoir législatif… Mais tout cela dépend de la volonté des parties prenantes de mettre toutes ces recommandations en œuvre. Donc, toutes ces recommandations sont positives et ont besoin, ainsi que l’avait souligné Sa Majesté le Roi, d’une conscience responsable, pour être réalisées. L’autre volet positif de la Charte c’est qu’elle est assortie d’un plan opérationnel avec un agenda de mise en œuvre. Mais il faut qu'un budget y soit consacré. Parce que cette réforme a un coût.

Quels sont, dans la Charte, les points qui concernent directement la Cour de cassation ?
Les recommandations de la Charte ont insisté sur le rôle de la Cour de cassation dans l’unification de la jurisprudence et dans la sécurité judiciaire. La Cour est également appelée à veiller sur la question de la publication de la jurisprudence. Car l’accès à l’information est un droit qui est garanti constitutionnellement. Or la publication de toutes les décisions et de toute la jurisprudence n’est pas une opération automatique et facile à faire. Cela demande, en amont, tout un travail de tri, de classification… Heureusement que c’est un projet sur lequel nous travaillions bien avant la Charte. Car nous avions l’objectif que les décisions de la Cour arrivent, gratuitement, au plus grand nombre d’usagers. L’autre élément qui concerne la Cour de cassation c’est la tâche lourde dont doit s'acquitter son président. Il doit superviser les élections pour l’accès des magistrats au Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire…

Dans l’état actuel des choses, la Cour est-elle prête à mettre en œuvre les recommandations visant la réforme de la justice ?
Ce qui est bien, c’est que la Cour de cassation avait une vision anticipative. Cela fait deux ans que nous avons démarré le projet de la modernisation judiciaire de la Cour et de la mise à niveau des ressources humaines. Nous avons besoin de moyens financiers et de ressources humaines pour continuer. Car, pour unifier la jurisprudence, il faut des magistrats qui soient à la hauteur. Ainsi, sur certains points, nous sommes prêts, mais il faut un soutien en termes de ressources humaines et financières. Je dois rappeler que plusieurs magistrats partent à la retraite. Rien que cette année, la Cour compte entre 20 et 30 magistrats partants. Comment faire pour les remplacer, vu leur expérience et le back-ground qu’ils ont ? Pour qu’un magistrat se familiarise avec les dossiers et soit à la hauteur de la cassation, il faut au moins trois ans d’exercice au sein de cette Cour.

Vous dîtes que la Cour avait une vision anticipative. Mais la question qui se pose : est-ce qu'il n'y a pas une sorte de télescopage entre votre plan stratégique 2013-2017 et les recommandations de la Charte ?
Non, au contraire, il va y avoir une certaine complémentarité. En fait, cette stratégie est sous forme de grands traits. Une orientation que nous avons élaborée et nous avons demandé au ministère de la Justice de nous soutenir pour arriver, notamment, à la juridiction numérique. Elle fait aujourd’hui partie du programme du ministère et c’est un élément important de la Charte.

En ce qui concerne la Charte, selon vous, quelles devraient être les priorités, les réformes à mettre en œuvre en premier ?
Nous estimons que la première chose à faire c’est d’adopter la loi relative au Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire et celle concernant le statut des magistrats. Il faut que le Pouvoir judiciaire ait son indépendance financière et assume toutes ses responsabilités en tant que pouvoir. Il faut souligner, à ce niveau, que la Cour de cassation représente un maillon de ce Pouvoir judiciaire.

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