Le Matin : Le flux important des patients au CHU est une réalité. Comment gérez-vous cette situation ?
Khalid Aït Taleb : Le centre hospitalier universitaire Hassan II de Fès connait en effet un flux important des patients. Ils viennent de Fès et de sa région ainsi que de Meknès, de Taounate, de Sefrou et même de l’Oriental et d’autres provinces lointaines parce qu’ils ont besoins de soins et pensent que l’unique et la plus accessible solution est le CHU qui dispose de plateformes performantes pour prodiguer l’ensemble des soins. Je pense qu’il n’y a pas vraiment une solution idoine pour gérer le flux important des patients. Nous le gérons comme nous pouvons quotidiennement et nous essayons de répondre aux besoins de nos patients.
Nous avons un système d’information pour gérer les rendez-vous et les agendas des services de santé. Mais avec le flux important des patients, nous nous retrouvons en difficulté avec des délais plus longs. Ce qui devient aujourd’hui gênant pour le CHU, qui est débordé par des pathologies relevant du secondaire et pouvant être traités dans les hôpitaux publics de Fès et des autres villes et provinces.
Cette situation est-elle due au non-respect de la filière des soins ?
Le CHU a une dimension interrégionale et couvre un bassin de desserte de plus de 5 millions d’habitants. Ce qui est très important par rapport à sa capacité litière. Nous sommes en train de gérer la problématique du flux important des patients avec la Direction régionale de la santé de Fès-Boulemane et avec les directions régionales avoisinantes. Nous avons besoin d’une cartographie médicale bien définie aussi bien en matière d’offre des soins qu’en matière des ressources humaines médicales qui permettent de dispenser les soins nécessaires. Et il y a urgence. Aujourd’hui, la chirurgie programmée est parfois retardée au CHU parce que 80% des patients des services viennent via les urgences. C’est la première porte d’hospitalisation. Ce qui ne laisse pas la flexibilité et la possibilité au chef de service d'hospitaliser les malades avec des rendez-vous fixés à l’avance et perturbe la gestion du CHU. Ceci étant, nous essayons de prioriser les maladies lourdes et les maladies néoplasiques.
Est-ce que le Ramed a contribué à accentuer la pression sur le CHU de Fès ?
Le Régime d’assistance médicale (Ramed) a pour objectif l'amélioration et l'extension de la couverture médicale au profit des démunis. Et nous allons mettre tout en œuvre pour réussir ce chantier. Mais il y a lieu de préciser que le CHU reçoit un nombre très important de patients ramedistes et leur prodigue des soins gratuitement. Ce qui représente un manque à gagner énorme de plusieurs millions de DH et qui est appelé à augmenter dans les prochains mois. L’impact est clair sur les recettes hospitalières qui assurent la pérennité des activités et des soins au CHU.
Cette problématique a-t-elle été abordée avec le ministère de tutelle ?
La question a été abordée dans les conseils d’administration et de gestion avec le ministère de tutelle et nous avons convenu de mettre en place les outils de gestion nécessaires pour estimer les dépenses engagées dans le cadre du RAMED en vue de les couvrir. Nous avons obtenu des subventions forfaitaires pour couvrir une partie des dépenses, mais il reste encore une bonne partie pour compenser la totalité des frais engagés. Ceci étant, je pense que le Ramed est une bonne initiative pour généraliser la couverture médicale, mais il faudrait qu’il y ait une régulation de ce système et le respect par les ramedistes de la filière des soins pour libérer le CHU de nombreuses contraintes et lui permettre de se concentrer sur ses missions principales, à savoir le tertiaire, la formation et la recherche.
Est-ce qu’il y a concrètement une solution en vue ?
Pour être clair, le Ramed n’est pas une question de malades. C’est une question de financement. La population éligible au Ramed est de l’ordre de 8,5 millions de personnes. Et la question qui s’impose est : l’État est-il aujourd’hui capable d’en assurer le financement ? Je pense que le financement du Ramed devrait être maitrisé à travers la création d’une agence dédiée à sa gestion, à l’instar de ce qui se fait par d’autres organismes gestionnaires, notamment la CNOPS et la CNSS. L’Agence pourra ainsi définir le panier des soins à prodiguer, définir les procédures et les filières de soins couvertes, assurer une bonne prise en charge des maladies chroniques et surtout limiter les excès et les abus.
Est-ce que vous entendez par excès les personnes disposant de cartes du Ramed, sans être vraiment dans le besoin ?
Je pense que l’État a défini les critères de détention de la carte du Ramed et le CHU est un établissement de santé qui prodigue des soins gratuitement à tout détenteur de la carte du Ramed.
La politique médicamenteuse a été votre cheval de bataille. Est-ce qu’elle répond à vos attentes ?
Le CHU a commencé son activité en 2002 et le premier budget a été validé en avril 2003 avec une subvention exceptionnelle de 3 millions de DH. Nous sommes aujourd’hui à 199 millions de DH dédiés aux médicaments. C’est une augmentation exponentielle qui n’est pas seulement due à l’augmentation des ramedistes, parce que nous enregistrons chaque année 75 à 80 000 admissions, avec une proportion importante des malades de l’hôpital du jour. Notre politique médicamenteuse est basée essentiellement sur l’enrichissement annuel de la nomenclature des médicaments pour répondre aux besoins de nos services. Il y a surtout un effort pour mettre à la disposition de nos patients des médicaments onéreux et du matériel implantable onéreux comme les orthèses, les prothèses, les valves cardiaques, etc.
Et quelle est la situation aujourd’hui du CHU ?
Nous étions sur une tendance positive depuis la création du CHU, mais avec le lancement du Ramed, nous sommes en déficit par rapport à nos prévisions. Il y a moins de rentrées d’argent. Le Ramed impacte nos recettes et va surtout impacter la qualité de la prise en charge des patients, si le gouvernement ne met pas en place un système de financement de ce régime et assure les remboursements au CHU. Je tiens à souligner qu’avant l’entrée en vigueur du Ramed, il y avait le «certificat d’indigence» qui permettait aux personnes démunies de recevoir, moyennant une modeste contribution financière, des soins. Cette contribution, qui a aujourd'hui disparu, permettait aussi d'améliorer les ressources propres du CHU et d'assurer en partie la pérennité de ses activités.