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«Gouvernance de Casablanca : quels enjeux et défis de demain ?»

Le IVe Sommet mondial des dirigeants locaux et régionaux (CGLU), qui s’est tenu à Rabat, a largement évoqué la question de la gouvernance, les gouvernements locaux étant jugés, comme le souligne la note introductive sur l’amélioration des services de base, «sur leur capacité à fournir à chaque citoyen des services publics de qualité comme l'eau potable, l'assainissement, la santé, l'éducation de base, la gestion des déchets, les transports et l'énergie».

«Gouvernance de Casablanca : quels enjeux et défis de demain ?»
Coeur battant de l'économie marocaine, Casablanca souffre pourtant d'énormes déficits en termes de services publics.

Le troisième Rapport GOLD, présenté lors de la Conférence de Rabat, qui sera publié en 2014, à la veille de la date fixée par la communauté internationale pour la réalisation des OMD, met l'accent sur la gouvernance des services de base afin d'identifier les besoins spécifiques des collectivités locales pour assurer la prestation de ces services, proposer des recommandations pour améliorer l'accès pour tous, ainsi que pour renforcer les capacités d'intervention des autorités locales, conjointement avec d'autres acteurs, afin de répondre aux défis actuels et futurs.

C’est dire si le thème de la gouvernance est un sujet essentiel, largement abordé dans le discours royal adressé aux 3 500 participants du Sommet mondial : «Cette manifestation sera, Nous l'espérons, l'occasion propice pour apporter les réponses appropriées aux questions pressantes et d'actualité qui se posent. Il s'agit pour les gouvernements, les élus et les différentes parties prenantes d'identifier les voies et moyens d'améliorer la qualité de vie des citoyens, de garantir leur accès aux services de base et d'accompagner la dynamique des mutations qui s'opèrent dans la région méditerranéenne, surtout en matière de bonne gouvernance. Promouvoir le développement économique, favoriser l'investissement dans le capital humain, renforcer les liens de solidarité entre les collectivités territoriales, adopter une démarche innovante dans la gestion de la diversité au sein de ces collectivités et maîtriser l'avenir de l'essor urbanistique en cours sont toutes des préoccupations d'une brûlante actualité.

Elles sont d'autant plus pressantes qu'elles s'imposent à un moment où le monde connaît des transformations économiques et sociales profondes et récurrentes, comme l'atteste la crise économique et financière en cours, qui en sont l'une des manifestations les plus significatives. Il est donc impératif que les gouvernements centraux et les gouvernements régionaux et locaux unissent leurs efforts et travaillent de concert pour surmonter les effets pervers de cette crise. C'est dans cet esprit que nous avons engagé au Maroc des réformes fondamentales, notamment la constitutionnalisation de la régionalisation avancée qui est destinée à mettre en place une organisation territoriale intégrée et qui inaugure une nouvelle phase dans le processus de consolidation de la démocratie locale et du positionnement des collectivités locales comme partenaire majeur de l'État et du secteur privé, dans la gestion des questions de développement».

En somme, il s’agit de rationaliser, moderniser l’action publique, appliquer le principe de l’accountability en rendant les administrations «comptables» de leur action... et en tenant compte des différents niveaux d’action. Loin de la centralisation jacobine, le nouveau mode de gouvernement convie d’autres acteurs pour exercer collectivement la gestion d’une ville. Exercice extrêmement complexe qui, à Casablanca, a beaucoup contribué à gripper la machine.

Le Matin : Quelles sont à votre avis les causes du déficit de la gouvernance de la ville de Casablanca ?
Mohamed Harakat : Parler du déficit de la gouvernance d’une ville nécessite l’élaboration d’une approche et d’une vision pluridisciplinaire, pragmatique dans un environnement extrêmement mouvant, marqué par l’accélération du phénomène de l’urbanisation. Les raisons du déficit sont multiples : démographique, politique, démocratique, économique et sociale. Le XXIe siècle est une ère urbaine par excellence. Selon le rapport de la CIA «Le monde en 2030», «Le volume des constructions d’habitations, d’espaces de bureaux et de services de transports que l’urbanisation rapide générera dans les 40 prochaines années, concentrés en Asie et en Afrique, serait à peu près équivalent à l’ensemble du volume de telles constructions réalisé à ce jour dans l’histoire du monde».
Faut-il rappeler que la population urbaine du Maroc est passée de 12% en 1960 à 60% aujourd’hui, avec une prévision de 75% en 2040 ? La question fondamentale qui se pose aujourd’hui est celle de savoir comment gérer, organiser et maîtriser ce processus d’urbanisation accrue. Les villes intelligentes, selon les experts, sont d’abord celles qui réussissent à piloter et à obtenir une croissance durable et «maitrisable» dans le productif, l’écologique, le technologique et le culturel, une croissance qui répond aux attentes de cette population grandissante. Ensuite ce sont celles qui gèrent les ressources rationnellement, dans la transparence. Enfin, les villes performantes font de l’apprentissage collectif un pilier pour piloter le changement et l’économie du savoir (leadership, environnement professionnel, reddition des comptes, évaluation continue des risques...).

L’ambition des Casablancais est de faire de la capitale économique une «ville intelligente». Qu’entendez-vous par ville intelligente et quelles sont ses implications sur le développement ?
Ce concept de ville savante ou intelligente est une traduction l'expression «smart city», qui désigne un type de développement urbain apte à faire face aux besoins des institutions, des entreprises et des citoyens, tant sur le plan économique, social qu'environnemental. Une ville peut être qualifiée d’intelligente quand les investissements en capitaux humains, sociaux, en infrastructures d'énergie (électricité, gaz), de communication traditionnelle (transports) et électronique (très haut débit) alimentent un développement économique durable ainsi qu’une qualité de vie élevée, avec une gestion avisée des ressources naturelles, et ce, à travers une gouvernance participative.
S.M. le roi le fait remarquer dans son discours lorsqu’il insiste sur le mandat local ou régional et ses relations avec le mandat parlementaire en soulignant : «c'est aux conseils communaux qu'il revient d'assurer la gestion des services de base dont le citoyen a besoin chaque jour. Le gouvernement, quant à lui, se charge d'élaborer les politiques publiques et les plans sectoriels, et de veiller à leur mise en œuvre».

Quelles sont à votre avis les conditions de l’émergence de ce type de ville ?
Tous les acteurs sont responsables dans l’émergence d’une ville intelligente et de savoir : les partis politiques, qui proposent en encadrant la population et les élus, l’administration, les citoyens, l’entreprise et l’université. Plus particulièrement, les partis politiques jouent un rôle fondamental dans la mobilité des élites et la diffusion des valeurs du mérite, du savoir et de l'éthique au sein du conseil communal et dans la société d’une manière globale. Le développement d’une ville savante nécessite donc un engagement collectif des acteurs, une mobilisation fondée sur le savoir, la connaissance et l’édification d’une infrastructure moderne (et d'une stratégie de développement à long, moyen et à court termes), le partage de la connaissance et de l’innovation, la codification du savoir urbain.
L’accomplissement de ces conditions est tributaire de la consolidation des valeurs de la démocratie dans les processus de prise de décision. Dans son discours au Parlement, le souverain souligne que «les élus sont également chargés de lancer et de mettre en œuvre les chantiers et les projets de développement dans les circonscriptions de leur ressort, afin de créer des emplois et de créer pour les citoyens les conditions d'accès à un revenu stable. C’est dire la noblesse et la portée de leur mission. Elle exige loyauté et intégrité, ainsi qu'un sens élevé des responsabilités, et la capacité de rester proche du citoyen, en interaction permanente avec lui, à l'écoute de ses préoccupations pressantes, et prompt à répondre à ses sollicitations administratives et sociales».

Vous avez personnellement vécu à Casablanca et les déficits de la ville ne datent pas d’aujourd’hui ?
J’ai vécu personnellement plusieurs années à Casablanca, dans les années 1970 et 1980 et j’ai souvenir d’une belle ville, propre, sécurisée. Or aujourd’hui, Casablanca n’est plus la ville d’antan. La capitale économique du pays, en tant que symbole de l’urbanisation et du progrès du Maroc, est confrontée à de multiples défis. Le discours royal du vendredi 11 octobre a mis l’accent sur un sujet de préoccupation brûlant de la population marocaine : le développement souvent anarchique de la ville, le chômage, les inégalités sociales, la détérioration de la qualité de la vie, de la sécurité et de l’environnement. Tout cela n’augure rien de bon pour le projet de transformer Casablanca en hub financier, comme l’a souligné le discours : «Compte tenu de la place privilégiée qu'occupe Casablanca en tant que locomotive de développement économique, il y a une forte volonté d'en faire un pôle financier international. Mais la concrétisation d'un projet de cette envergure ne tient pas à une simple décision d'ériger des méga-édifices selon les meilleurs schémas architecturaux. En réalité, la transformation de Casablanca en hub financier international exige d'abord et avant tout des infrastructures et des services de base, répondant aux normes mondiales. Elle requiert, en outre, la consolidation des règles de bonne gouvernance, la mise en place d'un cadre juridique approprié, la formation de ressources humaines hautement qualifiées et l'adoption de techniques et de méthodes de gestion modernes. Malheureusement, Casablanca ne réunit pas tous ces atouts, malgré les grands efforts en matière d'équipement et d'investissement, surtout pour ce qui est de la mise à niveau urbaine».

Que peut-on faire, quelles propositions pouvez-vous faire en tant qu’expert en gouvernance ?
SI le discours royal du 20 août a été consacré, exclusivement, à l’enseignement, celui prononcé à l’occasion de l’ouverture de l’année parlementaire a été, dans sa première partie, dédié à Casablanca, une nouveauté. La capitale économique est classée dans la catégorie des collectivités territoriales qui «pâtissent d'une gestion défectueuse de la part des instances élues». La gestion de cette ville a été la cible des critiques du Roi. «Casablanca est la ville des disparités sociales les plus criantes, où se côtoient les catégories riches et les classes pauvres. C'est la ville des gratte-ciel et des bidonvilles. C'est le centre de la finance et des affaires, mais aussi de la misère, du chômage et d'autres maux, sans parler des déchets et des ordures qui en ternissent la blancheur et entachent la réputation», a-t-il déploré. Une fois énoncés les maux dont souffre Casablanca, le souverain a conclu que le problème «tient essentiellement à un déficit de gouvernance», causé, en partie, par le «cumul des responsabilités». À mon sens, le cercle vicieux de la mauvaise gouvernance réside dans le manque d’une vision claire de développement de cette ville en termes d’évaluation de planification stratégique de gouvernance stratégique. Malheureusement, les partis politiques ne disposent pas de structures fiables de recherche stratégique et d’évaluation des risques de leurs communes et villes, en raison du manque de think tanks, d’experts ou d’idéologues de partis au sein de leurs groupes et programmes en la matière. De surcroît, il faut ajouter la défection des élites et leur absence de participation à la vie politique.

La gouvernance de la ville «intelligente» est-elle pour demain ?
La ville constitue en fait le modèle privilégié de création et de transmission du savoir adapté au monde contemporain. Elle répond aux enjeux de l’époque : être au service des citoyens ayant confiance en eux et en leur modèle de gouvernance locale. C’est essentiel. La ville répond également aux défis de la concurrence mondiale et en tant qu’espace dynamique de production et de débat préparant le citoyen du troisième millénaire, membre à part entière de la société du savoir et de la connaissance. On entend par gouvernance stratégique globale une nouvelle approche de management stratégique de la ville qui se situe aux antipodes du système traditionnel de gestion combinant à la fois trois missions essentielles de la ville, à savoir la production, la participation et le bien-être des citoyens qui s’enrichissent et se nourrissent dans une logique gestionnaire, de suivi, de performance et de mission.
La gouvernance stratégique comporte la vision participative, l’organisation et les compétences, l’employabilité, le partenariat, le système d’information et de communication, la mobilisation des ressources, la codification du savoir, les valeurs et l’identité, l’humanisation des rapports et des espaces et l’évaluation continue des risques. La gouvernance stratégique et cognitive repose sur une vision radicalement différente du processus de gestion classique de la ville, dans la mesure où elle conduit à accorder une importance centrale à la formation des leaderships et des compétences locales et aux capacités de la ville à innover, à s’épanouir, à créer et à modifier son environnement. La ville du 20e siècle a besoin de véritables leaderships. Une telle logique est fondée essentiellement sur les éléments caractéristiques suivants :
• la définition d’une vision stratégique participative de développement de la ville, en termes de faiblesse, de force, de dysfonctionnement, de menace et de risque ;
• la promotion de valeurs d’une ville communicante et une communication organisée (système pertinent et fiable d’information et de communication) ;
• la codification de la connaissance et du savoir par la promotion de la publication, la création et les valeurs de mérite, d’expertise et de professionnalisme progressif ;
• la mobilisation et la diversification des ressources humaines et financières ;
• la protection du patrimoine et de la mémoire de la ville ;
• l’adéquation de la ville à la création des richesses et à la protection de l’environnement et à la mondialisation ;
• l’amélioration de la qualité de vie des citoyens ;
• l’évaluation continue des risques ;
• l’efficacité, la performance et la transparence dans la gestion.
Plus particulièrement une ville savante nécessite :
• L’introduction des TIC dans l’espace urbain, ouvrant la voie à de nouvelles fonctionnalités, de nouvelles manières de gérer, de gouverner et de vivre la ville.
• Les enjeux des projets émergent pour la ville ;
• Les TIC peuvent contribuer à rendre les villes plus durables, encourager l’acceptabilité sociale, la cohésion, les transformations culturelles et humaines, les services rendus et le rapport des citoyens/usagers à la ville (gestion des flux de trafic par exemple). 

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