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Pourquoi les Frères musulmans ont-ils été évincés du pouvoir ?

Par Moha Ennaji
Chercheur et écrivain

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Plus de 900 Égyptiens ont été tués dans des violences au pays, dont 72 policiers dans moins d’une semaine. La plupart des décès sont survenus lorsque les forces de sécurité ont brisé deux sit-in pro-Morsi dans la capitale, le mercredi 14 août 2013. La répression meurtrière a attiré la condamnation générale du monde musulman et occidental.

Apparemment soutenue par la majorité des égyptiens, peut-être parmi eux-mêmes ceux qui avaient voté pour le Président Mohammed Morsi l'année précédente, l'armée a brisé le processus démocratique et les rêves égyptiens pour la liberté.
La violence en Égypte et le coup d'État militaire nous rappellent le scénario algérien. Le 26 décembre 1991, le Front islamique du salut (FIS) a remporté les élections locales à une large majorité. Quelques mois plus tard, il remporte également les élections législatives – 188 des 231 sièges à pourvoir dans ce tour – en le mettant bien en avance sur ses rivaux.

Le 11 janvier 1992, un coup d'État militaire a annulé le processus électoral et forcé le Président Bendjedid à démissionner, et un état d'urgence a été déclaré. Le gouvernement a officiellement dissous le FIS le 4 mars 1992. Peu de temps après, de nombreux militants sont montés dans les montagnes et ont rejoint le Groupe islamique armé (GIA). Le pays avait inexorablement glissé dans une guerre civile qui avait fait plus de 250 000 victimes, dont il n'a commencé à émerger qu’au début des années 2000.

Le massacre égyptien nous rappelle pareillement le scénario palestinien de 2006. Les États-Unis, l’Union européenne et Israël ont refusé d'accepter les résultats des élections législatives palestiniennes de janvier 2006, reconnues par tous les observateurs comme libres et équitables. Au lieu d'engager des négociations avec la nouvelle direction Hamas, Israël, avec l'encouragement des États-Unis, décident de couper l'aide aux Palestiniens, les recettes fiscales et, par la suite, presque tous les liens avec le monde extérieur. Environ 1,5 million de citoyens de Gaza ont été sévèrement punis pour avoir élu des dirigeants inacceptables à Tel-Aviv et à Washington.

L'étape suivante a consisté à organiser un coup de force contre le Président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, en dépit de la volonté du Hamas de former un gouvernement de coalition avec la faction Fatah de M. Abbas. Mais le Hamas a frappé le premier en renversant l'Autorité palestinienne corrompue et discréditée en juin 2007. Cela a conduit à la division du territoire palestinien en Bande de Gaza et Cisjordanie et à la violence brutale entre les factions palestiniennes.
Le 27 décembre 2008, Israël a déclenché un autre carnage odieux envers le peuple palestinien pour ramollir son gouvernement Hamas démocratiquement élu. Elle l'a fait avec le soutien feutré des États-Unis, l'Union européenne et leurs partisans arabes, sans chercher à négocier de bonne foi avec le gouvernement élu du peuple palestinien.

Depuis lors, Israël a renforcé le blocus de Gaza, entraînant Richard Falk, représentant de l'ONU dans les territoires, à accuser Israël d'avoir commis un «crime contre l'humanité». Ces deux tristes expériences devraient enseigner les Égyptiens, les pays voisins, ainsi que l'Occident, en particulier les États-Unis, que la démocratie et la primauté du droit doivent être au-dessus de tous les calculs politiques.
Beaucoup de démocrates libéraux de la région affirment que Morsi a été aux rênes du pouvoir pendant un an seulement, et n'a pas eu le temps de faire des réformes ou reconstruire l'économie. On aurait dû lui donner une chance de terminer son mandat, et il appartient alors au peuple égyptien de voter contre lui et de le sortir du pouvoir, comme il se fait habituellement dans les démocraties occidentales. L'armée n'a pas le droit de le destituer, et le peuple n'aurait pas dû aller dans la rue dans le but de renverser le régime. Tout changement de gouvernement devrait résulter des urnes.

Morsi a été élu démocratiquement, certes, mais il n’a pas donné la priorité au bien-être de tout le peuple égyptien. Au lieu de cela, il a fait de nombreuses erreurs, essentiellement en agissant comme un dictateur élu démocratiquement et en élaborant une Constitution basée sur la charia (loi islamique), qui ne respecte pas expressément les droits des femmes, le pluralisme et les minorités. Rappelons au passage que les chrétiens, qui représentent 8 millions sur une population de 90 millions en Égypte, étaient inquiets quand les islamistes ont pris le pouvoir en 2012 et soulagés quand les militaires les ont chassés du pouvoir le mois dernier. Mais les anciennes communautés coptes qui sont antérieures à l'Islam par des siècles disent qu'elles subissent une nouvelle vague de violence depuis l'éviction de Morsi. Des groupes de défense des droits humains ont accusé les Frères musulmans et d'autres islamistes d'incitation à la violence.

L'Égypte a été le foyer d’une violence sectaire que les autorités n’ont pas pu contrôler. Ishaq Ibrahim de l'Initiative égyptienne pour les droits humains a déclaré que son groupe avait recensé au moins 39 cas de violence contre des églises, des monastères, des écoles et des commerces coptes dans différentes régions du pays. En juin 2013, quatre musulmans chiites ont été battus à mort par une foule de musulmans sunnites, apparemment pour leurs croyances, dans un village près de la capitale, à Gizeh.

Certains groupes libéraux opposés au gouvernement Morsi ont mentionné que les urnes étaient insuffisantes et que Morsi n'était pas inclusif. Il a commencé par nommer des militants des Frères musulmans à des postes clés. L'économie a continué de s'effondrer et la communication avec le reste des pays arabes et l'Occident est entrée dans une impasse. En conséquence, l'opposition réunie sous l'égide du Front de salut national a organisé des sit-in le 30 juin, et par la suite soutenu le coup d'État militaire.

L'erreur la plus importante des Frères musulmans réside dans le fait qu'ils ne sont pas intéressés à construire un État moderne, et leur croyance depuis 1928 que la religion est en danger et que «l'islam est la solution» à tous les problèmes. Leur principal objectif est de faire revivre le califat islamique partout dans le monde.
Les Frères musulmans en Égypte ont été évincés du pouvoir parce qu'ils étaient incapables de faire confiance à des non-islamistes, ni les impliquer dans la gestion du pays, ce qui a entraîné l'élargissement de l'écart entre eux et d'autres groupes religieux et politiques. Leur manque d’expérience en matière de gestion des affaires publiques a également joué contre eux. En conséquence, l'Université Al-Azhar et les dirigeants coptes, ainsi que l'armée, le système judiciaire, les syndicats, les associations estudiantines, les organisations de femmes tous ont exprimé leur opposition à l'administration Morsi.

Ce qui se passe en Égypte est très dangereux et peut devenir une menace sérieuse pour la sécurité de toute la région, qui est déjà sous forte agitation après ce qu’on appelle «les révolutions arabes». Cette situation peut conduire à l'isolement régional et même international de l'Égypte. La preuve est que l'Union européenne et les États-Unis ont déjà décidé de revoir leur aide à l'Égypte, ce qui ne favorisera pas la stabilité politique, à l’heure de la crise économique et financière mondiale. Certes, la situation est très complexe et les transitions démocratiques peuvent être longues et fastidieuses. L’exemple de l’Europe de l'Est, où de nombreux pays sont encore aux prises avec les premiers stades de leur passage démocratique suite aux révolutions des années 1990, suggère que la démocratie est excellente pour la gouvernance et le développement, toutefois les premières étapes du processus démocratique peuvent être dangereuses si elles sont mal maîtrisées.

Les Égyptiens sont partagés, aujourd'hui, entre ceux qui aspirent à la sécurité et au développement économique et ceux qui savent que, même si le prix est élevé, le pays est à un tournant historique entre la dictature militaire et la possibilité d'un État civil. Le peuple a déchu Hosni Moubarak puis a élu Morsi ; ce même peuple a déstabilisé ce dernier, car la rue est devenue enragée suite aux violences qui ont éclaté et avec l’aggravation du chômage.

Le nouveau gouvernement égyptien devrait essayer d'atteindre une réconciliation avec les membres modérés des Frères musulmans et de leurs partisans, en renonçant à la violence, en vue de préparer la transition politique vers la démocratie. Le recours à la force ne résoudra jamais le problème, car la violence engendre toujours la violence.

La principale responsabilité du gouvernement est de rétablir la stabilité en Égypte et de stimuler la croissance économique et la création d'emplois. La révolution a dévasté l'économie, en particulier le tourisme, qui est la principale source d'emplois et de revenus du pays. L'Occident a progressé, entre autres, parce qu’il a pu vaincre la tyrannie et garantir les libertés. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord devraient lui emboîter le pas.

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