L’un des principaux personnages des Qoraïschites, nommé Hakim, fils de Hizâm, leur parla ainsi : Qoraïschites, retournons
Quoique ceux-là soient moins nombreux que vous, ce sont des hommes qui ne craignent pas la mort.
Nous ferons mieux de nous retourner. Alors Abou-Djahl dit à Amir ben Al Hadhrami : va et demande vengeance. Tous les hommes lui répondirent : Nous ne retournerons pas à La Mecque avant d’avoir vengé la mort de ton frère et d’avoir tué celui qui l’a fait mourir. Hakim, fils de Hizam, vint trouver Otba, fils de Rabî’a, et lui dit : Ô Abou Walid, ne peux-tu pas faire que cette armée s’en retourne aujourd’hui et que le combat n’ait pas lieu ? Tu en seras honoré parmi tous les Arabes.
Otba répliqua : Que puis-je faire? Le fils de Hanzhaliyya (Hanzhaliyya était le nom de la mère d’Abou Djahl) ne laissera pas les hommes partir. Hakim dit : Ô Abou Walid, il retient les hommes en alléguant qu’il faut venger la mort d’Amrou ben Al Hadhrami.
Amrou était ton allié. Paye toi-même le prix de son sang, afin que cette affaire soit apaisée et que les hommes s’en retournent en paix. Otba consentit, sortit, vint au milieu des troupes, qui se réunirent autour de lui, et, s’appuyant sur l’arc qu’il tenait à la main, leur adressa le discours suivant : mes compagnons quoraïschites, qu’allez-vous faire ? Vous voulez combattre Mohammed et ses compagnons, qui sont tous vos parents! Comment pourrez-vous les regarder et les frapper avec l’épée ?
Ce sont des hommes ayant perdu leur patrie et leurs biens et vivant dans l’exil, dont la vie est attachée à leurs poignées et à qui la mort est douce. Tandis que vous tuerez un homme d’entre eux, ils tueront dix des vôtres. Si vous voulez ce combat à cause de la mort d’Amrou ben Al Hadhrami, eh bien, Amrou était mon allié, je donnerai le prix de son sang à son frère. Ne dites pas : Otba veut nous faire retourner à La Mecque, parce qu’il a peur. Je n’ai pas peur.
Abou Djahl, averti qu’Otba tenait aux hommes ce langage, pour les déterminer à renoncer au combat, accourut en toute hâte et trouva Otba qui parlait aux troupes. Il dit une seconde fois : tu as la colique, par crainte de Mohammed. Si tu veux t’en aller, va-t’en ; personne ne s’en ira sur ton ordre. Amrou a été tué, et son frère n’a que faire du prix du sang que tu veux lui payer. Il est devenu mon allié ; il a renoncé aux Beni Abdou-Schams et s’est engagé avec nous, la tribu des Beni Makhzoum. C’est moi, qui vengerai la mort de son frère. Si tu veux partir, pars ! Otba, irrité de ses paroles, se tut, prit son arc et rentra dans sa tente.
Abou Djahl ordonna, pendant la nuit, d’allumer partout des feux, afin que la crainte empêchât les musulmans de dormir tranquilles, mais la plupart de ceux-ci eurent dans leur sommeil des rêves, comme il est dit dans le Coran (Sur. VIII. vers II), et le matin ils étaient obligés de se purifier. Cependant, l’eau dans leur bassin était gâtée, et ils n’en trouvaient que du côté des musulmans, et non du côté des infidèles. Le bassin se remplit d’eau et devint pur et le sable, dans lequel ils s’étaient enfoncés jusqu’aux chevilles, devint dur après la pluie. Tous ceux qui étaient impurs firent des ablutions et se purifièrent, et leurs coeurs furent raffermis, comme il est dit dans le Coran : « … Il fit descendre sur vous l’eau du ciel pour vous purifier», etc. (Sur. VIII. vers II). Quand le soleil parut, les Qoraïschites se formèrent en lignes de bataille. Ce fut le vendredi, dix-septième jour du mois de Ramadan, ou d’après d’autres, le dix-neuvième jour de ce mois.
Abou Djahl, se plaçant devant les rangs, dit : Ô Seigneur, viens en aide à celle de ces deux armées qui t’est la plus chère ! Dieu révéla le verset suivant : « Vous désirez que la victoire se décide pour vous ; la victoire s’est décidée contre vous », etc. (Sur. VIII. vers 10).
Les musulmans n’avaient pas de tentes. Saâd, fils de Moâd, vint auprès du Prophète et lui fit une cabane, semblable à une tente, de branches d’arbres et de feuillages qu’on trouvait dans la vallée. Il lui dit : reste ici pendant que nous combattrons afin que le soleil ne t’incommode pas. Il resta lui-même avec quelques Ançârs à l’entrée de la cabane pour le garder. Le Prophète y entra avec Abou Bakr ; il se prosterna, pleura et invoqua Dieu en ces termes: Ô Seigneur, accomplis la promesse que tu m’a donnée, et envoie le secours que tu m’as annoncé. Il pria longtemps ; ensuite, il sortit de la cabane, et les musulmans se formèrent en ordre de bataille. Le Prophète, un bâton à la main, passa devant les rangs pour les aligner. L’un des Ançârs, nommé Sewâd, fils de Ghaziyya, sortait un peu hors du rang. Le Prophète lui donna un coup de bâton sur le ventre et lui dit : Aligne-toi ! Sewâd dit : Ô apôtre de Dieu, tu m’as fait mal : Dieu t’a envoyé pour accomplir la justice, laisse-moi prendre ma revanche. Le Prophète répliqua : prends-la. Sewâd le presse sur son coeur et l’embrassa. Pourquoi fais-tu ainsi ? dit le Prophète. Parce que, répondit Sewâd, je suis au moment de paraître devant Dieu ; je suis prêt à mourir.
Mais, avant de mourir, j’ai voulu que ma peau touchât la tienne, afin que je sois préservé de l’enfer. Le Prophète prononça trois fois les paroles : tu es préservé de l’enfer. Ensuite le Prophète acheva de mettre en ordre de bataille ses troupes, et les infidèles firent de même. Le premier qui sortit des rangs de l’armée des infidèles fut ‘Otba, à cause du reproche qu’Abou Djahl lui avait fait de manquer de 2011courage.
Il était de taille plus élevée que tous les Qoraïschites, et l’on ne trouvait pas de casque assez large pour sa tête. Il roula un turban autour de sa tête, revêtit sa cuirasse, prit toutes ses armes et vint se placer entre les deux armées. Son frère Schaïba et son fils Walid le suivirent. Otba défia les musulmans à un combat singulier. Trois hommes d’entre les Ançâr sortirent des rangs des musulmans : Auf et Mo’awwid, fils de Abdallah, fils de Rewa’ha qui était l’un des principaux Ançâr. Comment vous appelez-vous ? dit Otba. Chacun d’eux dit son nom et sa famille. Otba dit : rentrez, vous n’êtes pas nos égaux. Il y a parmi vous beaucoup de Quoraïschites qui sont nos égaux, qui ont quitté La Mecque afin de combattre pour Mohammed contre nous. Ces trois hommes se retirèrent.
Ensuite, Otba cria au Prophète Ô Mohammed, envoie des hommes qui soient bien nos pairs, des Qoraïschites qui sont avec toi. Le Prophète dit à Ali, fils d’Abou-Tâlib, à Hamza, fils d’Abdou’l-Mottalib, et à Obaïda, fils de ‘Hârith, fils d’Abdou’l-Mottalib : Allez, vous êtes leurs égaux et de la même famille qu’eux. Obaïda, le plus âgé d’entre eux, se plaça en face d’Otba, Hamza, devant Schaïba, et Ali, devant Walid. Ces derniers étaient jeunes tous les deux Ali n’avait pas encore vingt ans. Hamza était âgé de cinquane-trois ans. Ali attaqua Walid et le fendit en deux. Hamza tua également son adversaire Schaïba. Otba, luttant avec Obaïda, le frappa d’un coup de sabre qui lui coupa la cuisse, de sorte que la moelle sortit de l’os. Ali et Hamza accoururent, tuèrent ‘Otba et emportèrent Obaïda dans leur camp. Le Prophète, le voyant dans cet état, lui dit : Sois content, ô Obaïda, tu n’es séparé du paradis que par le dernier souffle de ton âme, tu entreras dans le paradis éternel. Obaïda dit : Si Abou Tâlib vivait encore, il verrait que j’ai réalisé ce qu’il a dit dans son vers : « Nous ne vous l’abandonnerons pas avant que nous et nos enfants soyons tués autour de Mohammed». J’ai plus de mérite que lui. Le Prophète lui dit : Tu as plus de mérite que lui ; car lui n’a fait que le dire, mais toi, tu l’as réalisé par le fait.
Ensuite, le Prophète encouragea les hommes, qui commencèrent le combat, tandis qu’il allait et venait dans le camp, par-devant et par-derrière. Une flèche de l’armée ennemie frappa et tua un affranchi d’Omar, fils d’Al-Khattâb, nommé Mihdja’. Ensuite, Obaïda, fils de Hârith, mourut. Un des Ançâr, nommé Hâritha, fils de Sorâqua, de la tribu de Nadjâr, fut également tué par une flèche de l’armée des infidèles. Le Prophète excitait toujours ses soldats. Un homme d’entre les Ançâr, nommé Omaïr, fils de Hammâm, tenait dans la main quelques dattes, qu’il mangeait sous les yeux du Prophète. Celui-ci, en exhortant les soldats, dit : il ne vous faut, pour obtenir le paradis, que trouver le martyre. Omaïr, entendant ces paroles, jeta ses dattes, en disant : s’il en est ainsi, j’ai assez d’une datte jusqu’à ce que j’entre dans le paradis. Il tira son sabre, se lança dans les rangs des ennemis, en frappa et en tua plusieurs, et fut tué lui-même.
Le Prophète entra avec Abou-Bakr dans la cabane, se prosterna de nouveau, pleura et supplia : il dit : Ô Seigneur, si cette troupe qui est avec moi périt, il n’y aura plus après moi personne qui t’adorera ; tous les croyants abandonneront la vraie religion. Il tenait ses mains levées vers le ciel, en priant. Enfin, Abou-Bakr lui prit les mains et dit : Apôtre de Dieu, ne cherche pas à forcer Dieu par ta prière. Le Prophète répondit : je demande, ô Abou-Bakr, l’accomplissement de sa promesse. Pendant qu’ils parlaient ainsi, Gabriel vint avec mille anges, se présenta au Prophète et lui dit : Sois content ; Dieu m’a envoyé à ton secours avec mille anges. Puis il lui récita ce verset du Coran : “Le jour où vous demandiez l’assistance de votre Seigneur, il vous exauça. Je vous assisterai, dit-il, de mille anges se suivant les uns les autres”. (Sur VIII, vers. 9). Le Prophète dit : O mon frère Gabriel, mille anges ! Gabriel dit Trois mille, ô Mohammed. Trois mille ! répéta le Prophète. Oui cinq mille, répliqua Gabriel. Aussitôt le Prophète sortit en courant de la cabane pour porter aux musulmans cette bonne nouvelle. Il cria à haute voix : Dieu a envoyé trois mille anges à votre secours. Ils répétèrent dans leur joie : trois mille ! – Oui, cinq mille, répliqua le Prophète. Ensuite Gabriel récita au Prophète le verset suivant : «Dieu vous a secourus à Badr, car vous étiez faibles … Alors tu disais aux fidèles : Ne vous suffit-il pas que votre Seigneur vous assiste de trois mille anges ? » (Sur. III, vers 119-121). Le Prophète récita le verset aux fidèles.
