Y a-t-il une vraie politique de sauvegarde de patrimoine national ? La réponse reste partagée. Pour certains, les pouvoirs publics n’épargnent pas leurs efforts pour sauvegarder des sites historiques : Chellah, Mosquée de Hassan, Oudayas, etc. D’autres font savoir que certains responsables, chargés de la protection du patrimoine, ont failli à leur mission. Pour illustrer leur constat, ces critiques dénoncent la détérioration avancée à Rabat de l’ancien «Palais de Justice» des années 20.
Situé sur l’avenue Mohammed V à Rabat, ce monument fait partie d’un ensemble de sites historiques (La Poste, Bank Al-Maghrib, etc.) qui entourent la grande Place El Barid (La Poste).
Cette ancienne bâtisse, appelée aussi «Casa Blanca» (Maison blanche), a également abrité le siège du ministère de l’Information après l’indépendance. Aujourd’hui, cet ancien site connaît une détérioration avancée. Les murs sont délabrés, les fenêtres sont cassées et à l’intérieur tout a été arraché. Quant à ses environs, ils sont devenus le refuge des clochards et des sans domicile fixe (SDF).
Ces marginaux ont transformé les deux côtés de la grande porte en fer forgé de ce site historique en toilettes à ciel ouvert.
Dimanche dernier, vers 18 h 30, un couple accompagné de ses deux filles sont venues s’assoir non loin de cet ancien site. Curieuse, la grande fille a pris sa petite sœur par la main pour monter les escaliers. Chassées par les mauvaises odeurs, les deux filles sont revenues en courant, horrifiées, pour raconter à leurs parents leur horrible découverte. Quant au jardin limitrophe, lui également est abandonné. Cet espace «vert» se trouve dans un état lamentable. Bouteilles d’eau en plastique, boîtes de gâteau vides et autres déchets traînent autour des seuls quatre bancs de ce jardin.
Face à ce constat, qui est donc responsable de l’abandon de ce site historique ? Ce joyau architectural situé au centre-ville de Rabat, ville inscrite sur la liste du Patrimoine mondial 2012 de l'UNESCO. D’autant plus que Rabat s’apprête à recevoir en octobre prochain le Sommet mondial des dirigeants locaux et régionaux. «Ce bâtiment historique qui relève de la ville de Rabat a fait l’objet dans le passé de deux grands projets.
Il devait abriter le Musée national de l’archéologie ou le Musée national de la parure. Mais ces deux grandes initiatives ont été annulées pour des raisons inconnues. Ensuite, la mairie de Rabat s’était intéressée à ce site pour le restaurer et le transformer en Hôtel de Ville. Toutefois, ce projet a été également vite oublié. Aujourd’hui, l’avenir de ce monument historique est entre les mains du conseil de la ville de Rabat. Il doit informer l’opinion publique de ce qu’il compte en faire. Vu son état actuel, sans intervention urgente, ce site est condamné à disparaître», a expliqué, sous couvert d'anonymat, une source au ministère de la Culture. Et d'ajouter : «Nous avons essayé de contacter la personne responsable de la division de l’urbanisme à Rabat pour connaître sa version, mais elle est restée injoignable. Pendant ce temps, les langues se délient». «Abandonner un bâtiment ancien pour venir après évoquer ses nuisances sur la santé publique est une méthode bien connue pour servir les intérêts des promoteurs immobiliers.
D’ailleurs, c’est de cette manière que les terrains réservés par les plans d’aménagement urbains aux espaces verts se transforment en immeubles», a dénoncé un militant associatif.
Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire national, plusieurs sites historiques témoignant de la période du Protectorat français sont laissés volontairement à l’abandon. Sur ce registre, il faut signaler que non loin de Rabat, l’église de Skhirate a, elle aussi, perdu son toit. À Kénitra, «Dar Lahlib» (Goutte de lait, du nom de la fondation internationale éponyme), un lieu où les mères allaitantes venaient nourrir des bébés dont les mamans avaient une insuffisance de lait maternel est lui aussi menacé.
Ce haut lieu de la mémoire de la capitale du Gharb ayant qui a servi depuis les premières années du Protectorat comme centre d’œuvres sociales et de revendications nationales est lui aussi visé par le conseil de la ville. Ce dernier souhaite le détruire pour y construire un immeuble à plusieurs étages, abritant un complexe culturel : théâtre, cinéma, etc. Toujours dans la capitale du Gharb, un autre monument historique, l’«Horloge», situé entre le commissariat central et la wilaya de la Sûreté nationale est également laissé à l’abandon.
La Convention du patrimoine mondial de 1972 a joué un rôle majeur dans la promotion de la conservation du patrimoine urbain historique. Aujourd’hui, les villes historiques constituent la plus importante «catégorie» de la liste du patrimoine mondial, avec plus de 250 sites inscrits sur un total de plus de 900 sites.