Une poule aux œufs d’or ! Voilà comment on qualifie la filière avicole. L’activité pèse actuellement 29,7 milliards de dirhams de chiffre d’affaires et 10 milliards d’investissements. Les quelque 5.000 éleveurs recensés assurent une production de 495.000 tonnes, selon la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (Fisa). «Si nous en sommes aujourd’hui à ce volume, c’est que les investissements dans le secteur ont nettement augmenté ces dernières années», explique Chaouki Jerrari, directeur général de la Fisa. La production doit encore progresser en 2015.
Concrètement, les professionnels pronostiquent une hausse de 25 à 30% des volumes produits l’année prochaine. À ce rythme, la filière pourrait dépasser les objectifs fixés par le contrat-programme 2011-2020 qui table sur 900.000 tonnes de viandes de volaille en 2020. La production du poulet de chair (420.000 tonnes en 2013) et des œufs de consommation (4,5 milliards) couvre à plus de 100% les besoins de consommation du pays. La consommation de viandes de volaille ressort à 15,9 kg/habitant/an et celle des oeufs à 156 unités/hab./an.
Avec de telles performances, la profession est-elle pour autant satisfaite ? «Non pas vraiment !», lance un éleveur membre de l’Association des producteurs de viandes de volaille (APV), rencontré lors du Salon Dawajine (25-27 novembre 2014). Le fait est que l’expression «poule aux œufs d’or» dont on taxe le secteur fait jaser les producteurs. Plusieurs d’entre eux affirment en avoir assez «de se faire plumer». Motifs invoqués par la Fisa : la filière est en surcapacité, en plus du statut fiscal de l’éleveur, toujours considéré par l’État comme investisseur industriel et la problématique du butoir de la TVA dont le cumul dans les caisses de l’État frôle aujourd’hui plus d’un milliard de dirhams. «Nous ne cessons de militer au sein de la Fisa pour une réparation des injustices fiscales vis-à-vis de notre secteur. La réhabilitation du statut fiscal de l’éleveur est plus que vitale pour la profession. Nous espérons que cette réclamation soit prise en considération dans le processus d’amendement du projet de budget 2015», déclare le directeur général de la Fisa.
Pour Mustapha Hasnaoui, investisseur avicole également membre de l’APV, c’est quasiment insensé de soumettre un éleveur de volailles au même régime fiscal qu’un industriel. «C’est une véritable aberration. Nous sommes des agriculteurs et nous devons profiter des mêmes exonérations et avoir droit au même traitement réservé aux éleveurs de ruminants», dénonce-t-il. La problématique du butoir de la TVA donne aussi la chair de poule aux éleveurs. «Alors que le cumul sur les dix dernières années s’élève à un milliard de dirhams, le secteur ne serait remboursé au titre de l’exercice 2014 qu’à hauteur de 70 millions compte tenu du seuil du remboursement du butoir fixé à seulement 20 millions de dirhams pour l’exercice en cours», s’indigne la Fisa.
Le secteur s’autorégule… très lentement
Pour un bon nombre de producteurs, la filière est en quelque sorte victime de son propre développement. Comment ? Selon Hasnaoui, l’aviculture est un secteur libéralisé, d’où d’importants investissements. Leur cumul à fin 2013 s’établit à 10 milliards de dirhams. C’est d’ailleurs une tendance que l’on observe depuis 2011, année où l’État a dû exceptionnellement intervenir pour réguler le marché en limitant les importations de reproducteurs chair».
Résultats des courses : des quantités himalayennes de poulets et dindes sont mises sur le marché. «Très souvent, l’offre dépasse largement la demande. Ce qui contribue à casser les prix et partant générer des pertes importantes», indique Jerrari. Et le principe de l’autorégulation dans tout cela ? Pour le directeur général de la Fisa comme pour d’autres éleveurs, il y a quelques années, le secteur ne mettait pas beaucoup de temps pour enclencher sa propre régulation. «C’est très simple : les producteurs comptaient beaucoup sur leur fonds propre et chiffre d’affaires pour réinvestir.
Ceux qui laissaient des plumes pendant deux ou trois années successives mettaient automatiquement la clé sous le paillasson. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Bon nombre de producteurs peuvent tenir plus longtemps puisqu’ils ont derrière des industriels de l’aliment composé qui financent leurs investissements et leur concèdent des crédits en millions de dirhams. Si l’on pouvait quantifier l’encours de ces crédits, on tomberait à la renverse», explique Hasnaoui.
En dépit de la signature du contrat-programme pour moderniser l’activité, plusieurs contraintes subsistent. Exemple : l’aval de la filière qui peine à suivre la dynamique de l’amont. En plus de la difficulté d’assainissement de l’activité d’abattage et la non-application de la réglementation (loi 49-94) qui oblige la restauration collective à s’approvisionner en viandes de volaille préparées exclusivement dans des abattoirs agréés et régulièrement surveillés par les services vétérinaires. À tout cela, il faut ajouter la persistance d’un secteur traditionnel fermier non intégré dans la vision de développement du secteur. Malgré les efforts de l’État dans le contrôle des tueries, la filière reste dominée par une forte présence de l’abattage traditionnel avec une quasi-absence des conditions sanitaires.
Selon l’APV, seulement 5 à 10% de la production du poulet de chair (420.000 tonnes en 2013) est traitée dans les abattoirs industriels contre 70% pour la dinde dont la production aura atteint quelque 75.000 tonnes. «Les opérateurs préfèrent parfois écouler leurs productions sur le marché de gros traditionnel au lieu de traiter avec les abattoirs industriels dont plusieurs ne respectent pas leurs engagements avec les éleveurs. Par exemple, l’éleveur se met d’accord avec un abattoir pour lui fournir toute sa production à un prix fixé à l’avance. Si, entre temps, les cours baissent sur le marché, l’abattoir exige une révision à la baisse du prix, sinon il s’approvisionne directement sur le marché. Ce qui engendre des pertes considérables pour l’éleveur. C’est pour cela que nous réclamons un contrat commercial type pour cadrer les rapports commerciaux entre les abattoirs industriels et les éleveurs», soutient Hasnaoui.
Un constat que confirme le directeur général de la Fisa qui indique que l’éleveur ne peut rester à la merci de l’abattoir et vice-versa. «Si les éleveurs ne traitent pas avec les abattoirs industriels, c’est aussi à cause des délais de paiement qui dépassent les 4 mois. En plus, plusieurs abattoirs industriels privilégient les effets de commerce pour le règlement des créances qui s’étalent sur de longues périodes sans que le paiement soit garanti», affirme Hasnaoui.
Qu’en dit l’Association nationale des abattoirs industriels avicoles (Anavi) ? Pour son président, Omar Benayachi, le secteur des abattoirs industriels, une vingtaine au total, tourne à moins de 50% de sa capacité. «Les temps sont durs pour les abattoirs industriels qui vivent des difficultés financières à cause de la non-activation de la loi 49-99 en vigueur depuis avril 2007 qui oblige en principe la grande distribution et la restauration collective à s’approvisionner auprès des abattoirs agréés. Il faut savoir aussi que nous travaillons essentiellement avec la grande distribution et la restauration collective. Ces dernières ont des délais de paiement relativement importants. Du coup, il est difficile pour les abattoirs industriels de régler nos créances dans de très brefs délais», affirme Benayachi.
Le président de l’ANAVI assure, par ailleurs, que les abattoirs industriels absorbent à peine 8,5% de la production totale du poulet de chair, soit 67.000 tonnes en 2013 et plus de 70% de la dinde. «La problématique du prix ne se pose pas dans certains pays européens où l’éleveur est payé pour sa prestation d’élevage et non en fonction du prix du marché. Si la loi était respectée, les abattoirs réaliseraient de bonnes performances et du coup paieraient leurs fournisseurs à temps.
Il va falloir convertir les tueries traditionnelles en points de vente et les obliger à s’approvisionner auprès des abattoirs pour des questions de traçabilité sanitaire à l’instar de ce qui a été déjà fait en Tunisie par exemple. Ainsi, nous pourrons absorber de grandes quantités de poulet et ne n’aurions pas de difficultés commerciales avec les éleveurs», décrypte Benayachi.
