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La douleur, premier motif de consultation

Véritable enjeu de santé publique, la douleur motive près de 64% des consultations médicales. Domaine de recherche très actif, elle fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études. Des travaux indispensables pour comprendre plus précisément les mécanismes en jeu et permettre ainsi l’élaboration de nouveaux traitements afin que la douleur ne soit plus vécue comme une fatalité.

La douleur, premier motif de consultation
L'impact psychologique de la douleut ne doit plus être ignoré.

L’Association internationale de l’étude de la douleur propose de définir la douleur comme «une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage». La notion de douleur ne se limite donc pas aux seules causes lésionnelles. Il existe deux différents types de douleur : la douleur aiguë et la douleur chronique. «La douleur aiguë constitue un “signal d’alarme”, protecteur de notre intégrité, qui nous avertit qu’elle est menacée», explique le professeur Mati Nejmi, directeur du programme de recherche «Douleurs sans frontières» au Maroc. Qu’il s’agisse d’un traumatisme (fracture ou brûlure), d'une inflammation ou d'un autre dommage tissulaire, cette douleur va induire plusieurs types de modifications physiologiques et physiopathologiques, représentées essentiellement par des perturbations cardiovasculaires, respiratoires, digestives et neuroendocriniennes, associées à une détresse psychologique et de l’anxiété.

Par contre, une douleur chronique va avoir un retentissement plus important sur la vie du sujet. Il est classique de parler de douleur chronique lorsque celle-ci persiste au-delà de la période habituelle de cicatrisation de la lésion causale ou lorsque la douleur est présente quotidiennement pendant plus de 3 à 6 mois. Ce type de douleur est, par ailleurs, un réel problème de santé publique, compte tenu du nombre considérable de sujets atteints et des répercussions socioéconomiques. «Une enquête intitulée “État des lieux de la prise en charge de la douleur au Maroc” a permis de démontrer que la douleur est le symptôme le plus fréquemment rencontré (64% des motifs de consultation), toutes spécialités confondues», souligne le professeur Nejmi.

Parmi les douleurs les plus fréquemment rencontrées figurent les douleurs ostéo-articulaires (75%), suivies des douleurs abdominopelviennes (65%), les céphalées et les migraines (50%) et ORL», informe le Pr Nejmi. Au niveau des CHU de Rabat et Casablanca, deux enquêtes ont permis de mettre en exergue les lacunes de la prise en charge de la douleur après un acte chirurgical. La prévalence de la douleur postopératoire était estimée en moyenne à 75%. La majorité (78%) des opérés ont souffert en salle de réveil et durant les 24 premières heures postopératoires dans leurs chambres. Les antalgiques périphériques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont les médicaments les plus prescrits en postopératoire. L’utilisation de la morphine était exceptionnelle. Enfin, la majorité des patients (85%) sont pour la création de structures pour une gestion plus efficace de la lutte contre la douleur postopératoire.

La douleur liée au cancer est également très fréquente et dramatiquement mal prise en charge. Une étude réalisée à l’Institut national d’oncologie au CHU de Rabat en 2000 avait montré que la prévalence de la douleur affecte plus du tiers des patients à un stade initial de la maladie et était présente chez plus des 2/3 (82%) à un stade avancé. À son admission, près d’un patient sur deux (48%) n’a reçu aucun traitement antalgique et la majorité (90%) de ceux souffrant de douleurs intenses n’a pas été traitée par de la morphine. Pourtant, la prise en charge de ces mêmes malades, suivant les recommandations antalgiques de l’OMS, a permis en moins d’une semaine de soulager correctement la majorité d’entre eux.

Enfin, en 1998, un travail auprès des patients atteints de Sida au CHU de Casablanca a révélé que la douleur était très fréquente (70%) chez patients. Ces douleurs étaient invalidantes (74%) avec un retentissement sur la qualité de vie dans 76% des cas. La majorité d’entre eux (75%) n’a reçu aucun traitement antalgique. Seuls 2% ont reçu de la morphine. À l’heure actuelle, ce type de douleurs reste malheureusement ignoré et par conséquent sous-évalué et tragiquement non traité. L’impact psychologique de telles douleurs nécessite souvent une approche multidimensionnelle avec en parallèle une approche psychologique et somatique. Les douleurs chroniques les plus fréquentes sont les lombalgies, les douleurs neuropathiques, les céphalées chroniques quotidiennes (avec ou sans abus médicamenteux), les cervicalgies, les tableaux de fibromyalgies, les douleurs abdomino-génitales (par exemple : colon irritable, adhérences intestinales, cystite ou douleur périnéale) et les douleurs liées au cancer ou à son traitement. L’absence de soulagement conduit la personne à l’isolement, au repli sur soi et à la dépression (suspension de l’intérêt pour le monde extérieur, inhibition de toute activité, diminution de l’estime de soi, insomnie, refus de nourriture).

Le fait de souffrir en permanence de douleur chronique peut provoquer des sentiments d’agressivité, en particulier contre le corps médical. À l’inverse, certaines douleurs chroniques génèrent une culpabilité ou un sentiment d’échec, elles sont même vécues comme un stigmate rappelant ou réparant un événement de vie douloureux. «Même si les douleurs évoluent de telle sorte qu’elles accablent effectivement pour “toujours” les patients et leur entourage, une amélioration progressive est possible grâce à différents traitements et aux quelques unités de soins palliatifs (bien que peu nombreuses) qui commencent à voir le jour dans notre pays», conclut le spécialiste.


Explications : Professeur Mati Nejmi, Unité de traitement de la douleur et de médecine palliative, directeur du programme de recherche «Douleurs sans frontières» au Maroc

«Il est navrant de constater que nous ne disposons que d’un seul centre de traitement de la douleur»

Quel est le seuil de douleur supporté par le corps humain ? Que se passe-t-il au-delà ?
Différentes échelles d’évaluation de l’intensité de la douleur sont à notre disposition. Certaines, dites d’auto-évaluation, permettent au sujet d’indiquer lui-même le degré d’intensité en présence d’une douleur aigüe. Selon que cette intensité est faible, modérée ou très intense, le médecin prescrira l’antalgique adéquat. Depuis 1986, l’Organisation mondiale de la santé a émis dans le cadre des douleurs nociceptives des recommandations permettant d’adapter l’antalgique adéquat en fonction de l’intensité de la douleur. Si les antalgiques périphériques sont recommandés pour les douleurs faibles à modérées, l’OMS recommande d’utiliser de la morphine pour toutes les douleurs sévères à condition de faire un diagnostic précis de l’origine de la douleur. Ceci nécessite bien entendu une formation des professionnels de la santé afin de la prescrire suivant les règles de l’art. Faute de quoi, la persistance d’une douleur intense peut être délétère pour le patient du fait de ses répercussions en particulier cardiovasculaires, notamment chez les sujets âgés dont les accès hypertensifs et la perturbation de la vascularisation coronaire, du fait de l’augmentation de la fréquence cardiaque, peuvent entraîner des conséquences fâcheuses.

Sommes-nous tous égaux face à la douleur ?
Il semble bien qu’il y ait à la fois des éléments culturels et physiologiques qui entrent en jeu lors de la perception et de l’expression de la douleur des femmes et des hommes. En effet, la meilleure discrimination féminine des stimuli établit assez clairement l’existence de paramètres physiologiques, alors qu’en présentant comme féminines ou masculines certaines sphères de l’activité humaine, la culture peut aussi jouer un rôle important. Les deux pistes devront donc être explorées à fond avant d’en arriver à une compréhension totale du phénomène. L’élément le plus important des différentes études est la mise en évidence des différences individuelles dans la perception de la douleur. La différence de perception de la douleur selon le sexe semble s’expliquer par une plus grande part d’apprentissage socioculturel que de facteurs physiologiques.

Quelles solutions existe-t-il concernant le traitement de la douleur au Maroc ?
La lutte contre la douleur et le développement des soins palliatifs, longtemps restés otages du non entendu et du non reconnu, sont en effet aujourd’hui une priorité sanitaire à l’échelle internationale. L’accès aux soins palliatifs est une obligation légale reconnue par les conventions des Nations unies ; il a été préconisé comme un droit humain par des associations internationales, se fondant sur le droit de chacun de jouir du meilleur état de santé physique et mental possible. Dans les cas où les patients doivent faire face à des douleurs, l’incapacité des gouvernements à fournir des soins palliatifs peut être considérée comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les soins palliatifs peuvent efficacement soulager, voire éviter ces souffrances, et peuvent être fournis à un coût relativement faible. Pourtant, dans notre pays, malgré les 13 mesures relatives aux soins palliatifs énoncées dans le plan cancer établi depuis 2010 par la Fondation Lalla Salma de prévention et de traitement du cancer, le gouvernement n’a pas encore pris les mesures adéquates pour lancer un Plan national de lutte contre la douleur et un Plan national des soins palliatifs. La seule initiative prise en juillet dernier était à l'amendement de la loi de 1922 permettant la prescription de morphine orale pour 28 jours. Il est urgent de simplifier les procédures administratives contraignantes à l’octroi du «Carnet à souches» pour permettre aux médecins de prescrire de la morphine aux patients qui en ont besoin.

Combien de centres sont aujourd’hui spécialisés dans le traitement de la douleur au Maroc ?
Nous ne disposons que d’un seul Centre national d’évaluation et de traitement de la douleur situé à l’Institut national d’oncologie au CHU de Rabat. 10 chambres sont dédiées à l’hospitalisation des malades en souffrance. Il existe 3 salles de consultation. Enfin, une équipe mobile de soins palliatifs travaille sur la région de Rabat.
Plus récemment, en 2013, une Unité de traitement de la douleur et de médecine palliative a vu le jour dans une clinique privée à Casablanca. La création de cette unité répond au souci de suivre les importantes mutations des systèmes de santé en matière d’amélioration de la qualité de vie des patients et une humanisation des soins, une des pierres angulaires pour faire évoluer les pratiques et la réussite des traitements. Ses 3 principales missions sont ainsi centrées autour des soins en complémentarité avec les soins médicaux prodigués par les médecins traitants, de la formation de professionnels de la santé en tant que pôle de référence et de la recherche par des études et des publications scientifiques.

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