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Baisse des taux directeurs : Pourquoi ça ne marchera pas

La Banque centrale a encore baissé le taux directeur de 0,25 point, le ramenant à 2,5%. Cette mesure, qui intervient 84 jours à peine après la réduction de même niveau intervenue en septembre, correspond à la période la plus courte entre deux actions sur les taux depuis 1995. Et si l’on prend en compte la décision prise par l’Institut d’émission en mars de réduire le niveau de la réserve obligatoire, 2014 aura été un millésime assez riche en décisions monétaires. C’est dire la sensibilité de la situation. L’objectif de toutes ces mesures, tel qu’annoncé par Bank-Al-Maghrib, est de donner un coup de pouce à une économie en panne de croissance et en pleine tourmente déflationniste.
Ce qui a très peu de chances de marcher. Explications.

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Une décision hors contexte !
En moins d’une année, la Banque centrale a réduit de 2 points le montant des réserves obligatoires des banques commerciales et a diminué à deux reprises le taux directeur, de 0,25 point à chaque fois. Aujourd’hui, le niveau de la réserve obligatoire est de 2% (il était de 25% en 1992) et le taux directeur est de 2,5% (contre 7% en 1995). Des niveaux historiquement très bas pour doper monétairement la croissance. Or, celle-ci semble «se laisser désirer» et demeure, en dépit de tous ces efforts, terne et dangereusement faible pour une économie comme la nôtre qui doit réaliser au moins 7% de taux de croissance sur plusieurs années pour aspirer à l’émergence. Au terme de l’année en cours, nous serons au meilleur des cas à un taux de croissance de la richesse nationale de 3% ! La question devient donc accablante et presque embarrassante pour les responsables de la politique économique. Pourquoi ça ne marche pas ? Est-ce un problème de mauvais diagnostic, de remède inapproprié ou, pis encore, les deux à la fois ?
Le raisonnement sur la base duquel les décisions monétaires sont prises dans notre pays est fort simple. En rendant accessible le crédit par une action sur son volume (à travers la baisse de la réserve obligatoire, ce qui libère les capacités d’octroi des crédits par les banques) et sur son coût (à travers la réduction des taux directeurs, en espérant que les banques répercuteront sur leur clientèle), on encourage les ménages à s’endetter pour consommer et les entreprises à s’endetter pour financer des investissements rendus nécessaires pour faire face à l’accroissement de la demande émanant des ménages. Ceci relance l’activité, crée des emplois et génère de la croissance. Or, ce raisonnement n’est malheureusement valable que pour régler des problèmes de conjoncture et, même dans ce cas, son effet est limité par plusieurs facteurs que nous développerons par la suite. Commençons, en revanche, par faire remarquer que la croissance, sujet devenu brusquement à la mode après avoir été longtemps relégué aux seconds rangs, au profit de la lutte contre les déficits et la maîtrise de l’inflation, est tributaire chez nous davantage de la générosité du ciel que des politiques économiques que nos responsables qualifient de «volontaristes». Le taux de progression de notre PIB est très lié à sa composante agricole, elle-même sujette, à la variation des précipitations. Rien de glorieux pour nous ! Il est, en effet, regrettable de constater qu’en dépit de toutes les initiatives économiques (plans sectoriels et grands projets d’infrastructures), c’est la pluviométrie qui continue, en 2014, de décider de nos performances économiques.
S’agissant de la décision elle-même d’agir sur les taux directeurs, il est clair qu’elle peut avoir quelques effets positifs à court terme sur les entreprises et les ménages, notamment en réduisant le coût de l’endettement et, surtout, en dopant les plus-values des portefeuilles obligataires des banques (les plus-values sur obligations évoluent dans le sens inverse des taux d’intérêt). Quant à son impact sur la relance de l’activité, qu’il nous soit permis d’en douter fortement pour les raisons suivantes.

Trappe à la liquidité
Quand une économie est victime de la trappe à la liquidité (situation où les taux d’intérêts réels deviennent tellement faibles que les agents économiques préfèrent détenir du cash que de prêter à ces taux), l’action à entreprendre pour stimuler la croissance doit être budgétaire, à travers une augmentation de la dépense publique pour remplir le carnet de commandes des entreprises, quitte à laisser filer momentanément le déficit budgétaire, et non une action monétaire, car celle-ci devient inopérante dans de telles situations. C’est la bonne vieille recette keynésienne.

Baisse des taux et distribution de crédits : une relation loin d’être évidente
L’autre facteur qui limite la portée de pareille mesure est lié à l’absence de corrélation évidente entre la baisse des taux directeurs et la variation des encours de crédit au Maroc, comme l’illustre le graphique qui retrace l’évolution des taux directeurs et de la variation des encours de crédit depuis 2002.

Une pression potentiellement néfaste
La machine du crédit qui a battu son plein durant la décennie 2000 a saturé la demande solvable de financement des ménages et des entreprises. Entre 2001 et 2010, les crédits distribués par le système bancaire ont été multipliés par 3,4, alors que le PIB n’a progressé sur la même période que de 79,1%. Dans ces conditions, toute pression sur le système bancaire pour augmenter ses prêts est de nature à financer une demande insolvable, périlleuse pour tout l’édifice. Une situation que les banques ne pourront pas supporter dans ce contexte de forte montée des dossiers de crédit contentieux, dont le provisionnement plombe déjà leurs comptes.

Commençons par l’essentiel
La politique monétaire est, on ne le répétera jamais assez, un instrument conjoncturel de politique économique. Elle ne saurait avoir la prétention de se substituer aux réformes structurelles, qui seules nous inscriront dans une dynamique de croissance pérenne. Or, tant que le pays n’a pas résolu ses problèmes structurels de compétitivité de ses entreprises et de productivité de son capital humain, la monnaie a très peu de chances de réussir là où les autres composantes de la politique économique n’ont pas fait le travail qu’il faut.
Ces mesures structurelles concernent l’amélioration de l’environnement des affaires, la réforme du marché du travail et la qualification des ressources humaines, la démocratisation de l’accès au financement (au-delà de la focalisation quasi exclusive sur son coût), la lisibilité et l’équité fiscale et l’exploitation des zones de libre-échange du Maroc. Le mélange des politiques est toujours une mauvaise politique !

Dotations, encore dotations et toujours dotations
La mère de toutes les réformes est de s’assurer que le Maroc dispose des dotations factorielles en quantité et en qualité nécessaires (terrains, capital matériel, capital humain et entrepreneuriat), à un coût raisonnable et qu’elles aillent en priorité s’investir dans les secteurs productifs, notamment ceux à dimension nationale (Maroc Vert, PEI, Vision 2020 du tourisme et Plans d’indépendance énergétique). Sans cette dotation, il ne sert à rien de donner des crédits à des agents qui ne pourront pas les transformer en richesses à long terme.

Attention aux guetteurs !
Les instruments de relance, dont la baisse des taux directeurs, n’ont de chances de produire leur plein effet dans une économie ouverte que si le Maroc développe une dotation factorielle supérieure à celle de ses principaux partenaires commerciaux. Autrement dit, si nos entreprises ne sont pas plus compétitives que celles des pays avec lesquels nous réalisons l’essentiel de notre commerce extérieur, toute relance que nous effectuerons (monétaire ou budgétaire), en l’absence de mesures protectionnistes de notre marché, leur profitera d’abord. La hausse de la demande, consécutive à la distribution des crédits, ne sera pas, au grand dam de nos responsables, satisfaite par une offre locale (qui n’existe presque pas), mais bel et bien par une hausse des importations, qu’il s’agisse des biens de consommation ou des biens d’équipement. Beaucoup de pays vivent de cette politique, où leur croissance est tirée par les politiques de relance de leurs partenaires commerciaux. Pourquoi y échapperons-nous ? 

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