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Un enseignant soupçonné d'attouchements sur une enfant

Une maman accuse un professeur du primaire d'attouchements sur sa fille âgée de 5 ans. L'enseignant nie les faits en bloc. En attendant que la justice tranche, des Casablancais se sont constitués en deux clans : les «pro-fille» et les «pro-enseignant».

Un enseignant soupçonné d'attouchements sur une enfant
Les collègues de l'enseignant accusé et une bonne partie des parents d'élèves crient à l'innocence de ce dernier.

«Stop pédophilie, protégeons nos enfants». Ce slogan revient à chaque fois qu’une affaire de viol de mineur est dévoilée au public. Cette fois, c’est à l’école Carmel Saint-Joseph de Casablanca que le scandale se déclenche. Les parents d’une fillette de 5 ans et demi portent plainte au mois de décembre contre un professeur du primaire de cet établissement pour attouchements sexuels.
Selon la maman de la petite, sa fille lui aurait fait cette confidence quand elle lui racontait une histoire sur «le diable». Ayant peur de sa mère, l’enfant aurait gardé ce secret pendant deux mois tout en subissant l’abus sexuel dudit enseignant. Toujours selon les déclarations de la maman, au cours d’un sit-in organisé devant l’école, la fillette aurait souffert physiquement et psychologiquement en silence. Elle a également déclaré que les sœurs et des membres de l’équipe pédagogique, responsables de l’école, seraient au courant de cette affaire, mais auraient choisi de la dissimuler pour sauvegarder l’image de l’école. «Une maitresse a surpris l’enseignant en flagrant délit, mais la direction a demandé à ma fille de lui donner une deuxième chance en lui faisant promettre de garder le secret», a-t-elle affirmé à un journal électronique.

Pour sa part, l’école avance l’hypothèse du complot. Cet établissement scolaire datant d’environ 80 ans et géré par des sœurs soutient le jeune professeur de mathématique accusé. Pour les responsables de l’école, il aurait été impossible que l’enseignant entre en contact avec la petite fille, vu que les sections du préscolaire et du primaire sont séparées et gérées par des équipes différentes, malgré l’existence d’une porte communicante. Même son de cloche auprès des parents et enseignants soutenant le professeur accusé. «Les petits sont gardés par huit éducatrices et les portes des classes restent toujours ouvertes. De plus, les employés de l’école passent toujours par le couloir où la maman avance que l’abus a eu lieu», indique un communiqué des parents d’enfants à l’école Carmel Saint-Joseph.

Un dossier flou

Les «pro-enseignant accusé» affirment que les diffamations de la maman ne sont pas basées sur des faits logiques. Alors que cette dernière, «en colère et attristée par cet acte», maintient ses propos et affirme que l’abus se faisait au moment de la pause déjeuner, selon les dires de sa fille.
Pour sa part, le principal accusé a nié les faits en bloc devant les services de la police qui ont décidé de le garder en détention provisoire. Selon une source proche du dossier, la petite fille aurait reconnu son violeur parmi un groupe d’autres hommes. Elle aurait également relaté les faits devant la police et le procureur général du Roi. «La fillette répète ce qu’on lui a appris. La preuve est qu’elle n’a pas su répondre quand le procureur a reformulé les questions», indique une membre des défendeurs dudit professeur. «Comment l’école peut-elle être aussi sûre de l’innocence de l’enseignant ? Les agresseurs trouvent toujours un moyen d’arriver à leur fin», rétorque une «anti-enseignant». Selon Docteur Mostapha Massid, psychologue clinicien, «l’enfant ne ment jamais, il ne fait qu’exprimer un ressenti. Surtout dans une situation de viol et tout dépend de l’âge, si l’enfant ment c’est qu’il a été poussé à le faire… Quel que soit le cas de figure, il faut l’écouter, c’est à l’adulte de savoir gérer la situation et, en cas de mensonge, il faut éviter de réprimander l’enfant et tenter de comprendre». Une chose est certaine, ce dossier a clivé les parents ainsi qu’une majorité des Casablancais suivant ce dossier en deux parties : les «pro-enseignant» et les «anti-enseignant» ou plutôt les «pro-fillette».

Les premiers disent être sûrs et convaincus des bonnes mœurs du jeune enseignant en question, mais aussi de la qualité de l’école et du choix de ses employés. La deuxième partie soutient la maman et ne voit pas pourquoi ni comment un parent consentirait à mettre son enfant dans une situation aussi délicate. Chaque partie appelle à ce que justice soit faite. En attendant, chacune des deux catégories, l’une à l’intérieur de l’école et l’autre à l’extérieur, organise des sit-in de protestation pour défendre sa cause. Au moment où des parents, surtout des mamans révoltées, crient «non au viol», des enseignants, étudiants et parents d’élèves brandissent des banderoles soutenant l'enseignant accusé d'attouchement. Ces derniers dénoncent la détention du professeur avant la fin de l’enquête. Selon des personnes suivant ce dossier, la petite fille est la première victime dans cette affaire. «Il y a beaucoup d’ambigüité dans ce dossier, des témoignages contradictoires, plusieurs questions restent sans réponse… Nous attendons avec impatience que la vérité éclate», écrit une personne sur l’une des pages Facebook créées pour cette affaire. «Nous ressentons la douleur de la maman et de la petite. On se met aussi à la place de l’enseignant s’il s'avère qu'il est innocent. Une chose est certaine, le viol de cette fille est un crime et il faut trouver le coupable», nous confie une autre maman.

L’éducation sexuelle nécessaire

Les personnes intéressées à ce dossier attendent avec impatience le verdict de la justice, mais elles craignent également les répercussions de cette situation fortement médiatisée sur la petite victime.
D’après Docteur Massid, «de nos jours il est presque impossible d’éviter la divulgation et la médiatisation des cas d’abus sur un enfant. 
Autant faire du mal un bien en expliquant à l’enfant que tout ce qui se passe autour de lui se fait pour le défendre et lui rendre justice, cela peut le rassurer. Toujours est-il qu’en cas d’abus, une prise en charge psychologique est nécessaire pour éviter des répercussions sur l’épanouissement ultérieur de l’enfant». Ce psychologue clinicien insiste sur le fait que «l’acte militant de la démarche est d'être présent pour lutter contre la pédophilie, croyant dur à la formule “Brisons le silence”». Selon lui, «dans un cadre médiatique ou associatif, certains messages passent, mais il convient de les rendre beaucoup plus accessibles, d’où la nécessité de combler ce manque terrible du volet sexuel dans l’éducation par les parents eux-mêmes».

Il faut dire que les enfants marocains ne reçoivent pas tous une éducation sexuelle de qualité. Certains sont sensibilisés par leurs parents, d’autres sont toujours enfermés dans le tabou. Selon les spécialistes, l’implication de la famille et de l’école pour donner aux enfants une bonne éducation sexuelle permettrait de les sensibiliser à la sexualité et aux relations interpersonnelles. Cette donne éviterait également plusieurs comportements inappropriés des jeunes dans les écoles. Grâce à l’éducation sexuelle, les jeunes découvrent leurs propres sentiments et les parents sont moins terrifiés à l’idée de confier leurs petits à des personnes tierces. L'actualité récente, en particulier l'affaire Carmel Saint-Joseph, a mis en lumière l’importance de l’éducation sexuelle, mais surtout la nécessité de créer un lien de confiance avec l’enfant pour éviter les mauvais
secrets. 


Questions à Par Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien, psychothérapeute

«La première chose extrêmement importante à faire est d’écouter l’enfant»

Avec tout ce qu'on entend actuellement sur les affaires d'abus sexuel et de pédophilie. Comment peut-on protéger les enfants ?
La pédophilie existe depuis la nuit des temps et existera toujours. De plus, il n’y a pas de profil type de pédophile, ce qui veut dire qu’il peut être n’importe qui, un étranger, un voisin, un proche, etc., et comme il y a des hommes pédophiles, il y a aussi des femmes pédophiles. Donc la seule et unique façon de prévenir et de protéger les enfants est de faire leur éducation sexuelle. Celle-ci doit être faite par les parents eux-mêmes.

Comment expliquer à un enfant, notamment un petit en crèche, qu'il doit faire attention pour éviter le harcèlement sexuel ?
En crèche, il est encore tôt pour parler à l’enfant de ces choses-là. Un enfant ne commence à s’intéresser à son corps que vers l’âge de 3 ans, il va commencer à poser des questions «gênantes» pour les parents, ou se toucher.
C’est l’occasion pour les parents d’aborder son éducation sexuelle en commençant par nommer clairement et sans ambiguïté les parties de son corps, y compris ses parties intimes, lui apprendre à l’aimer et le respecter en lui inculquant les notions de pudeur et d’intimité.
Progressivement, en fonction de l’âge et du rythme de l’enfant, on abordera avec des mots simples ce qu’est la sexualité, l’abus, les câlins qu’il ne faut pas accepter, la notion d’inceste, qu’est-ce que la pédophilie… et surtout établir une communication saine pouvant aider l’enfant à s’exprimer sur les choses de la vie librement et sans pudeur. Un enfant avisé saura se protéger.

Comment les parents doivent-ils réagir en cas de pédophilie ?
La première chose extrêmement importante à faire est d’écouter l’enfant, le réconforter,
le rassurer et lui assurer qu’on est là pour le défendre et le
protéger. Surtout éviter toute réprimande risquant de culpabiliser un enfant, quelle qu'ait été son attitude dans la situation, il n’est jamais coupable.
Ensuite, il faut engager une poursuite en se faisant aider par un avocat et des organismes de protection de l’enfance en tenant l’enfant informé pour qu’il se sente soutenu et protégé.

Questions à Par Dr Najiya Adib présidente de l'association «Touche pas à mes enfants» pour la protection de l'enfance

«Ce genre de situation n'arrive pas qu'aux autres»

L’affaire de viol à l’école Carmel Saint-Joseph a fait couler beaucoup d’encre. Certaines personnes sont avec la victime, d’autres soutiennent l’enseignant accusé. Que pouvez-vous nous dire sur ce dossier ?
Les gens témoignent sur des faits qu’ils n’ont pas vus. Les personnes soutenant l’enseignant accusé protestent contre une fille de 5 ans. Il se peut que le pédophile ait abusé d’autres victimes dont des enfants de parents manifestant en sa faveur. Si l’un de leurs petits a été touché, ils ne seraient pas aussi solidaires avec lui. Il faut savoir que ce genre de situation n’arrive pas qu’aux autres.
Autre point à soulever : pourquoi une fillette de 5 ans accuserait-elle à tort un professeur qui n’est pas le sien ? Si c’était une adolescente, on aurait pu croire en l’hypothèse de relation amoureuse ou de vengeance, mais dans cette affaire il s’agit d’une petite innocente.
Le corps professoral doit aussi savoir que le pédophile est responsable de sa personne. Ce genre d’accusations n’altère en rien la réputation des autres enseignants.

Mais, les «pro-enseignant» avancent que la maman de la fille a déjà eu des problèmes similaires avec une autre école ?
La petite fille a reconnu son présumé violeur et a montré le lieu du crime. Elle a également relaté les faits à plusieurs reprises. L’état ou la situation sociale de la femme ne nous intéresse pas. Il faut se concentrer sur la personne qui a abusé de la fille. Pourquoi n’a-t-elle pas accusé un autre professeur ? Il faut aussi signaler que la maman ne connaissait même pas le nom de l’enseignant en question. Il a fallu que sa fille le pointe du doigt pour l’identifier. Ce n’est pas la première fois qu’on rencontre des parents soutenant un pédophile. C’était aussi le cas du directeur d’école qui a abusé sexuellement d'une douzaine de filles. Les parents, amis et collègues ont organisé une marche pour le soutenir, mais il a été condamné en fin de compte. Des hommes de religion ont été aussi incriminés pour abus sexuel sur des mineurs. Il ne faut avoir confiance en personne et faire attention de tout le monde. Je dis à toute personne qui se lève contre la maman et sa fille : «mets ta main sur ton cœur et dis-toi bien que ce qui te fait du mal peut aussi faire mal aux autres».

Est-ce que vous pensez que l’éducation sexuelle serait une solution pour diminuer les viols de mineurs ?
On n’a pas d’éducation sexuelle au Maroc. Le sexe est une ligne rouge à ne pas dépasser.
Les parents ne doivent pas être schizophrènes : ils peuvent parler ouvertement de ce sujet à l’extérieur, mais une fois à la maison ils réprimandent leurs enfants et ne leur expliquent pas ce qui est bien ou mauvais en sexualité. On a mené de multiples campagnes de sensibilisation, mais il faut savoir que les pédophiles vivent et meurent pédophiles.
Il faut les dissuader avec des jugements plus sévères et des conditions d’emprisonnement moins confortables. En outre, un pédophile doit être pointé du doigt partout où il va. À l’instar de ce qui se fait dans des pays étrangers, après la libération d’un pédophile, les autorités doivent alerter les voisins. Il vaut mieux resserrer l’étau sur les pédophiles que de détruire une société, d'autant plus qu’on ne peut pas accompagner nos enfants partout y compris à l’école.

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