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«L’adoption de la médiation judiciaire constituera un tournant»

Le bureau Maghreb de la Société Financière Internationale, basé à Rabat, est un intervenant de premier plan dans la promotion de la médiation conventionnelle comme mode alternatif de règlement des différends. L’éclairage de Joumana Cobein.

«L’adoption de la médiation judiciaire constituera un tournant»
Joumana Cobein : «La médiation est une compétence qui s’acquiert lors de formations plutôt qu’un métier».

Le Matin Eco : Un peu plus de six ans après l’entrée en vigueur de la loi 08-05 introduisant un cadre législatif nouveau pour le recours à la procédure de la médiation conventionnelle, peut-on dire que ce mode alternatif de règlement des différends a commencé à être intégré par les entreprises ?
Joumana Cobein : Depuis l’entrée en vigueur de la loi 08-05, une forte campagne de sensibilisation auprès des entreprises, tous secteurs confondus, a été menée à travers le Maroc. Cette campagne s’est déroulée en partenariat avec les ministères de la Justice et des libertés; de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies; des Affaires générales et de la gouvernance, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le Centre Euromed de médiation et d’arbitrage (CEMA) et l’Association des femmes chefs d’entreprises du Maroc (AFEM). Elle a eu un effet positif auprès des entreprises en les incitant à intégrer des clauses de médiation dans leurs contrats commerciaux. Selon une étude menée dans le cadre du projet MARC Maroc (Modes Alternatifs de Résolution des Conflits), 40% des entreprises ayant participé à des conférences et formations sur le sujet ont intégré des clauses de médiation dans leurs contrats commerciaux. La médiation a également été adoptée par les institutionnels. C’est le cas, par exemple, de Bank Al-Maghrib qui a modifié ses statuts de médiation bancaire ou encore des principaux syndicats qui ont signé des conventions avec la CGEM inscrivant la médiation comme voie de résolution pour les conflits sociaux. On constate également qu’à chaque fois que cela est pertinent, les nouveaux textes de loi préconisent le recours à la médiation. Il en est ainsi, de la loi sur la protection du consommateur et la loi sur l’agrégation. Selon les chiffres recensés par la SFI auprès de centres de médiation et de médiateurs, 2.124 cas de litiges commerciaux ont été référés à la médiation à juin 2013, dont plus de 80% (1.729) ont été résolus. Le recours à la médiation a ainsi permis de libérer près de 2 milliards de dirhams.

Quels sont encore les principaux freins à un plein essor de ce mode et qu’est-ce qu’il faut faire pour les dépasser ?
Les principaux freins à l’essor de ce mode de règlement des conflits consistent notamment en le recours naturel et quasi systématique au contentieux, au manque d’information de l’existence et des avantages de la médiation aussi bien chez les citoyens que les entreprises. Par ailleurs, en ayant recours à la médiation, les entreprises ont besoin d’être rassurées sur le professionnalisme des centres ou des personnes la pratiquant.
Dépasser cet état de fait nécessite de sensibiliser la population, former des professionnels de la médiation et réfléchir aux moyens de garantir la qualité de la médiation.

La SFI a contribué à l’élaboration du projet de loi sur la médiation judiciaire. Dans quelle mesure ce texte pourra contribuer au développement de la médiation commerciale au Maroc ?
Le projet de loi permettra le désengorgement des tribunaux, dans la mesure où les magistrats pourront enfin inciter les justiciables à recourir à la médiation pour la résolution de certains litiges commerciaux. Actuellement, le juge ne se sent pas habilité à proposer le recours à la médiation puisque la loi 08-05 n’est pas explicite là-dessus. Prescrite par l’appareil judiciaire comme méthode alternative de résolution des conflits, la médiation gagnerait fortement en crédibilité. Les entreprises du secteur privé pourraient en effet résoudre leurs conflits commerciaux plus rapidement, libérant ainsi les fonds bloqués dans le cadre de litiges. De nouveau accessibles, ces fonds pourraient être réinvestis pour le développement de l’entreprise.

Pensez-vous qu’il faille verrouiller le métier de médiateur ou continuer à autoriser d’autres professionnels comme les avocats à l’exercer ?
Il n’existe pas de modèle universel pour l’encadrement des médiateurs. Nous constatons que des modèles différents sont appliqués suivant le contexte juridique, judiciaire et économique propre à chaque pays.
La médiation est une compétence qui s’acquiert lors de formations plutôt qu’un métier. Il faut donner l’opportunité à des personnes issues de professions diverses et qui ont donc des profils différents de pouvoir pratiquer aussi la médiation. Au Maroc, le médiateur doit signer le document de transaction qui a un poids juridique, il est donc nécessaire qu’il soit versé dans la loi marocaine.
Vous citez l’exemple de la profession d’avocat.
Les avocats sensibilisés et formés à la médiation en deviennent de fervents défenseurs. Par exemple, dans l’état de la Californie aux Etats-Unis, 90% des cas commerciaux passent par la médiation, à la suggestion même de l’avocat. Ils connaissent bien la valeur ajoutée du métier d’avocat et peuvent donc proposer ce mode alternatif de résolution des conflits quand ils le jugent opportun.

La SFI a initié le projet des Modes Alternatifs de Règlement des Conflits (MARC), qui vise plusieurs objectifs. Quel est le bilan de ce projet pour ses différentes composantes ?
Comme je vous le disais, le projet MARC a touché les axes prioritaires qui englobent la promotion de la médiation commerciale, à savoir la formation des médiateurs et des formateurs, la formation et sensibilisation des magistrats, la sensibilisation auprès des usagers potentiels de la médiation, le renforcement des capacités de centres de médiation et l’élaboration d’un cours de médiation pour les facultés de droit et les écoles de commerce. Ces initiatives ont pour objectif de pérenniser l’impact du projet en ancrant la culture de la médiation afin qu’elle devienne un réflexe pour les futurs avocats, juristes, chefs d’entreprise, décideurs, etc. Cela permettra à la médiation d’avoir toute sa place en tant que mode de résolution des conflits.

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