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«La stabilité dans le Sahel nécessite une approche globale»

Ahmed Ghozali.
L’ancien premier ministre algérien Ahmed Ghozali estime que l’instauration de la stabilité dans le Sahel est tributaire de la création d’une relation de confiance entre les citoyens et l’État. Dans un entretien accordé au «Matin Geopolis», il souligne également qu’il est grand temps de réaliser l’intégration économique maghrébine tant attendue.

«La stabilité dans le Sahel nécessite une approche globale»
LA RESPONSABILITÉ DU MAGHREB • Si nous-mêmes, au Maghreb, nous nous arrangeons pour éviter d’avoir des terroristes, c’est déjà une contribution notable à l’instauration de la sécurité et de la stabilité dans la région.bPh. AFP

La situation au Sahel est préoccupante et ne cesse de se détériorer. Quels sont, à votre avis, les préalables à l’instauration de la paix et de la sécurité tant attendues dans le Sahel et le Maghreb ?
La stabilité dans le Sahel et le Maghreb passe par l’instauration de la paix et de la sécurité dans chaque pays de cette région. Dans ce cadre, la relation entre le citoyen et l’État est déterminante. La sécurité ne peut, en effet, être assurée que s’il existe une harmonie entre la société et l’État. Dans tous les États avancés, qu’on aime le gouvernement ou pas, les citoyens ont la ferme conviction que c’est l’État qui assure la sécurité des populations. Dans ces pays, l’État peut compter sur la participation de toute la société en cas de menaces sécuritaires. D’ailleurs, le meilleur moyen de combattre l’insécurité est basé sur la confiance des populations et leur coopération spontanée. Le renseignement provient, en effet, des citoyens. En revanche, dans les pays où la confiance n’existe pas entre l’État et les citoyens, les terroristes profitent de cette neutralité de la société.

Justement, comment peut-on instaurer la confiance entre l’État et les citoyens ?
La conviction de certains décideurs porte sur la nécessité de donner des ordres pour assurer le bon fonctionnement de la société. Cette démarche est archaïque. Pourtant, on continue encore à imaginer que l’on peut gérer une société comme si l’on conduisait un troupeau de moutons. Il s’agit d’une marque d’anachronisme. Or, sans la participation de la population, on ne peut pas réussir la vie politique. Cette participation devra se faire sur la base de la conviction et de l’information. Il faut doter le citoyen des outils nécessaires pour faire la différence entre son intérêt personnel et l’intérêt général. C’est ce qu’on appelle la citoyenneté. Celle-ci réside entièrement dans la prise de conscience du véritable lien entre l’intérêt personnel qui est légitime et l’intérêt général. Il faut dire que l’incivisme est le résultat des conceptions erronées sur lesquelles est basé le pouvoir.
Pour lutter contre les dysfonctionnements, il faut établir de véritables institutions qui accordent aux citoyens la place qui leur échoit dans la société. Les institutions doivent être imbibées de cette culture et de celle du respect de la loi. La vie politique est une négociation permanente entre la société et le pouvoir. La négociation ne peut devenir possible que si la confiance mutuelle régit les relations entre le pouvoir et le citoyen.

Comment peut-on réaliser la relation entre sécurité et développement ?
On entend beaucoup de personnes parler de gouvernance en donnant leur propre définition à ce terme. En ce qui me concerne, je pense que la gouvernance c’est l’art de faire en sorte que le citoyen développe au maximum ses capacités en énergies créatives. Ce n’est que de cette manière que peut se développer la société. Celle-ci ne peut pas vivre sur une richesse qu’elle ne crée pas. Si on prend le cas de mon pays l’Algérie, l’essentiel de la vie des citoyens dépend d’une richesse qui n’a pas été créée par la société algérienne. Le pétrole et le gaz sont des richesses naturelles que le pays exploite.

Le tort des politiques qui se sont succédé c’est de ne pas avoir fait en sorte que ces ressources naturelles puissent être utilisées pour aider les Algériens à créer eux-mêmes la véritable richesse.
Le Maghreb regorge de potentialités en matière de ressources humaines. Mais, cette donne à elle seule n’est pas suffisante. Il faut instaurer la bonne gouvernance pour permettre à ces ressources de s’exprimer. Un individu, quel qu’il soit, réagit en fonction de ses intérêts. Pour gouverner, il faut savoir harmoniser la relation entre l’intérêt personnel et l’intérêt collectif en délimitant les frontières entre les deux. Il faut avoir la notion du destin commun. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une nouvelle notion chez nous. L’Islam est basé sur la solidarité et l’entraide. Si on oublie ces préalables, la cohésion de la société est remise en cause et elle risque d’éclater un jour ou l’autre.
Pour qu’il y ait une prise de conscience de l’intérêt commun, il faut que le pouvoir explique les politiques mises en place tout en permettant à la population de participer même à leur conception. Il faut au moins expliquer les stratégies mises en place et définir les attentes. Ainsi, la sécurité doit être abordée avec un sens très large. Il ne s’agit pas seulement de la sécurité physique, mais surtout de l’avenir des citoyens. L’approche sécuritaire, à elle seule, conduit toujours à l’effet inverse. Il faut mettre en place une approche globale.

Quelle évaluation faites-vous des différentes actions de la communauté internationale pour instaurer la paix et la sécurité au Sahel ?
L’action du gouvernement français au Mali est incontestable. On ne peut pas reprocher au pompier d’être intervenu pour éteindre le feu. Cette action rentre dans le cadre de la légitime défense. Mais si on se contente de l’approche sécuritaire, le problème ne sera jamais résolu. Il faut veiller à traiter les causes du terrorisme pour atteindre les objectifs escomptés. L’action française n’a pas permis de combattre l’AQMI qui est toujours présente dans la région. C’est dans ce cadre qu’intervient le rôle des voisins, pas par bonté d’âme, mais parce qu’ils sont concernés par les menaces sécuritaires dans la région.

Dans ce cadre, quelle est la responsabilité des pays du Maghreb pour instaurer la stabilité dans la région ?
Les pays du Maghreb sont appelés à exprimer une solidarité concrète vis-à-vis de ce qui se passe dans la région. Il ne s’agit pas d’envoyer des troupes dans les zones de tension. Mais il y a lieu de préciser que certains terroristes d’AQMI proviennent notamment d’Algérie. Si nous-mêmes, au Maghreb, nous nous arrangeons pour éviter d’avoir des terroristes, c’est déjà une contribution notable à l’instauration de la sécurité et de la stabilité dans la région. C’est pour cette raison que j’ai toujours souligné la nécessité de faire de l’ordre dans sa propre maison. Au Maghreb, nous avons la responsabilité de construire une maison commune. Nous devons instaurer les règles de la bonne gouvernance et faire en sorte que chaque citoyen regarde l’État comme un État serviteur.
Par ailleurs, les pays du Sahel ont des problèmes économiques et sociaux, avec un taux de chômage élevé. Les citoyens de ces pays cherchent ailleurs des sources de revenus, notamment à travers l’immigration clandestine. Ils peuvent aussi être une proie facile entre les mains des réseaux terroristes. Il faut entreprendre des actions de coopération, en particulier avec le Mali, de telle manière que ce pays puisse, lui-même, créer des conditions propices aux Maliens. Le traitement de la question sécuritaire ne peut se faire que sur le long terme.

Le Maroc dispose d’une stratégie d’accompagnement des pays africains dans le cadre de la coopération Sud-Sud. Que pensez-vous de cette orientation du Maroc vers l’Afrique ?
C’est en développant des relations gagnant-gagnant, à l’instar de ce que fait le Maroc, qu’on peut accompagner les pays du Sahel. C’est d’ailleurs ce que nous avons demandé à nos partenaires européens. Le Maghreb est une vaste région qui est capable de nourrir trois fois plus de personnes. Il a juste besoin de soutien afin de créer des conditions favorables au développement et à la croissance. Il ne s’agit pas de demander des financements. Les pays du Maghreb réunis ont suffisamment de ressources. Le Maghreb a besoin d’assistance technique pour augmenter sa capacité d’échange avec l’Europe. C’est en quelque sorte la même chose qu’est en train de faire le Maroc. Il s’agit d’aller vers ces pays-là en augmentant les échanges. C’est une bonne manière pour limiter notamment l’immigration irrégulière.

Quel regard portez-vous sur l’avenir du Sahel ?
L’avenir des pays de la région est commun. Personne n’est à l’abri. D’ailleurs, la Libye vit aussi une situation sécuritaire préoccupante. Si en prend l’exemple de la Somalie, sa capitale Mogadiscio, qui était appelée il y a 25 ans la perle blanche de l’océan Indien, est devenue une ville dévastée, un tas de ruines. Il faut donc que chaque pays fasse de l’ordre d’abord au niveau interne, afin d’éviter bon nombre de problèmes.

Vous avez insisté sur l’importance du développement pour lutter contre les menaces sécuritaires. Comment peut-on réaliser l’intégration économique tant souhaitée par les Maghrébins ?
Les difficultés politiques disparaitront un jour ou l’autre. Il ne faut pas perdre de temps en attendant leur résolution. Il existe plusieurs domaines de coopération à renforcer. Chaque pays tiendra à l’autre grâce au renforcement des actions communes. Il faut que nous nous transformions sur le plan culturel et institutionnel en des pays qui respectent les accords et les lois. Le non-respect des lois a un impact certain sur les relations entre les États, mais aussi sur les investissements. Tout investisseur étranger vérifie en premier lieu la crédibilité du pays.
Il n’existe aucune solution immédiate à l’Union du Maghreb. La solution ne sera possible qu’à long terme. Il faut que nous cessions de nous regarder en fonction des «humeurs» et des relations affectives. Nous avons un long travail à déployer. En attendant le règlement des problèmes politiques qui nécessiteront beaucoup de temps, les pays du Maghreb pourront renforcer leur coopération dans plusieurs domaines. Il faut chercher la complémentarité au niveau économique et raisonner en termes de pôle économique et non pas en tant que pays. Un pays seul ne pèse rien. Les relations internationales sont basées sur les négociations. Il est évident que si chacun des pays du Maghreb se trouve face à plusieurs États unifiés, il ne peut pas atteindre les objectifs escomptés.
Le Maroc et l’Algérie constituent 80% de la surface du Maghreb, 80% de la population et 80% des richesses. C’est le noyau dur de la région. On peut servir de modèle en unissant nos forces. Si nous continuons à faire cavalier seul, nous allons disparaitre, car il n’y a pas de place pour les faibles dans ce monde. L’union fait la force. Aussi, ne faut-il pas perdre du temps. Même si la question du Sahara n’est pas encore résolue, cela ne nous empêche pas d’entreprendre des actions de coopération. L’Algérie est une immense réserve pétrolière et le Maroc a d’immenses réserves en eau. Beaucoup d’actions peuvent être engagées des plus petites aux plus grandes.
Qu’est-ce qui nous empêcherait par exemple de créer une communauté maghrébine du sport et mettre en place un programme sur 20 ans dans la perspective de créer une équipe nationale ? Cela permettrait de créer des infrastructures sportives et des écoles de formation pour les jeunes. Nous sommes des pays de jeunes. Il faut donner à la jeunesse de quoi rêver. Au lieu de sombrer dans le désespoir ou dans le terrorisme, les jeunes pourront bénéficier des projets réalisés en commun entre les pays du Maghreb. On pourrait renforcer la coopération au niveau culturel ou encore religieux.

La volonté politique de construire le Maghreb est présente dans les discours. Pourquoi n’a-t-elle pas pu braver les différends politiques ?
Je ne doute pas de la volonté politique. Nos dirigeants ont le souhait de construire le Maghreb. Mais ils se sont basés uniquement sur les sentiments. Il ne faut pas que l’avenir d’un pays, et encore moins d’une région, dépende de l’humeur d’un chef. Celle-ci change, alors que les institutions ne changent pas. Les sentiments favorisent les relations, mais ils ne peuvent pas servir de support à une action fédérative. 

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