Ouarzazate fait de nouveau des émules auprès des productions étrangères, notamment américaines. Rien qu’en ce début d’année, huit y ont été tournées et la liste n’est pas près d’être fermée. Faut-il pour autant crier victoire ? La ville et sa région qui vivent de tourisme et de cinéma y trouvent-elles réellement leurs comptes ? À Ouarzazate, la population vit à 20% d’une manière directe ou indirecte du cinéma. Rarement à temps complet, au rythme des productions qui viennent. Le tournage des productions étrangères génère annuellement un chiffre d’affaires supérieur à cent millions de dollars et crée des milliers d’emplois dans la région. Selon Abderrazzak Zitouny, directeur de la Ouarzazate Film Commission (OFC), le budget moyen d’une production varie entre 1,5 et 2 millions de dollars. Les revenus des figurants dépendent des productions et de la nature de leur projet (documentaire, téléfilm, long métrage...). Mais le minimum, c’est 200 DH/jour pour les productions étrangères, selon l’OFC. Globalement, plus de 90.000 personnes, entre artisans, figurants, techniciens, hôteliers, commerçants, vivent de cette manne. Le film «La Bible», qui a nécessité 22 semaines de tournage au Maroc, a généré des dépenses de 65 millions de DH et nécessité 10.000 figurants et une centaine d’acteurs, indique Khadija Alami, productrice à K Films.
Pour la région, l’enjeu est donc de taille. Mais on est très loin des objectifs tracés à l’horizon 2016 par la stratégie du développement de l’industrie cinématographique à Ouarzazate et la région Souss-Massa-Drâa (2008-2016). Selon ce «scénario», la région devrait atteindre 38 productions étrangères en 2016 et drainer des revenus de l’ordre de 2 milliards de dirhams. Quant aux emplois, le conseil de Souss-Massa-Drâa tablait sur 8.000, sur la base de l’étude confiée à l’époque au groupement Eurocif-Ecotra.
Alors que l’échéance de 2016 approche, quels sont les chantiers qui ont déjà vu le jour ? «Le projet le plus structurant de cette stratégie c’est le “One Stop Shop”. Autrement dit, c’est un projet visant à faire d’Ouarzazate une ville cinématographique à part entière. Il permettrait aux producteurs de rester sur place pour le montage, mixage et tous les autres travaux de post-production. Malheureusement, ce projet est toujours dans les cartons», nous explique Zoubir Bouhout. Le directeur du Conseil provincial du tourisme (CPT) d’Ouarzazate attribue ce retard à un problème de foncier. Selon lui, les 200 hectares qui sont prévus pour ce projet sont des terres collectives appartenant aux collectivités ethniques et dont la tutelle revient à l’Intérieur. «Toute la question est donc de les transférer à l’investisseur», explique le directeur du CPT. Et là, deux problèmes se posent. «Il faut déjà que le Conseil de la province achète ce terrain auprès des ayants droit et le mettre à la disposition des investisseurs. La question qui se pose dès lors est de savoir si la collectivité a les moyens de miser des milliards pour l’achat de ce terrain, même si l’on fixe à 10 dirhams le mètre carré», détaille Bouhout. Quand bien même ce premier problème serait résolu, le directeur du CPT fait remarquer qu’un second surgit : quel serait le meneur du projet ? Entre l’État et le privé, Bouhout propose une société d’économie mixte, où le conseil de la province serait partie prenante. Ce qui permettrait, selon lui, de drainer les revenus de la commune.
La stratégie 2008-2016 a permis de dénombrer 6 chantiers à entreprendre pour une enveloppe globale estimée à 43 millions de dirhams. Selon plusieurs intervenants interrogés, aucun dirham n’a encore été débloqué. «Ce montant devait être débloqué par la région, la province et l’INDH», rappelle Bouhout. Pour Zitouny, le problème se résume aux partenaires qui n’ont pas versé leurs contributions comme prévu par la stratégie. Le directeur de l’OFC estime que c’est une situation qui menace même la pérennité de son association dont la mission est de promouvoir la destination cinématographique Ouarzazate à l’international.
Un énorme point noir : l’aérien !
L’enclavement d’Ouarzazate fait l’unanimité. «Pour arriver ici, c’est le parcours du combattant. Mes clients font des fois 20 heures de vol et doivent attendre jusqu’à 23 heures pour décoller de Casablanca vers Ouarzazate. Beaucoup de retard», s’indigne Khadija Alami, actuellement en tournage à Ouarzazate de la série pilote de l’«Arche de Noé» pour la Century Fox.
Cette productrice regrette aussi la cherté des billets : «un vol aller-retour Londres-Casablanca coûte 3.000 DH et un Casablanca-Ouarzazate, c’est environ 2.500 DH avec même pas un verre d’eau à bord ! Cela engage la maison de production dans des coûts supplémentaires».
Auprès de l’OFC, la Fondation du Grand Ouarzazate ou encore le CPT, c’est pratiquement le même son de cloche : l’aérien, l’aérien et encore l’aérien. Le directeur du CPT pousse plus loin sa réflexion : «la plupart des producteurs américains s’installent à Londres pour les travaux de post-production puisqu’ils y bénéficient d’incitations fiscales. Étudier un partenariat avec Londres serait plus qu’intéressant !»
Rappelons que la compagnie nationale Royal Air Maroc s’est engagée en décembre 2013 à développer le transport domestique et à promouvoir les vols dans la région de Souss-Massa-Darâa. Mais rien à ce jour. Les opérateurs et intervenants gardent toutefois espoir. Et Zoubir Bouhout nous annonce même que la compagnie espagnole régionale Binter Canarias est en train d’étudier avec l’ONMT (Office national marocain du tourisme) la possibilité de relier Las Palmas à Ouarzazate. De même, en plus des deux vols hebdomadaires Paris-Ouarzazate, un troisième devrait relier la ville marocaine à Marseille ou Lyon. En outre, les négociations vont bon train avec le tour-opérateur portugais Traverlers, qui assure déjà Casablanca-Sao Paulo. Celui-ci étudie également la possibilité de desservir Ouarzazate depuis Madrid. Pour l’aérien, le désenclavement semble en bonne voie. Mais est-ce tout pour donner toutes ses chances à Ouarzazate de devenir la Hollywood aux portes du désert ?
