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Et si l’on écoutait les Marocains ?

La rigueur monétaire que le Maroc subit depuis le programme d’ajustement structurel lui a fait rater de réelles opportunités d’émergence et de rattrapage de son retard économique. Les périodes de croissance que nous avons connues, depuis le début des années 80, ont été soit le fait d’une conjoncture internationale favorable, soit dues à la clémence du ciel, et très rarement, à la pertinence de nos choix économiques. Résultat, une génération après le fameux PAS (qui a eu certains bienfaits indéniables sur notre économie), le Maroc est toujours classé parmi les pays à revenu intermédiaire inférieur (low middle income countries), nous situant dans la même classe que l’Angola, le Congo, Djibouti, la Mongolie ou le Sri Lanka. Même en retenant le critère de capital immatériel, nous restons loin des conditions objectives d’émergence et, au rythme actuel des réformes, nous ne sommes pas prêts de les atteindre. Pourquoi ?

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Un traumatisme historique collectif

Le début des années 80 du siècle dernier a apporté son lot de mauvaises nouvelles au Maroc. Victime de 4 années de sécheresse, du recul des cours des phosphates – dont la hausse éphémère durant les années 70 dans le sillage des chocs pétroliers avait poussé les responsables à entreprendre un ambitieux plan de développement des infrastructures, financé essentiellement par endettement à taux variables – et d’une économie insuffisamment forte et diversifiée, le pays se retrouvait, à l’instar de beaucoup d’économies en développement, avec seulement quelques jours de réserves de changes et l’incapacité d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses créanciers. Le rééchelonnement de nos dettes n’a été obtenu qu’au prix fort : une décennie d’ajustement structurel qui a laissé sur le carreau des pans entiers de l’économie et de la société marocaines. Si les résultats sur nombre de secteurs ont été globalement positifs, cette politique a paralysé, jusqu’à nos jours, les capacités de croissance du Maroc, comme en témoignent les taux de progression du PIB, en comparaison avec ceux de pays semblables, et qui ont réalisé, depuis, ce dont nous rêvons aujourd’hui, à savoir le fameux décollage économique.
Au-delà de ce legs au goût amer qui a traumatisé toute une génération de décideurs, le PAS a définitivement transformé la pensée économique dans notre pays, l’alignant parfaitement sur le consensus de Washington. Ce consensus est, pour rappel, un corpus idéologique de mesures standards appliquées aux économies en difficulté financière vis-à-vis leurs créanciers que sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui siègent dans la capitale américaine (d’où son nom).

Fortement inspiré des thèses néolibérales, il reprend les idées de l’économiste John Williamson, qui avance 10 actions pour sortir ces économies de leur marasme financier. Elles préconisent (1) une stricte discipline budgétaire, s’accompagnant (2) d’une réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant à la fois un fort retour économique sur les investissements, et la possibilité de diminuer les inégalités de revenu, (3) la réforme fiscale (élargissement de l’assiette fiscale, diminution des taux marginaux), (4) la libéralisation des taux d’intérêt, (5) un taux de change unique et compétitif, (6) la libéralisation du commerce extérieur, (7) l’élimination des barrières aux investissements directs de l’étranger, (8) la privatisation des monopoles et participations de l’État (idéologiquement, considéré comme un mauvais actionnaire et pratiquement pour rembourser ses dettes), (9) la déréglementation des marchés (par l’abolition des barrières à l’entrée ou à la sortie) et (10) la protection de la propriété privée et intellectuelle. En un mot, ce que nous appliquons à aujourd’hui.

Ces propositions, devenues depuis des injonctions, avaient pour finalité, rappelons-le, juste de permettre aux pays d’honorer leurs dettes et non un quelconque bien-être de leurs populations. Celles-ci ont, selon cette doxa, pris l’habitude de vivre au-dessus de leurs moyens et une cure d’austérité ne leur ferait pas de mal.
Or, ni du point de vue théorique, ni l’observation empirique ne permettent de soutenir que cette politique pouvait constituer une quelconque plateforme pour le développement d’un pays, tant les expériences prouvent la chose (certains pays ont effectivement réussi leur décollage économique grâce à ces mesures) et son contraire (d’autres ont juste pu rembourser leurs dettes, mais leurs économies en ont payé un lourd tribut). En d’autres termes, ce n’est pas parce que nous avons une inflation faible et un déficit budgétaire maîtrisé que nous réaliserons de forts taux de croissance. Par moments, c’est l’inverse qui se produit.

Or, au Maroc, ayant toujours le syndrome du bon élève de la classe FMI et Banque mondiale, nous avons maintenu ces choix, en dépit des évidences empiriques de leur échec à impulser la forte croissance dont nous avons besoin pour émerger. Celle-ci doit être au moins de 7% (c’est le taux qui permet de doubler le PIB tous les 10 ans) sur au moins une à deux décennies, soit deux fois plus que notre taux de croissance depuis le PAS. Nous sommes effectivement loin du compte et en cause, la pensée unique, inoculée à nos décideurs, de la préservation vaille que vaille des équilibres macroéconomiques et de la maîtrise de l’inflation !

Que faire maintenant ?

Nos responsables doivent enfin comprendre que c’est la croissance créatrice de richesses qui garantit la stabilité dans un pays ; et que c’est le système de prélèvement (fiscalité et cotisations sociales) qui assure le bien-être de ses citoyens, car il en permet la juste répartition (des richesses). Ce doit être l’alpha et l’oméga de toute politique de développement et de décollage. Un changement de paradigme doit s’opérer chez nos décideurs si nous voulons réussir notre émergence. La priorité doit être désormais à la croissance et à l’excédent commercial, quitte à laisser filer momentanément l’inflation et le déficit budgétaire. Si on n’est pas félicité par les institutions financières internationales, nous aurons la reconnaissance de nos concitoyens, de loin plus importante.

Pour opérer la rupture, tant espérée, deux axes majeurs sont à prioriser : la mise en valeur des facteurs de production et l’orientation de nos politiques vers la demande internationale. Le premier axe tient à l’amélioration de l’environnement des affaires et l’élimination méthodique et rigoureuse de tous les freins à l’investissement productif et à la mobilisation de l’épargne pour le financer. D’autre part, la dotation ciblée des secteurs tournés vers le marché international, en facteurs de production (foncier, capital matériel, capital humain et entrepreneuriat) en quantité et qualité supérieures, en vue de permettre à nos entreprises d’affronter une concurrence internationale agressive, à armes égales. Enfin, garantir aux opérateurs économiques des ressources humaines d’un niveau d’éducation (éthique et valeurs), de formation (qualité de l’enseignement) et de qualification (apprentissage sur les lieux de travail) qui n’a rien à envier à des pays, ayant au moins, un stade de développement similaire.
Le deuxième axe concerne une réorientation en profondeur de nos choix de politique économique. Ainsi, au lieu de faire de la demande intérieure, le principal moteur de la croissance, il s’agira de tourner le regard vers le commerce international. En effet, il s’agit de tirer profit, via une diplomatie économique moderne, équilibrée, agressive et considérant le monde tel qu’il est et non tel que nous voulons qu’il soit, de nos atouts géographiques (proximité d’une zone de forte concentration de richesses, Europe et Moyen-Orient), stratégiques (accords de libre-échange avec des pays représentant plus de 50% du PIB mondial), politiques (stabilité dans une zone fortement secouée par des crises identitaires et politiques) et factoriels (capital humain jeune et compétitif et marché des capitaux relativement mature pouvant financer nos ambitions).

Après trois décennies d’application religieuse des «recommandations» des instances internationales, dont les résultats sont fort décevants, écoutons, enfin, ce que nos concitoyens ont à nous dire. 

Par Nabil Adel

M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

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