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Monde arabe : vers un crépuscule sans fin ?

● Hatem Ben Salem
Professeur agrégé en droit. Ancien secrétaire d’État tunisien auprès du ministre des Affaires étrangères chargé des affaires maghrébines et africaines

Monde arabe : vers un crépuscule sans fin ?
Influence arabe • Depuis l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et le retour de forces armées étrangères sur le sol arabe, les équilibres stratégiques de toute la région ont été rompus.bPh. AFP

L’état de délitement dans lequel semble s’installer la région arabe est consternant et rappelle, à maints égards, deux époques obscures de l’histoire : celle des croisades et celle de la colonisation. C’est dire que l’heure est grave et que le diagnostic de ce corps perclus et à l’agonie doit être fait en toute responsabilité loin des subtilités du langage diplomatique et sans posture politicienne. La cause essentielle du mal endémique qui exclut les Arabes du jeu international réside en leur incapacité à trouver un modèle idoine d’exercice consensuel et pacifique du pouvoir politique. La conséquence immédiate de ce drame, chevillé au destin de la nation arabe, est un cycle sans fin d’instabilité et d’incertitudes qui en fait, aujourd’hui, le poids mort des relations internationales et la proie des nouvelles puissances prédatrices. Pourtant, individuellement ou par le biais de l’action commune pilotée, certes laborieusement par leur Ligue, les pays arabes parvenaient à faire entendre leurs voix et à influencer des décisions internationales, surtout au sein du système des Nations unies.
Malheureusement, depuis l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 et le retour de forces armées étrangères sur le sol arabe, les équilibres stratégiques de toute la région ont été rompus, ouvrant la voie aux ingérences extérieures et marginalisant le poids géopolitique de l’ordre régional arabe naissant. Jamais les pays arabes, séparément ou collectivement, n’ont été aussi démunis de moyens d’action et d’influence aussi bien pour façonner leur propre avenir que pour impacter leur environnement régional ou international.
Une lecture diachronique de l’institution étatique montre qu’à la différence du reste de l’humanité, des franges non négligeables des peuples arabes assimilent mal la notion d’État, voire la déconsidèrent. Pour les idéologues et les politiciens de l’islamisme, l’État, symbole du pouvoir souverain, se doit d’être l’instrument du fait religieux en cette étape cruciale de changements profonds au niveau mondial, d’où les alliances contre nature qu’on voit émerger sur la scène internationale. C’est pour cette raison, aussi, que la lutte pour le pouvoir doit user de tous les moyens, y compris les plus condamnables tels que le terrorisme. Ce phénomène autodestructeur constitue le facteur principal d’affaiblissement des États arabes et prélude à des temps très difficiles à venir.

Le recours à la violence armée devient, ainsi, une donnée structurelle dans le paysage géopolitique arabe. Le terrorisme, soutenu et financé par une véritable coalition internationale du mal, est instrumentalisé dans le but de redessiner la carte du monde arabe.

Les menaces à la survie même de la nation arabe ne semblent plus être l’impérialisme ou le sionisme, mais des fléaux telles que la politisation de l’Islam et la fausse prophétie du jihadisme. La nébuleuse islamiste, redevenue fréquentable par la bénédiction urbi et orbi des États-Unis, tient maintenant les rênes du pouvoir dans plusieurs pays arabes. Elle s’est fixée pour objectif de se venger de l’ordre arabe établi, quitte à le faire imploser de l’intérieur en encourageant les groupements terroristes à fonder des pseudo-émirats devant constituer, dans un avenir proche, le sixième Califat. Des forces, en apparence antagoniques, œuvrent actuellement de concert pour créer un nouveau paysage géostratégique qui empêchera l’apparition d’un nouveau leadership arabe hostile aux frères musulmans, privant, de la sorte, l’ensemble des États arabes de toute velléité de puissance ou d’influence.

Au niveau régional, des États périphériques tels que la Turquie et l’Iran, acteurs secondaires il y a quelques années seulement, imposent aujourd’hui, avec arrogance, leurs agendas et s’ingèrent de façon inacceptable dans les affaires intérieures de plusieurs pays arabes. Le terrorisme est soutenu en Syrie et en Irak pour entretenir les conflits sectaires et retracer les frontières de ces deux États stratégiques de la région. L’Égypte et l’Arabie saoudite, derniers remparts de ce qui reste de l’ordre arabe, sont également dans le collimateur, ce qui va engendrer à l’avenir une situation de menace sur tout le Proche-Orient et permettra à Israël de classer définitivement la question palestinienne. Au Maghreb, la Tunisie et la Libye, acteurs incontournables du projet maghrébin, passent par des moments décisifs de leur histoire contemporaine. Le terrorisme sera, en effet, leur vécu quotidien, car la proportion prise par ce phénomène et les connivences dont il bénéficie augurent d’une longue période d’années de braise. Sur le plan international, et maintenant que la machine de désagrégation fonctionne à plein régime, les puissances occidentales diminueront drastiquement leur aide au développement et se désengageront de la région. Les États-Unis, de moins en moins dépendants à l’avenir du pétrole moyen-oriental, seront parcimonieux de leur protection et se désengageront de la région au profit d’un nouveau déploiement vers l’Asie-Pacifique.

C’est peut-être la seule bonne nouvelle pour le monde arabe, car d’autres acteurs internationaux reviennent en force et peuvent imposer de nouvelles règles de conduite similaires à celles qui régissaient le monde au temps de la guerre froide. Les rapports belliqueux de la Russie avec les États-Unis et l’Europe et l’aspiration de la Chine à occuper pleinement sa place de grande puissance vont créer à court terme de nouvelles alliances qui pourraient redonner un nouveau poids stratégique à l’actuel système régional arabe moribond. Alors vers un crépuscule sans fin ou la fin du crépuscule ? La réponse dépend, pour une large part, des États arabes encore debout, mais leur marge de manœuvre semble de plus en plus ténue. 

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