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L’ancrage de la femme-objet par l’image médiatique

Fayrouz Fawzi
Doctorante en sociologie littéraire

L’ancrage de la femme-objet par l’image médiatique
Le discours et le langage véhiculés par les médias sur les femmes constituent, au-delà de la violence qu’ils propagent, une réelle agression.

Selon les statistiques officielles du Maroc, les femmes représentent un peu plus de la moitié de la population marocaine (50,4%).
Evoquer la place qu’elles occupent dans les médias au Maroc, impose de remonter dans l’histoire de ce pays métisse, plonger dans sa sociologie et puiser dans sa culture.
La femme marocaine a joué un rôle primordial dans l'Histoire de son pays, car elle était le bras fort de l'État en maintes occasions, en collaborant depuis des siècles au progrès du Maroc. Nous citons à ce stade le rôle symbolique de Kenza El Awrabiya, l'épouse de Moulay Idriss, qui a précisément été à l'origine d'une unification et d'une fusion entre la base amazighe et la base arabo-musulmane, ayant constitué le socle de l'identité marocaine. De plus, la première université marocaine a été initiée par une femme. Au milieu du IXe siècle, Fatima Al Fihrya a construit l’Université Al Quaraouyine, un centre d’éducation islamique et de savoir religieux depuis le moyen âge qui illumine par sa présence la capitale spirituelle du Maroc, Fès.

Une autre femme marocaine s’est démarquée pendant l’empire Al Moravide. Zineb al Nafzaouia, épouse de Youssef Ibn Tachafine, a su, grâce à sa diplomatie et ses conseils, préserver l’empire et aider son mari à maintenir son pouvoir en place. Au XVIIIe siècle, l’épouse de Moulay Ismaël, Khnata Bent Bakkar prend les règnes du pouvoir pendant 25 ans après le décès de son mari alors qu’elle occupait le poste de ministre et secrétaire personnelle de ce dernier. Les années 1940 ont vu naître un noyau de mobilisation féminine au sein du mouvement national afin de lutter contre le colonisateur français et espagnol. Durant la période de la lutte pour l’indépendance, les Français s’installent et le pays est en crise. Dans cette perspective, les femmes marocaines ont été résistantes, elles ont lutté pour l'indépendance du Maroc au même titre que leurs pères, leurs frères, leurs fils et leurs époux. L'histoire contemporaine du Maroc a été marquée par la participation en masse des femmes à la lutte. Elles se sont mobilisées pour arrêter la colonisation à Fès, au Moyen Atlas, à Saghrou, à Khémisset, au Sahara et partout ailleurs. Elles étaient présentes avec les hommes pour les pousser à la limite de la résistance.

De plus, leur participation a été déterminante aux côtés de Abdelkrim al-Khattabi, dans la guerre du Rif. Et dans les années 80 et 90, il y avait la naissance des mouvements et associations féministes en tant que structures organisationnelles et idéologiques autonomes. Par la suite, nous avons assisté à une transition marquante, un événement majeur de l’histoire du Maroc qui a placé le pays à l'avant-garde du monde arabo-musulman dans le domaine du droit des femmes : le discours royal du 10 octobre 2003 instituant le Code de la famille comme un dispositif destiné à toute la famille, c'est-à-dire au père, à la mère et aux enfants. En outre, sur le plan médiatique, le Maroc a déclaré l’adoption de la Charte nationale pour l’amélioration de l’image de la femme dans les médias en 2005 suivie de la Déclaration de Rabat sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Des journalistes au Maghreb montrent bien la nécessité d’agir pour corriger les dérapages relatifs à la représentation des femmes dans les médias. Il est important de souligner à ce propos que le Maroc est le seul pays au Maghreb et dans le monde arabe à disposer d’une telle Charte dénonçant une représentation stéréotypée et réductrice des femmes dans les médias. Mais qu'en est-il de la représentation de la femme dans la couverture médiatique après la promulgation du Code de la famille en 2004 ? Est-ce que le discours médiatique actuel reconnaît le rôle décisif joué par la femme marocaine dans l'histoire depuis l’indépendance, ou continue-t-il à reproduire et à transmettre les clichés afférents à une culture tutélaire, paternaliste et inégalitaire à l'égard de la femme marocaine ?

L’image de la femme au Maroc est similaire à celle des femmes vivant dans une société où prédomine l’idéologie patriarcale et où l’éducation traditionnelle joue un rôle majeur dans la pérennité et la reproduction de pratiques sociales discriminatoires et dévalorisantes. L’interaction entre ces deux paramètres se traduit par l’omniprésence et l’enracinement des canons et des valeurs du patriarcat glorifiant et institutionnalisant la suprématie de l’homme. La femme est confinée dans un statut d’être inférieur, image fortement ancrée dans la conscience collective. Aujourd’hui, les femmes marocaines se retrouvent aux prises avec une autre forme de domination exercée au nom d’un principe symbolique reconnu par le dominant et le dominé, qui pourrait être un produit linguistique, une tradition orale comme les proverbes, un rite, une coutume. Ces éléments permettent à l’ordre établi de maintenir sa prééminence par le recours à une violence insidieuse, invisible et, finalement, tellement ancrée dans les inconscients que nous ne l’apercevons pas, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question. D’autres moyens sont entrés en ligne de compte, il s’agit des médias, notamment la télévision (spots publicitaires), considérée comme vecteur important de la violence symbolique à l’égard de la femme.

Ce sont de nouveaux modes de transmission des stéréotypes, destinés, a priori, à aider les mentalités à s’inscrire dans le processus de la modernité, ils participent, tout au contraire, à chosifier. Il faut rappeler l’importance des mass-médias et le rôle décisif qu’ils jouent dans l’évolution des mentalités et dans la modification des comportements sociaux. La télévision construit la mémoire collective, la forme ou la déforme, selon l’objectif qui lui a été assigné. Au Maroc, la télévision continue à reproduire et à transmettre les clichés afférents à une culture tutélaire, paternaliste et inégalitaire. Dans les spots publicitaires des télévisions marocaines, des images de femmes de tous les âges et de tous les milieux surgissent sur le petit écran présentant de multiples produits vantant les mérites de telle ou telle marque d’huile, de détergent, de boissons, d'aliments, de serviette hygiénique... etc. À relever, dans cet ordre d’idées, que pratiquement dans les spots faisant l’apologie du pouvoir quasi magique des détergents, ce sont toujours les hommes au travail, les garçons en jouant, qui salissent les vêtements et ce sont toujours les femmes qui les lavent. S’agissant des spots vantant les mérites des produits oléagineux, en général, la femme prépare les repas et se contente de regarder les autres manger. Dans une publicité d'une marque d’huile, le commentateur laisse entendre que les femmes existent pour assurer le bonheur des hommes et veiller sur leur quiétude. «Vous ne pouvez pas imaginer tout ce qu’elles font pour nous. C’est pour cela que les femmes qui se soucient du bien-être de leur famille optent pour ce produit», affirme-t-il. Dans l’ensemble, il est sous-entendu que si la famille est malheureuse et le mari déstabilisé, c’est à cause de l'épouse qui n’a pas su choisir le meilleur produit pour les satisfaire.

Ainsi, la femme et le produit sont placés sur le même pied d’égalité. Dans la publicité destinée à sensibiliser les téléspectateurs aux dangers de la route, c’est la femme, habillée en tailleur, maquillée, bien coiffée et faisant usage d’un vocabulaire qui laisse supposer un certain degré d’instruction qui incite son mari à conduire beaucoup plus vite ; le mari refuse et fait son speech moralisateur sur les dangers de la vitesse. Cela veut dire que la femme incarne la précipitation et l’immaturité. Par contre, l’homme incarne la sagesse et la clairvoyance. D’après ces exemples, nous constatons que le discours et le langage véhiculés par les mass-médias sur les femmes, faits de concepts et autres superlatifs implicitement ou explicitement misogynes, constituent, au-delà de la violence qu’ils propagent, une réelle agression. De ce fait, l'image de la femme marocaine est à reconsidérer et à repositionner. Il faut que les journalistes et les médias s'attardent sur des femmes qui ont servi de modèles de réussite, des femmes combattantes qui ont participé au développement du pays tout au long de l'Histoire marocaine. Dans le cadre de la démocratie participative, nous incitons la société civile à déposer un projet de loi auprès du gouvernement de la part des acteurs de la société civile surtout après la promulgation de la Constitution marocaine en 2011, afin d'insérer une clause de respect de l'image de la femme dans les cahiers de charge de l'audiovisuel, qui prévoit l'obligation de préserver la dignité de la femme marocaine. 

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