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Revalorisation du salaire minimum : Le marathon de la misère !

Les parades du 1er mai ont été marquées cette année, outre les traditionnelles passes d’armes entre les partenaires du dialogue social (gouvernement, syndicats et patronat), par l’annonce minutée la veille d’une revalorisation du salaire minimum par l’équipe Benkirane. Cette mesure concerne aussi bien la fonction publique que le secteur privé. Si les commentaires de l’évènement lui-même sont sujets à controverse, selon l’angle de lecture à partir duquel on se situe (trop pour les uns, pas assez pour les autres), c’est l’analyse des effets d’une telle décision sur la croissance de l’économie et la création d’emplois qui suscite le vrai clivage. Éclairage.

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La décision du gouvernement d’augmenter le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) de 10% en deux fois à compter du 1er juillet 2014 et de porter le salaire minimum dans la fonction publique à 3.000 dirhams est, sans doute, l’une des mesures phares du mandat Benkirane. Il s’agit d’un cadeau aux travailleurs dont il pourrait se prévaloir auprès des électeurs. L’observateur averti ne manquera pas de noter que la deuxième partie de l’augmentation de 5% du SMIG est prévue en 2015, c’est-à-dire qu’elle aura lieu en pleine campagne électorale pour les municipales. Cette décision, dont le timing est soigneusement choisi, intervient après plusieurs mesures jugées impopulaires et à l’impact certain sur le pouvoir d’achat des Marocains.

Dès son annonce, le patronat a diffusé un communiqué où il regrette cette décision politique et exprime sa vive inquiétude quant à l’effet de cette hausse du coût du travail sur la compétitivité de l’entreprise marocaine, le travail industriel et le risque de «voir des entreprises basculer dans l’informel et annihiler les efforts d’en faire sortir celles qui y sont encore». La CGEM rappelle, dans le même sillage, que «depuis 2007, l’industrie marocaine, qui emploie 1,2 million de personnes, perd en moyenne 30.000 emplois par an et que le Maroc est classé aujourd’hui 77e en termes de compétitivité par le World Economic Forum». Ces inquiétudes qui semblent, somme toute, légitimes de la part d’une confédération qui défend les intérêts de ses membres, sont-elles pour autant justifiées ? Quel est l’impact réel de pareille mesure sur l’emploi et la croissance ?

Parlons de salaire minimum

Précisons d’emblée que le SMIG est un salaire horaire. Avant la hausse annoncée par le gouvernement en juillet 2014, celui-ci se chiffrait à 12,24 dirhams/heure pour les activités de commerce, d’industrie et de services (et pour le textile et l’habillement à partir de décembre 2013). Quant à l’agriculture, le salaire minimum y est appelé SMAG (salaire minimum agricole garanti) et correspond à une rémunération quotidienne de 63,39 dirhams.
Le salaire minimum est calculé sur la base de 2.288 heures de travail par an (durée légale de travail au Maroc). L’heure supplémentaire n’est indemnisée qu’au-delà de 10 heures par jour et 44 heures par semaine, répartie sur 6 jours (samedi inclus). Le SMIG équivaut à un salaire mensuel d’environ 211 euros, soit l’un des plus élevés d’Afrique. Il dépasse même celui de plusieurs pays membres de l’Union européenne (Bulgarie, Roumanie…).
Selon une étude menée par Bank Al-Maghrib, en trente ans (entre 1981 et 2011), notre SMIG national a connu 18 augmentations, soit l’équivalent d’une hausse tous les 2 ans environ. En termes réels (ajustés de l’inflation), les revalorisations ont été de 6,1% en moyenne par an. Sur la décennie (2001-2012), la CGEM rappelle, dans son communiqué, que le SMIG a connu une expansion plus soutenue de 9,7% en moyenne par an. Sachant que le rythme d’inflation a été contenu pendant la même période à 1,7%, sous l’effet de politiques macroéconomiques restrictives et de soutien public de certains produits, il va sans dire que ces hausses du salaire minimum se sont soldées mécaniquement par une appréciation du pouvoir d’achat. Cette décision a suscité l’incompréhension des employeurs qui ont avancé plusieurs arguments pour mettre en garde contre ses conséquences. Discutons-en le bien fondé.

La hausse du SMIG érodera-t-elle la compétitivité de l’entreprise marocaine ?

Contrairement aux arguments avancés par le patronat, la hausse du SMIG n’aura qu’un effet marginal sur la croissance économique et la création d’emplois. Et pour cause, le principal moteur de la croissance dans notre pays est la demande intérieure, que l’augmentation du salaire minimum viendra paradoxalement consolider. Précisons que seules les entreprises exportatrices risqueraient de voir leur compétitivité s’effilocher, car leurs produits deviendront plus chers à l’export. Quant aux entreprises au Maroc, la revalorisation étant généralisée, ce n’est pas leur compétitivité qui sera affectée, mais leur profitabilité (baisse de leurs bénéfices), à moins qu’elles ne répercutent cette hausse sur les prix de vente, alimentant une spirale inflationniste et annulant, par là même, l’effet supposé positif de cette augmentation sur le pouvoir d’achat.
n La hausse du SMIG est-elle en décalage avec le programme d’émergence industrielle ?
Le coût de la main-d’œuvre est certes un élément important dans la compétitivité d’une entreprise, mais il n’est pas le seul. D’autres facteurs liés à notre politique économique, à la redéfinition du rôle de l’État, à la dotation factorielle, à la recherche et développement et à la dynamique de diplomatie économique sont beaucoup plus déterminants dans le succès de pareil projet (voir le matin du 1er mai 2014). Le PEI ne réussira pas parce que nous «vendrons de l’ouvrier marocain pas cher», ça peut même en être un facteur de fragilité. Ce plan réussira parce qu’on aura mis en valeur une ressource humaine éduquée, qualifiée et digne, car correctement rémunérée. Là, le rapport devient équitable.

La hausse du SMIG est-elle responsable de la perte d’emplois industriels et du retard de compétitivité du Maroc ?

La désertion industrielle, on ne peut pas parler de désindustrialisation, car notre pays n’a jamais été industrialisé, est expliquée par d’autres facteurs et il serait injuste de l’imputer au seul coût du travail. En effet, la financiarisation croissante de l’économie marocaine, le retard dans la mise en œuvre des réformes de l’enseignement, la fiscalité, du financement et de l’assainissement de l’environnement des affaires expliquent davantage la situation actuelle de notre industrie. Le fait que nous soyons réduits aujourd’hui à ne vendre qu’une main-d’œuvre bon marché en est, hélas, juste la conséquence et non la cause. Quant à la perte d’emplois, celle-ci est à redouter effectivement pour les entreprises exportatrices (peu nombreuses malheureusement). En revanche, pour les sociétés opérant au Maroc, la hausse du salaire minimum relancera la consommation et donc la machine économique et pourra même se traduire par quelques points de croissance et donc de création d’emplois. N’oublions pas que le salaire est un coût pour une entreprise, mais un pouvoir d’achat pour une autre.

La hausse du SMIG peut-elle induire le risque de voir des entreprises basculer dans l’informel et annihiler les efforts d’en faire sortir celles qui y sont encore ?

Il s’agit, en effet, d’un risque réel que le patronat marocain a eu raison de rappeler. Il n’est un secret pour personne que seules les entreprises structurées respectent le salaire minimum et, dans certains cas, elles profitent du fait que le SMIG soit horaire pour ne pas déclarer l’activité du personnel pendant tout le mois. En effet, les statistiques de la Caisse nationale de sécurité sociale montrent que 20% des salariés déclarés le sont pour moins de 5 mois dans l’année. Quant au secteur informel, plus que le coût du travail (salaires et prélèvements divers), ce sont les charges déclaratives et les lourdeurs administratives pour des entités souvent de très petites tailles (moins de 5 personnes), qui constituent les véritables freins à l’intégration de l’économie souterraine dans le circuit économique.
L’augmentation du SMIG de 10% sur deux ans le portera de 2.333,76 dirhams à 2.567,14 dirhams par mois, soit l’équivalent 85,5 dirhams par jour. Cette somme est à répartir entre nourriture, éducation, soins et logement (à ce niveau de salaire, parler de loisirs est presque indécent). Ce revenu est censé fonder une famille et assurer l’éducation des Marocains de demain. Franchement ! 

Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

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