Les problèmes de liquidité deviennent récurrents quand les économies entrent en phase de récession, car les agents économiques affichent une propension élevée à garder du cash, ce qui conduit à une contraction du crédit et à des problèmes de trésorerie. Durant ces périodes de vaches maigres, les entreprises des plus grandes aux plus petites vivent toutes le même cauchemar, à savoir le manque d’encaisse qui pèse lourdement sur leur exploitation. Pour continuer à opérer, elles se voient forcées de devenir les banquiers de leurs clients. Le crédit interentreprises devient dans ces conditions à la fois une conséquence de la crise et un amplificateur de celle-ci et les banques, au lieu de financer l’investissement, financent la trésorerie essoufflée des entreprises.
Quel est le problème ?
Les difficultés de trésorerie que connaissent les entreprises résultent essentiellement du manque de liquidités caractéristique de toute économie en temps de crise. En effet, la préférence pour la liquidité conduit à une contraction de la consommation, à un report des investissements et donc à une baisse de la demande. Ce repli de la demande réduit la circulation monétaire dans l’économie et agit, par voie de conséquence, négativement sur les trésoreries des agents. Ce phénomène est amplifié quand l’État, premier investisseur dans notre pays, rallonge ses délais de paiement.
Face à ce problème, une banque centrale dispose de deux instruments majeurs pour agir : la réserve obligatoire des banques et/ou les taux directeurs. La réserve obligatoire est une fraction des encours de dépôts que les banques commerciales doivent déposer auprès de Bank Al-Maghrib. Les taux directeurs correspondent aux taux d’intérêt au jour le jour fixés par une banque centrale. Ils servent à déterminer le coût du crédit et la rémunération des dépôts. La baisse de la réserve obligatoire permet, ainsi, d’augmenter la capacité des banques commerciales à distribuer des crédits ; et la réduction des taux directeurs en diminue le coût. Ces injections de liquidités dans l’économie, à travers les crédits, augmentent la demande (consommation et investissement) et relancent les affaires. Il est question d’un phénomène purement conjoncturel.
Une réponse monétaire à un problème économique
Toutefois, l’action de notre Banque centrale sur le premier instrument de la politique monétaire, à savoir la baisse de la réserve obligatoire sera, à notre sens, d’une portée assez limitée et voilà nos raisons.
La crise de liquidité, d’apparence conjoncturelle, cache malheureusement une réalité profonde, car plus structurelle, à savoir le manque de compétitivité de nos entreprises dans un monde sans frontières auquel elles n’ont pas été suffisamment préparées. Ce phénomène est aggravé par nos choix économiques de croissance par la demande, alors que nous avons un potentiel important à l’export (voir l’article «Zones de libre-échange du Maroc : Le malheur des uns et le bonheur des autres»). Or, nous n’insisterons jamais assez sur le fait que la liquidité dans un pays tient en grande partie au solde de sa balance des paiements (mesurant ses échanges avec le reste du monde). Ce manque de compétitivité empêche nos entreprises, non seulement de profiter de la croissance mondiale quand elle se présente, mais les menace dans leurs propres bastions, en cas de retournement de cycle. Elles supportent par conséquent le mauvais, mais ne profitent pas du bon. Si le phénomène est d’abord macroéconomique, il est aggravé par la mauvaise gestion de trésorerie des sociétés, due à une insuffisante maîtrise de leur cycle d’exploitation, au manque de pilotage opérationnel des coûts et à la faiblesse, voire l’absence des systèmes de suivi et d’alerte.
La deuxième raison réside dans l’insuffisante bancarisation de notre pays (seul un Marocain sur deux dispose d’un compte en banque) et l’importance du secteur informel (1,75 million d’unités opérant dans l’économie parallèle), faisant qu’une partie essentielle de la masse monétaire ne transite pas par le circuit financier structuré. Les actions de Bank Al-Maghrib auront au mieux un effet marginal sur la liquidité, au pire un effet nul, car elles ne concerneront pas les ménages non bancarisés et les entreprises opérant dans les secteurs parallèles. Autant dire, une bonne partie de l’économie nationale.
La troisième raison tient au fait que l’augmentation de la capacité des banques à distribuer des crédits, par le biais de la réduction de leurs réserves obligatoires, ne signifie pas forcément une hausse des crédits effectivement octroyés. Ceux-ci restent fonctions de la politique propre à chaque établissement, de sa gestion des risques et de ses objectifs financiers et déterminés par les processus et l’organisation interne spécifique de chaque institution.
Enfin, en tant qu’instrument de politique monétaire, la réserve obligatoire est de moins en moins utilisée par les banques centrales, au profit de l’action sur les taux directeurs qui impacte directement le coût du crédit et est donc réputée plus efficace. Pour toutes ces raisons, nous pensons que la décision de Bank Al-Maghrib ne résoudra pas la tension sur la liquidité, car elle apporte une solution technique et conjoncturelle à un problème économique et structurel.
Dirham : convertibilité synonyme de tous les dangers
Monsieur Abdellatif Jouahri a également saisi le point sur la présentation de son rapport à la presse pour annoncer la possible convertibilité totale du dirham à horizon de trois ans. Cette décision, si elle est prise, poserait un problème de finalité et une difficulté de mise en œuvre. S’agissant du premier point, si l’objectif visé est une hausse des investissements étrangers, il s’agirait bien d’une vue de l’esprit, car les entreprises étrangères établies au Maroc disposent déjà d’une totale liberté de mouvement de leurs capitaux (investissement initial, dividendes et plus values) qu’elles peuvent exercer aujourd’hui même, sans difficulté. Ce n’est donc pas vraiment un avantage. La convertibilité totale d’une monnaie n’est pas le critère le plus important de la décision d’investissement et les pays qui attirent la part du lion des IDE sont sous régime de contrôle des changes.
Quant à la difficulté technique, elle s’annonce comme suit : si l’orientation vers une convertibilité totale du dirham est irréversible, Bank Al-Maghrib ne pourra poursuivre que deux des trois objectifs d’une politique monétaire (liberté de fixer les taux directeurs, autonomie de la politique de changes et convertibilité totale de la monnaie). En cas de convertibilité du dirham, la Banque centrale sera contrainte de choisir entre (i) disposer de régimes de changes fixes et d’une libéralisation des changes, auquel cas, elle doit abandonner son autonomie monétaire, à savoir la possibilité de déterminer les taux d’intérêt et (ii) maintenir l’autonomie de la politique monétaire et la libre circulation des capitaux et, dans ce cas, il faut aller vers un système de changes flottants, ce qui signifie l’impossibilité de fixer les parités de change par rapport aux autres monnaies. Lever le contrôle des changes et aller vers une totale liberté de circulation des capitaux revient soit à adopter un régime de changes flottants, soit à abandonner le principal outil de la politique monétaire qu’est la fixation des taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation ou lutter contre la récession. Les autorités monétaires ne pourront donc pas concilier les trois objectifs, sinon nous payerons un prix cher en fuite des capitaux et en attaques spéculatives sur le dirham (lire l’article : «Libéralisation des changes :
attention à l’impossible trinité !»).
Or aujourd’hui, aucun de nos responsables de la politique monétaire ne nous a indiqué la finalité d’une telle décision (à part jouer au bon élève et se conformer à l’article 4 des statuts du FMI) et ses effets sur l’économie et les échanges du Maroc, ni les modalités de mise en œuvre, à savoir l’objectif de la politique monétaire que nous allons abandonner.
Encore un effort de communication à faire !
Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com
