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À Charlotte, l’Amérique a renoué avec ses vieux démons

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages?: «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée?», Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

À Charlotte, l’Amérique a renoué  avec ses vieux démons

Il y a quelques jours, un jeune de 21 ans dénommé Dylann Roof a abattu de sang-froid neuf Afro-Américains dans une église. Le meurtre, dont le caractère raciste ne peut être nié, met à jour une réalité qui contraste fortement avec le fameux melting pot idéal que les États-Unis enseignent au monde.

Un remake des attentats de Birmingham : Il y a tous justes 50 ans, en 1963, une bombe posée dans une église noire de Birmingham tuait 4 petites filles. Un acte atroce, qui avait été l’un des déclencheurs de la marche de Selma, mais qui se reproduit encore une fois aujourd’hui et de façon encore plus atroce. Car 50 ans plus tard, le suspect Dylann Roof n’a même pas pris la peine de se cacher… et il a même laissé un témoin de la scène pour mieux raconter ses «exploits». Mais comment comprendre que dans un pays où le Président est un métis, le racisme soit si décomplexé et si violent ?
Les réponses, il faut les chercher dans le système américain qui n’a en réalité pas radicalement changé depuis 50 ans. En 2007 par exemple, la ville de Jena en Louisiane ne comptait qu’un seul enseignant noir, un seul policier noir, deux enseignants noirs et… aucun juge noir. Certes, cette ville de 2.900 habitants compte 90% de blancs, mais sa réalité reflète celle de tout le pays. Le rapport «CWI», qui analyse les effets de la récession de 2008 sur les enfants et qui a été publié en 2010, explique ainsi que les enfants afro-américains souffriront beaucoup plus que les enfants blancs parce qu’un grand nombre d’entre eux vivent dans la pauvreté. Car comme l’indique l’Economic Policy Institute, le taux de chômage des noirs est systématiquement au moins deux fois supérieur à celui des blancs : en 2013, un travailleur noir sur cinq s’est ainsi retrouvé au chômage. Ces derniers occupent majoritairement des emplois sous-payés et précaires, car ils ont peu d’éducation : la plupart vivent dans des comtés peu prospères où les moyens manquent pour rendre les écoles efficaces, quant à l’accès aux universités, il est compromis pour la plupart d’entre eux à cause des coûts (21.200 euros par an pour une université privée et 15.000 euros par an pour une université publique).

Un cercle vicieux renouvelé en permanence

En l’absence d’une éducation correcte, la plupart des noirs n’ont que le sport, la musique et l’armée comme véritables ascenseurs sociaux. Et comme ces milieux restent pour le moins sélectifs – il faut avant tout avoir les aptitudes nécessaires –, la plupart des jeunes se tournent vers la rue et tous ses trafics.
Ils usent de violence pour défendre leurs territoires, ils usent de violence face à la police qui à son tour répond. Et comme ils sont sous-représentés dans la justice, ils perdent leurs procès la plupart du temps. Résultat : les jeunes noirs sont systématiquement associés, à tort ou à raison, à la violence dans les rues ; les policiers jugent sur les seules apparences et font souvent des erreurs. Quant à la justice, elle donne l’impression que le seul fait d’être Noir est déjà une preuve à charge. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2006, les noirs représentaient 37,5% de la population carcérale et en 2005, le taux d’homicides commis par les Noirs étaient 7 fois plus élevés que celui des Blancs et des Hispaniques réunis. Il y a donc bien une double réalité derrière ce phénomène. Celle du racisme qui pousse les policiers et la justice à accuser du fait seulement de la couleur de la peau et celle de la violence qui existe dans certaines franges de la population noire et qui pousse les policiers à se défendre, le plus souvent avec violence. Devant ce phénomène, le champ d’action des politiciens reste limité.

Les tentatives de mise en place de discrimination positive ont en effet échoué dans plusieurs États au nom du principe de l’égalité entre les citoyens et il reste très difficile de mettre en place une politique uniquement dédiée aux Noirs. De même, l’action communautaire reste relativement invisible. Il y a certes les activistes qui dénoncent régulièrement les actes racistes, mais on voit moins l’action sociale. Celle de ces Noirs qui ont réussi par exemple et qui pourraient aider les autres, celles des organisations de la société civile qui pourraient par exemple se mobiliser et s’entraider. Le fait est pourtant visible chez les Hispaniques qui se soutiennent régulièrement, chez les Chinois ou encore chez les communautés musulmanes qui ont par exemple mis sur pieds des supermarchés pour financer leurs activités… mais moins chez les Noirs. Or le racisme ne peut pas être invoqué dans tous les cas et à un moment donné, c’est bien l’effort personnel qui est en jeu et il est temps pour les Noirs de se lever ensemble et de peser de tout leur poids pour améliorer leur sort et vivre comme des citoyens à part entière. 


Que peut faire Barack Obama ?

L’élection de Barack Obama suscité de nombreux espoirs dans la communauté afro-américaine, mais aussi dans le monde au sujet des avancées sur la place des Noirs aux États-Unis. Certes, l’homme a des origines africaines qui ont en font un symbole, mais il est avant tout un homme politique.
Et s’il a pu gagner les élections deux fois, c’est d’abord parce qu’il a présenté un programme attractif pour la majorité de la population, blancs et noirs confondus, qu’il a pu faire repartir l'économie des États-Unis alors qu’ils subissaient de plein fouet la crise et qu’il représentait la seule alternative crédible face à ses adversaires plus ou moins défaillants.
Sur la question des Afro-Américains, le Président est toujours resté assez distant. Se contentant de citer Martin Luther King pendant les grandes occasions, il est resté assez discret sur les préoccupations de la communauté noire et ne s’est pas déplacé durant les événements de Ferguson. Il faut dire que sa position reste assez difficile, en tant que président des Noirs comme des Blancs, et qu’il lui est plus facile de punir l’Iran pour son programme nucléaire que de punir la police américaine pour ses bavures à répétition. Sa femme Michelle, qui avait tenté de prendre des initiatives au début du premier mandat, a très vite été rappelée à l’ordre. La première dame s’occupe désormais principalement de la question de l’obésité chez les Américains : une question qui reste importante et surtout beaucoup moins brûlante que la question raciale.

Le terrorisme blanc

Dylann Roof a déclaré aux enquêteurs qu’il avait tué ces 9 personnes au nom de la suprématie des Blancs et qu’il n’avait aucune raison de se sentir coupable du traitement qui était subi par les Noirs. Ce discours n’est pas sans rappeler celui d’Anders Berin Brevick qui avait également justifié son crime de masse par une bataille contre toutes les personnes qui tentaient de mettre en péril la suprématie des Blancs. Aux États-Unis, le terrorisme blanc est devenu une vraie menace, mais les autorités n’osent pas la nommer ouvertement. Car même si nous sommes loin des nœuds coulants et des costumes blancs du Ku Klux Klan, la répression blanche contre les Noirs est plus que jamais meurtrière. Une étude réalisée par la police indique en effet que les extrémistes blancs ont perpétré 337 attaques et ont tué 245 personnes durant la décennie post 11 septembre. C’est cinq fois plus que les 20 attaques et les 50 morts causés par les extrémistes islamistes si l’on en croit les chiffres de l’étude menée par le Police Executive Research Forum en collaboration avec Charles Kurzmann et David Schanzer. Ils ajoutent que l’extrême droite est la première source idéologique de violence aux États-Unis, mais qu’elle reste minimisée.

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