En quelques semaines, Dassault Aviation, dont l'armée de l'air française était jusqu'à présent le seul client du Rafale, a mis fin à une malédiction de dix ans avec, coup sur coup, trois ventes à l'étranger : 24 appareils commandés par l'Égypte en février, 36 autres par l'Inde deux mois plus tard et 24 autres encore par le Qatar jeudi, soit un total de 84.
«C'est un succès» pour Dassault, mais aussi «pour les pouvoirs publics et la diplomatie française (...)» et «une bonne nouvelle» pour l'économie française, s'est réjoui le Président socialiste français.
«Pendant longtemps, il y a eu des doutes sur ce Rafale. Peut-être y avait-il aussi une volonté d'aller trop vite», a-t-il poursuivi. Une manière d'égratigner son prédécesseur Nicolas Sarkozy qui avait fait le forcing pour vendre ce fleuron de Dassault Aviation à l'étranger, sans jamais y parvenir.
En 2013 encore, le coût de l'appareil, plus élevé que celui de ses concurrents, avait fait reculer le Brésil.
Bruno Tertrais, expert à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), un think tank français, distingue quatre facteurs dans les succès actuels.
Premier facteur, le Rafale est employé depuis 2007 dans des opérations de bombardement et de combat «au succès indubitable» (Afghanistan, Sahel, Libye et Irak).
Deuxième facteur, «la solidité d'une “équipe France”, politique et industrielle, particulièrement soudée, agissant discrètement et se gardant des effets d'annonces prématurés».
Troisième facteur, toujours selon Bruno Tertrais, «le succès appelle le succès, avec le déclencheur égyptien».
Et quatrième facteur, «plus spécifique aux pays du Golfe qui apprécient la constance de la France», notamment lorsqu'à l'été 2013 François Hollande s'était dit «déterminé» à «punir» le régime de Bachar al-Assad accusé d'avoir employé des armes chimiques contre son propre peuple.
A contrario, le Président Barack Obama avait renoncé in extremis à intervenir militairement alors qu'il avait fait de l'usage par le régime syrien de ces armes prohibées une «ligne rouge».
Droits de l'Homme
«Pour les pays du Golfe et notamment l'Arabie saoudite, le lâchage soudain du dirigeant égyptien Hosni Moubarak par Washington en février 2011 avait été un choc», relève-t-il encore. «Tous les pays de la région se souviennent de ce qui était arrivé à la Turquie en 1974 quand ses troupes avaient débarqué à Chypre et que les Américains avaient interrompu la livraison des pièces de rechange de son aviation», renchérit François Heisbourg, président de l'Institut international d'études stratégiques de Londres.
Et ces dernières années, ajoute-t-il, «les Français ont montré qu'ils négociaient durement» avec l'Iran sur son programme nucléaire soupçonné de dissimuler des fins militaires «alors que les Américains se montraient plus souples». Or l'Iran est le grand rival chiite des monarchies sunnites du Golfe.
«Dans cette région du monde, la France tient une position stratégique cohérente et comprise», a souligné dans une interview au «Journal du Dimanche» Jean-Yves Le Drian.
Quitte à prêter le flanc aux
critiques des défenseurs des droits de l'Homme. Lors de la signature du contrat avec l'Égypte, Amnesty International avait ainsi mis en garde contre le transfert de technologie à un régime qui exerce contre son propre peuple «une répression sans précédent depuis trente ans».
Mais alors que la France peine plus que d'autres pays européens à renouer avec la croissance, les réussites engrangées dans le secteur de l'armement font négliger bien des réticences :
les exportations d'armes sont en hausse constante depuis trois ans, avec près de 4,8 milliards d'euros en 2012, 6,9 milliards en 2013 et 8,1 en 2014. Cette année, elles atteignent déjà «plus de 15 milliards d'euros», s'est félicité le ministre de la Défense.
