Cela fera bientôt 60 ans que s’est tenue à Bandoeng la conférence des non-alignés. Un évènement qui a été plus que marquant sur le plan politique à l’époque, mais aussi sur le plan des cadres théoriques de l’analyse du développement grâce à l’institution d’un terme : la coopération Sud-Sud. Il s’agissait alors pour les États, en développement principalement, de marquer leur neutralité dans la guerre froide. Mais en 60 ans, la coopération Sud-Sud a bien évolué et il est temps d’en faire le bilan.
Pour remettre les choses dans leur contexte, il est important de souligner que le Sud fait ici référence aux pays en développement et se place en opposition au Nord qui regroupe les pays développés. La coopération Sud-Sud réunit donc des pays en développement qui peuvent être sur différents continents, tels que l’Afrique, l’Asie et qui ne sont pas nécessairement situés au Sud.
La coopération Sud-Sud : une relation aux multiples facettes
Si au départ, la coopération Sud-Sud avait principalement un objectif politique ponctuel, à savoir une voix neutre dans la guerre froide et la lutte pour la décolonisation, la sortie de la guerre froide va rapidement lui donner d’autres aspects. Des aspects économiques tout d’abord avec la volonté des pays en développement de sortir des schémas de prédation imposés par le Nord, qui capte l’essentiel des richesses et de la valeur ajoutée, et de construire des schémas de développement adaptés. Ainsi, les pays du Sud créeront le G-77 en 1964 et réaffirmeront leur volonté de croissance commune en 1978 lors de la conférence des Nations unies sur la coopération entre pays en développement.
Par la suite, des aspects géopolitiques et géostratégiques se sont très vite imposés avec l’émergence de certains pays du Sud. Le Brésil, l’Inde et la Chine (qui sont regroupés au sein des BRIC) ont en effet accéléré leur coopération avec d’autres pays du Sud, les pays d’Afrique notamment, afin de sécuriser leur approvisionnement en énergie et en minerais. Une nécessité pour des pays dont la consommation en pétrole, en phosphates ou encore en fer et en aluminium s’est considérablement accrue : à elle seule, la consommation annuelle de la Chine en acier croît de 20% chaque année, alors que la moyenne annuelle est de 4%. Mais également un atout stratégique dans le renforcement de leurs voix sur la scène politique internationale et dans la bataille pour une plus grande représentativité dans des instances telles que le Conseil de sécurité de l’ONU, où ils réclament désormais un siège permanent. De leur côté, les pays africains bénéficiaires profitent de nouvelles sources de financement, plus souples que celles du Nord, et d’alliés indéfectibles dans des dossiers sensibles comme la question des subventions agricoles à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Grâce aux volets politique, économique, géopolitique et géostratégique, la coopération Sud-Sud est devenue une voix importante dans la recherche de développement qui est vivement encouragée par l’ONU. L’Organisation des Nations unies a même fait de ce dossier l’une de ses priorités et a déclaré, depuis 2003, la journée du 19 décembre comme étant la Journée des Nations unies pour la coopération Sud-Sud. L’organisation a d’ailleurs appelé en 2001, à l’occasion de la troisième conférence des Nations unies sur les pays les moins avancés, au renforcement de la coopération Sud-Sud dans les domaines comme la santé, l’éducation, la formation ou encore l’environnement et les échanges commerciaux.
Les limites de la coopération Sud-Sud
Car force est de reconnaître que jusqu’à présent, la coopération Sud-Sud n’a pas encore atteint son objectif de développement économique pour les pays participants. Certes, les pays africains bénéficient de diverses aides au développement, mais à quel prix ? La présence de pays tels que la Chine montre qu’ils sont somme toute perdants dans cette histoire. En effet, mis à part les infrastructures durables qu’elle implante dans les pays hôtes, la Chine est la grande gagnante de ces échanges. De façon énergétique avec le contrôle d’une grande part des ressources, de façon commerciale avec l’installation de nombreuses entreprises sur le continent et même de façon démographique avec l’installation d’une population toujours plus nombreuse.
Le constat est le même avec les prêts, qui sont relativement souples, et qui risquent de replacer les pays africains dans les situations d’endettement des années 80. Autant d’éléments qui montrent que les risques des dérives observées dans les relations entre le Nord et le Sud sont également présents dans la coopération Sud-Sud et qu’ils sont même déjà avérés dans certains cas. Certes, d’autres pays, comme le Brésil, développent une coopération beaucoup plus axée sur la formation et la santé, et donc beaucoup plus bénéfique. Mais celle-ci reste de faible ampleur et ne permet pas, pour le moment, de créer des synergies. De même, la concentration sur les échanges avec les BRIC occulte les relations entre les pays africains eux-mêmes et la construction de vraies zones de développement et de coopération continentales. Des zones qui ont pourtant fait leurs preuves dans des pays développés.
