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«Nos liens redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être»

Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et du développement international, entame ce lundi une visite au Maroc, qui s'inscrit dans la dynamique de renouveau des relations d'amitié qui unissent les deux pays. Dans un entretien exclusif accordé au journal «Le Matin», le diplomate français revient sur le fait que le Maroc est un partenaire majeur pour la France. «Nous entendons travailler sur un pied d’égalité. Face aux défis communs qui nous attendent, l’amitié franco-marocaine n’est pas seulement une nécessité, c’est une grande chance», a-t-il dit.

«Nos liens redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être»
Laurent Fabius.

Le Matin : Monsieur le ministre, vous entamez aujourd’hui une visite officielle au Maroc. Elle intervient après la rencontre entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président François Hollande à Paris qui a mis fin à une année de «crise» entre Paris et Rabat. En France comme au Maroc, on parle de page tournée. Toutefois, la question qui persiste est de savoir si l’on s’est doté des mécanismes qui permettent d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir ?
Laurent Fabius : Au cours des derniers mois, notre relation a connu des difficultés, chacun le sait. Nous les avons surmontées. Les malentendus ont été levés. Les solutions ont été trouvées. J’en suis très heureux. L’entretien du Président de la République et de Sa Majesté le Roi, il y a un mois jour pour jour à l’Élysée, a jeté les bases d’une dynamique nouvelle entre nos deux pays. Les rencontres de nos ministres de la Justice et de l’Intérieur ont traduit cette orientation commune, en relançant notre coopération dans les domaines judiciaire et sécuritaire. L’accord conclu le 31 janvier sur la réforme de notre convention d’entraide judiciaire crée les conditions d’une coopération plus efficace.
Aujourd’hui, nos liens redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des liens profonds d’amitié et de confiance. Le Maroc est un partenaire majeur pour la France. Nous entendons travailler sur un pied d’égalité. Face aux défis communs qui nous attendent, l’amitié franco-marocaine n’est pas seulement une nécessité, c’est une grande chance.

La coopération entre le Maroc et la France a-t-elle redémarré avec la même vivacité qui prévalait au moment du déclenchement de la crise ? Plus précisément, la machine a-t-elle été affectée par sa mise en veille pendant une année ?
Ma visite aujourd’hui et demain au Maroc, à l’invitation de mon collègue et ami Salaheddine Mezouar, vise à ouvrir un nouveau chapitre dans les relations entre la France et le Maroc, placé sous le signe du renforcement et du renouvellement. Nous sommes partenaires dans tous les domaines. S’agissant de la France, cela suppose de nous adapter aux attentes d’un pays qui se transforme et qui se situe désormais dans la catégorie des émergents. Nous sommes déterminés à aller plus loin encore que ce qui a pu être accompli dans le passé. Les projets ne manquent pas. Nombre d’entre eux sont déjà sur les rails. La douzième Rencontre de haut niveau (RHN), qui se tiendra prochainement à Paris, permettra de définir une feuille de route bilatérale pour les deux années à venir. Elle sera précédée d’un déplacement au Maroc du Premier ministre, M. Manuel Valls, le 10 avril, à l’invitation de son homologue, Abdelilah Benkirane.

La coopération économique entre le Maroc et la France est-elle aujourd’hui aussi forte et solide qu’elle l’a toujours été ? Les investisseurs des deux côtés n’ont-ils pas besoin d’opérer un sursaut pour lui redonner la vigueur d’antan ? Que peuvent faire nos deux pays à destination de l’Afrique, où le Maroc porte aujourd’hui une vision et une stratégie actives en matière de coopération Sud-Sud ?
La France est aujourd’hui, et de loin, le premier partenaire économique du Maroc : les investissements français représentent près de la moitié du stock des investissements étrangers ; 750 filiales d’entreprises françaises sont implantées sur le territoire marocain, générant plus de 120.000 emplois. Le Maroc est le premier pays d’intervention pour l’Agence française de développement, avec une exposition s’élevant à plus de 2,3 milliards d’euros fin 2014. Pour conserver ce statut de partenaire de référence du Maroc, nous devons sans cesse innover et nous adapter à un pays en pleine évolution. J’évoquerai avec l’ensemble de mes interlocuteurs les moyens de continuer à renforcer notre partenariat économique, en favorisant notamment les projets conjoints dans les secteurs d’avenir que sont les transports, les énergies renouvelables, la ville durable ou le tourisme.
Nous devons encourager la coopération franco-marocaine à destination des marchés africains. Nous souhaitons en particulier accompagner des projets de coopération Sud-Sud lancés par le Maroc, par exemple dans les domaines de la sécurité alimentaire, des infrastructures et du financement des investissements. À l’occasion de la prochaine Rencontre de haut niveau, nous lancerons de nouvelles initiatives dans ces domaines. Et je n’aurai garde d’oublier notre coopération éducative, scientifique, culturelle, qui est excellente et essentielle.

Le Maroc et la France font aujourd’hui face à une menace terroriste de même nature. Peut-on parler d’une tendance à créer une coalition internationale des services de police et de renseignement contre les mouvances extrémistes ?
La France et le Maroc sont déterminés à lutter ensemble contre les groupes terroristes armés comme Daech ou Boko Haram : nous devons unir nos efforts sur les plans sécuritaire et diplomatique. Face au terrorisme, cette détermination commune est plus importante que jamais. Pour être pleinement efficace, cette action «en aval» doit être accompagnée d’une mobilisation en amont en matière de prévention de la radicalisation. Je salue les efforts déployés par le Maroc depuis de nombreuses années pour promouvoir un Islam de tolérance et d’ouverture.

Les attentats terroristes perpétrés à Paris ont été suivis d’une vague d’actes contre les musulmans en France et en Europe. Une crainte de plus en plus forte s’empare des musulmans de France face à la montée de l’islamophobie. Quelle est la stratégie de votre gouvernement pour protéger la communauté musulmane et contrer le discours anti-islamique ?
La multiplication des violences commises contre des musulmans et leurs lieux de culte au lendemain des attentats de janvier à Paris est malheureusement une réalité. Nous condamnons ces actes avec la plus grande sévérité : s’en prendre à des musulmans en raison de leur religion, c’est s’en prendre à la République française. La prévention et la répression de ces violences intolérables constituent un sujet prioritaire. Une série de mesures a récemment été annoncée par le gouvernement. Elles vont du durcissement de la répression pénale de ces actes, afin de dissuader leurs auteurs, au renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école, afin de lutter contre les préjugés. Les Français de confession musulmane doivent pouvoir vivre sur le territoire de la République avec la même sécurité et tranquillité d’esprit que l’ensemble des autres Français.

Le Maroc et la France jouent traditionnellement un rôle de passerelle entre les deux rives de la Méditerranée. Que peuvent-ils faire concrètement, dans le contexte actuel, pour encourager un rapprochement euro-méditerranéen plus que jamais nécessaire ?
Notre intérêt commun est de faire de la Méditerranée un espace qui nous rassemble : à terme, une vaste zone de libre circulation des hommes, des idées et des marchandises. La France et le Maroc ont un rôle moteur à jouer en ce sens, en raison de la densité des liens qui nous unissent. Le lancement il y a quelques mois de l’INSA (Institut national des sciences appliquées) international au sein de l’Université euro-méditerranéenne de Fès est un exemple des réalisations concrètes dont nous sommes capables lorsque nous unissons nos efforts, dans l’intérêt de toute la région, particulièrement de la jeunesse. La présidence conjointe franco-marocaine du Forum 5+5 constituera l’occasion de prendre des initiatives en faveur du développement et de la sécurité en Méditerranée occidentale. Plusieurs rencontres sont en préparation dans ce cadre, au Maroc comme en France, notamment dans les domaines du commerce et du tourisme.

La lutte contre le réchauffement climatique est l’une des priorités de la diplomatie française en 2015. Vous êtes personnellement engagé sur ce dossier. Que peut faire le Maroc pour accompagner les efforts de la France ?
C’est l’avenir de la planète qui est en jeu à travers l’action contre le dérèglement climatique. En tant que futur président de la COP 21, je fais de ce sujet une priorité absolue. La diplomatie française est pleinement mobilisée pour permettre que la conférence climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015 soit un succès. La succession de nos deux pays à la présidence de la COP 21 et de la COP 22 nous invite à coordonner nos efforts. Le Maroc sera donc pleinement associé à notre démarche – j’y veillerai personnellement. Son engagement en faveur des énergies renouvelables en fait un partenaire de premier rang.

Un dernier mot sur les relations franco-marocaines. Maintenant que la crise semble derrière nous, quel est votre regard sur ce qui s’est passé ces derniers mois et sur les perspectives d’avenir ?
Notre relation vient de traverser quelques mois de turbulences. Elles sont terminées. J’en suis heureux. Nous avons plus que jamais de belles et grandes choses à faire ensemble ! Le nouveau chapitre qui s’ouvre et les projets concrets que nous lançons dans tous les domaines montrent clairement la voie à suivre. 

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