Dans un article de décembre 2014, nous avons expliqué les raisons techniques pour lesquels la baisse des taux directeurs n’aurait aucun impact sur la reprise des crédits, au moment où «les spécialistes» applaudissaient des deux mains cette décision. Pour ceux qui considèrent que l’économie est un ensemble de manettes qu’on peut actionner comme dans un jeu vidéo avec des résultats connus à l’avance, le réveil a été assez dur de l’aveu même du premier banquier.
C'est ainsi que l'échec de la baisse des taux directeurs à relancer le crédit soulève le débat classique sur l'impact des instruments de la politique monétaire sur la croissance. Au Maroc, il n'y a pas de lien établi entre baisse des taux directeurs et croissance du PIB, voire même entre cette baisse et la variation des encours de crédits que Bank Al-Maghrib (BAM) cherche à encourager. Ignorer les facteurs structurels, les éléments socioculturels, voire même psychologiques, qui président aux décisions économiques est une naïveté qui n’a d’égal que la légèreté avec laquelle les résolutions importantes sont prises dans ce pays. Si ça ne marche pas, c'est que les problèmes sont être ailleurs.
Quand la Banque centrale cherche à favoriser le crédit par une baisse de son coût, elle oublie que les banques commerciales ont d'autres contraintes, à la tête desquelles l'insolvabilité des débiteurs qui augmente considérablement en temps de crise et sur laquelle, elles sont régulièrement rappelées à l'ordre, aussi bien par leurs actionnaires que par leur instance de supervision qui n'est autre que BAM. En d'autres termes, si on donne des crédits, il faut accepter qu'une partie devienne irrécouvrable. Sauf que le niveau des créances en souffrance des banques au Maroc est déjà à un pic inquiétant. Dans ces conditions, une réduction des taux d'intérêt apporte une mauvaise réponse à un souci réel. Bien au contraire, au lieu de résoudre le problème, elle peut l'aggraver. Si la trappe à la liquidité (phénomène monétaire où les taux d’intérêt réels deviennent tellement faibles que les agents économiques préfèrent détenir des liquidités plutôt que de placer à ces taux) continue de sévir, on comprendrait facilement que la réponse à ce problème monétaire ne doit pas être uniquement monétaire. Pour débloquer la croissance, l’action à entreprendre doit être budgétaire, à travers une augmentation de la dépense publique pour remplir le carnet de commandes des entreprises, même au prix d'une hausse momentanée du déficit des comptes publics.
À ce titre, le gouvernement qui a dégagé d'importantes économies sur les réformes menées doit orienter une partie de celles-ci à l'investissement direct générateur de croissance et créateur d'emplois. Mais pour ce faire, il y a une condition préalable, disposer du courage nécessaire pour résister aux dictats du FMI et à la psychose qu'inspirent les agences de notation. L'objectif d'un déficit à 3% du PIB qu'on se fixe comme contrainte (parler d'objectif relève de la langue de bois) n'a aucune logique économique. Le choix à faire est entre encourager des investisseurs ou satisfaire des créanciers. La politique monétaire est, on ne le répétera jamais assez, un instrument de politique économique à court terme pour régler des problèmes conjoncturels. Or tant que le Maroc n’a pas résolu les problèmes structurels de compétitivité de ses entreprises et de productivité de son capital humain, la monnaie a très peu de chances de réussir là où les autres composantes de la politique publique n’ont pas fait le travail qu’il faut.
Ces mesures structurelles concernent l’amélioration de l’environnement des affaires, la réforme du marché du travail, la démocratisation de l’accès au financement (au-delà de la focalisation quasi exclusive sur son coût), la lisibilité et l’équité fiscale et l’exploitation des zones de libre-échange du Maroc. Mais la mère de toutes les réformes est de s’assurer que le Maroc dispose des facteurs de production en quantité et en qualité nécessaires à un coût raisonnable et qu’ils aillent en priorité s’investir dans les secteurs productifs, notamment ceux à dimension nationale (Plan Maroc vert, Émergence industrielle, Vision 2020 du tourisme et Plans d’indépendance énergétique).
Sans cette dotation, il ne sert à rien de donner des crédits à des agents qui ne pourront pas les transformer en richesses en long terme, comme il ne sert à rien de donner un crédit, même à un coût réduit, à entrepreneur qui n'a pas de projets d'investissement, car son carnet de commandes est vide.Enfin, dans un contexte d'économie mondialisée, toute politique publique doit prendre en compte celle de nos principaux partenaires commerciaux.
C'est ainsi que la politique d'encouragement des crédits prônée par la Banque centrale n'a favorisé que les crédits à la consommation de produits, pour l'essentiel, importés, car nous n'avons pas encore développé une offre locale. En d'autres termes, le pouvoir d'achat que nous avons distribué via des crédits (et non pas grâce à la production hélas !) profite avant tout aux économies des pays avec lesquels nous commerçons au lieu que leur relance nous profite. L'endettement crée certes un peu d'activité à court terme, mais à long terme, ce qui reste c'est une lourde traite à payer à la fin du mois et parfois même, on doit s'endetter pour payer des dettes antérieures. Voilà pourquoi la monnaie est réellement dangereuse !
Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’économie, de stratégie et de finance.
nabiladel74@gmail. com www.nabiladel74. wordpress.coms.
