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L’accord sur le nucléaire iranien : Un tournant historique ?

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages?: «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée?», Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

L’accord sur le nucléaire iranien : Un tournant historique ?

Alors que la majorité des observateurs pariaient sur un nouveau report des négociations, les négociateurs sont arrivés à un compromis historique ce mardi 14 juillet dans le dossier du nucléaire iranien. Un soulagement pour les Iraniens en premier lieu, mais également pour le monde entier qui peut enfin entrevoir un apaisement des relations diplomatiques entre l’Iran et les puissances occidentales.

C'est une foule immense qui est descendue dans les rues de Téhéran ce mardi 14 juillet dès 22 h 30. Les Iraniens, toutes catégories confondues, s’étaient donné rendez-vous pour fêter cet accord historique, synonyme pour eux d’une levée des sanctions internationales à l'encontre de leur pays. Et leur réaction est plus que compréhensible, tant cet accord s’est fait attendre : les négociations, reportées à plusieurs reprises, ont en effet failli ne jamais aboutir.
Heureusement donc, les négociateurs ont réussi à conclure un accord qui permet à l’Iran de respirer et d’entrevoir l’avenir. Car même s’ils ont tenté de tenir bon, les Iraniens ont beaucoup souffert des années de privations. Les chiffres sur le sujet ne sont pas disponibles, mais dans des secteurs comme la santé, les investissements et même l’emploi, les dégâts ont été assez importants. Il faut tout de même rappeler que l’Iran a été le seul pays au monde à subir un embargo aussi dur, aussi restrictif et aussi long (il dure depuis une dizaine d’années maintenant). La liesse populaire était donc plus que compréhensible, mais quels sont les enjeux de cet accord ?

Quels sont les dessous des cartes ?

L’accord sur le nucléaire iranien reste encore assez fragile et cela principalement du point de vue de son application. Les États-Unis comme l’Iran auront en effet à affronter leurs opposants nationaux et, sur ce terrain, la partie semble loin d’être gagnée d’avance. Ainsi aux États-Unis, les membres du congrès pensent que l’accord de Vienne ne limite pas assez les activités nucléaires de Téhéran. Rappelons ici que l’accord de Vienne établit un mécanisme de vérification et d’inspection particulièrement rigoureux, mais cela n’a pas empêché les membres du Congrès et d’autres personnalités politiques, comme Hilary Clinton, d’exprimer leurs réserves sur les attitudes iraniennes.
L’adoption par le Congrès américain d’une nouvelle loi visant à contrecarrer l’accord n’est donc pas à exclure, même si Barack Obama a assuré qu’il y opposerait son véto. De même, une opposition des conservateurs iraniens aux politiques du gouvernement en place n’est également pas à exclure. Ce serait un calcul politique parfaitement logique de la part de ces derniers qui viennent de voir leurs grands rivaux réussir en 2 ans ce qui n’a pas pu être fait au cours des dix dernières années.

Sur le plan international, c’est également la position de l’Iran sur la scène qui évolue. Pour les Occidentaux, elle représente à la fois une grande opportunité et une grande menace. Une opportunité dans le sens où la recherche d’objectifs communs que sont la stabilité de l’Afghanistan et en Irak ainsi que le retour de la paix en Syrie et au Yémen en font un allié incontestable sur le plan militaire et politique. De nombreux experts soulignent en effet que la présence des Peshmerga et des Kurdes sur le terrain en Syrie est l’une des raisons principales de la signature de l’accord. L’alliance entre ces troupes et les troupes occidentales pourrait en effet être la stratégie idéale pour lutter efficacement contre l’EI.

Mais l’Iran représente également, dans une certaine mesure, une menace pour les Occidentaux. Parce qu’avec la fin des sanctions, ce sont également les avoirs iraniens extérieurs qui reviendront dans les caisses du pays. La grande inconnue reste l’utilisation qui sera faite de cet argent par les autorités : il peut servir tout simplement au développement et au rattrapage du retard du pays. Tout comme il peut être utilisé pour mieux s'implanter pour des objectifs moins avouables. Et l’Occident n’est pas seul à s’inquiéter du nouveau regain de puissance de l’Iran, il y a également ses voisins directs. La Syrie, le Liban, l’Irak ou encore le Yémen sont autant d’États qui peuvent craindre que l’Iran ne finance une politique expansionniste sur leur territoire. Ce serait alors un scénario catastrophe pour la région et pour le monde entier, à plus large échelle. D’autres, qui sont certes un peu plus éloignés, craignent également la nouvelle puissance iranienne. Israël, par exemple, dont le premier ministre n’a pas caché son mécontentement, craint l’émergence d’une puissance capable de l’attaquer.

Les scénarios sont donc multiples et, à l’heure actuelle, il est difficile de savoir quelle sera la stratégie de l’Iran. Pour le moment, le pays fête encore l’accord, mais devra très vite revenir à la réalité. La levée des sanctions ne sera en effet effective qu’une fois que l’Iran aura satisfait ses engagements pré-nucléaires, c'est-à-dire quelques mois après l’entrée en vigueur de l’accord. Et à cette période, il y a fort à parier que le gouvernement se concentre d’abord sur la question sociale pour permettre aux populations de rebondir avant de s’intéresser à une stratégie étrangère.

Qu'est-ce qui rend l'accord de Vienne historique

Pour Ali Vaez, responsable du dossier iranien à l'International Crisis Group, qui a livré son analyse au journal «l'Express» : «l'accord de Vienne est historique parce que c'est l'accord multilatéral le plus innovant jamais conclu. Il établit les mécanismes de vérification et d'inspection les plus rigoureux possibles ; il annule l'un des régimes de sanctions les plus étendus jamais imposés à une nation ; enfin, c'est la première fois qu'un tel dossier, négocié en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies, est refermé sans guerre ni changement de régime.» L'accord a mobilisé toutes les forces politiques du pays – le parti au pouvoir, les opposants comme les conservateurs –, qui ont bien compris qu'il était nécessaire. La position de l'Iran jusqu'à présent n'avait fait qu'aggraver la situation économique du peuple et c'est certainement cette raison qui a poussé les Iraniens à tout faire pour parvenir à un accord.

Que couvre la levée de l'embargo ?

La levée de l'embargo couvre les sanctions économiques qui sont désormais levées. L'Iran peut à nouveau accueillir des investisseurs tout comme il peut à nouveau s'approvisionner en biens de première nécessité. De même, les avoirs iraniens à l'extérieur, qui étaient jusqu'alors gelés, sont débloqués et pourront être récupérés par l'État. Par contre, un embargo partiel existe toujours du côté des armes et il faudra attendre un peu avant qu'il ne soit complètement levé. Il faut noter que la levée des sanctions était une des conditions principales défendues par les Iraniens qui ne souhaitaient pas conclure d'accord sans que ce point soit résolu. Certes, certains diront que l'Iran a beaucoup cédé par rapport à ses positions initiales, mais le pays a tout de même remporté une victoire considérable qui lui permet de retrouver de l'espoir pour son développement.

Quels sont les scénarios possibles dans l'avenir ?

L'accord iranien est un accord historique à bien des égards, mais le plus dur reste son application. En effet, il a des détracteurs tant du côté occidental que du côté iranien. Et la grande question est de savoir quelles stratégies vont mettre en œuvre ces deux camps. Dans le cas américain, par exemple, un vote par le Sénat d'une loi pour saboter l'accord risquerait non seulement de mettre le pays dans une situation délicate sur le plan diplomatique international, mais également de remettre en cause l'ensemble des acquis de l'accord. Les Iraniens auront de leur côté à craindre la déception des populations devant la lenteur des réformes et de la mise en place effective des changements, mais également les éventuelles oppositions des conservateurs aux changements sociaux. Les chances d'échec sont donc bien présentes, mais certains pays comme la France restent particulièrement vigilants sur ce point. L'Hexagone a en effet un acteur de premier ordre dans le processus et voit dans l'Iran un allié de taille en Syrie et au Yémen, de même qu'en Afghanistan et en Irak. Il n'est donc pas question pour elle de permettre une action qui va contre l'application de l'accord. Il faudra également suivre attentivement la réaction d'Israël qui s'est fermement opposé à cet accord. Autant d'éléments qui poussent à la réserve pour le moment.

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