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L’impérieuse nécessité de la prospective territoriale

Dans un monde de plus en plus globalisé, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la tendance au retour au local semble devenir la norme des temps modernes. Ceci est d’autant plus paradoxal que le monde n’a jamais été aussi connecté et interdépendant que maintenant.

La mondialisation qui est synonyme d’interdépendance, de libres circulation des personnes, des biens et services, a rendu le monde accessible, les moyens de transport et de communication, comme outils au service de cette mondialisation, ont réduit la planète, du moins en apparence, à un écran géant où d’un simple clic de souris, on peut de manière instantanée savoir ce qui se passe dans les quatre coins du monde. Bref, on est intensément et instantanément informé. En effet, tant de signaux faibles se sont transformés en tendances lourdes et d’événements insignifiants sont devenus des faits majeurs de ce 21e siècle grâce à cette circulation rapide de l’information.

Un monde dont le sens nous échappe

Le contraste est que dans ce monde hypermondialisé, nous assistons, essentiellement en période de crise, au retour de certains phénomènes que nous pensions appartenir à un passé lointain, il s’agit de repli sur soi, de la crispation identitaire, de la réhabilitation du protectionnisme et la montée en puissance du local comme nouvelle échelle de création et de valorisation des ressources génériques et spécifiques.
Une tendance que d’aucuns qualifient de retour à la source, dans la mesure où la mondialisation, malgré tout ce qu’elle a pu apporter à l’humanité tout entière, a manqué l’essentiel, en ce qu’elle s’avère incapable de produire du sens. La quête du matériel et de la consommation effrénée qu’elle a stimulée a relégué au second plan tout ce qui donne sens au comportement des humains, à savoir la créativité, la solidarité, la coopération, la confiance, le civisme, l’estime, etc. De même, en valorisant l’espace-monde et la culture sous-jacente (celle du capitalisme), la mondialisation a extraordinairement occulté les spécificités territoriales (institutions locales, patrimoines, ressources spécifiques, savoir-faire locaux, modes de régulation et de résolution des problèmes…). Face à ce monde global qui devient multipolaire, voire chaotique et «crisogène», il est important de se projeter dans l’avenir et de considérer les événements actuels, aussi malheureux et catastrophiques soient-ils, comme une opportunité pour évoluer vers un monde meilleur, viable et pacifique. Ce qui nécessite, tout d’abord, d’abandonner la vision «manichéenne», qui consiste à opposer le global au local.

La raison voudrait que les deux doivent se compléter dans la mesure où le local renvoie à l’environnement qui permet aux individus de prévoir-soi et de devenir-soi pour paraphraser Jacques Attali (2015), tandis que le global permet aux territoires de se mettre en visibilité et de donner aux individus plus d’opportunités et aux nations plus de compétitivité. Ainsi, dans un mouvement de mondialisation marqué, à la fois par l’abolition des distances séparant les pays, suite à la réduction des coûts de transports, et le retour du phénomène de la paupérisation en raison de la généralisation du même mode de développement et de consommation, ainsi que le spectre de la stagnation qui se profile à l’horizon en Occident, la question qui se pose est de savoir le poids du local dans cette économie globale, qui semble à bout de souffle en dépit des capacités productives impressionnantes rendues possibles grâce aux efforts déployés en matière de recherche et développement, d’entrepreneuriat ainsi que des nouvelles technologies. En gros, les modèles de développement suivis jusqu’alors par les pays industrialisés s’épuisent.

L’économie des territoires : vers une réinvention de l’économie par le local

Force est de constater que les territoires deviennent, de nos jours, de véritables vecteurs de changement et de réinvention, aussi bien de l’économie que de la mondialisation. C’est ce que nombre d’économistes qualifient «du tournant territorial de l’économie globale». Autrement dit, les territoires, qui sont synonymes de proximité, de solidarité, de participation, d’action collective et de compétitivité, peuvent jouer un rôle de première importance dans la redéfinition de l’économie. La proximité qui ne renvoie pas seulement à la distance géographique, en ce qu’elle couvre d’autres aspects tels que la densité relationnelle, l’ancrage territorial des firmes globales, la mise en place des projets collectifs, etc., peut jouer un rôle capital dans l’émergence d’une nouvelle économie plus respectueuse de l’humain, de l’environnement et des spécificités territoriales. De même, la proximité multidimensionnelle (géographique, sociale et institutionnelle) peut jouer un rôle capital dans l’amélioration de l’efficacité des politiques publiques et la valorisation des ressources spécifiques (des avantages dont disposent certains territoires et qui ne sont pas facilement transférables). Toutefois, la réinvention de l’économie par les territoires nécessite l’existence, chez les acteurs locaux, d’une volonté commune de se projeter dans l’avenir et de prévoir les avenirs possibles pour leur territoire. Autrement dit, la prospective territoriale devient importante, voire déterminante, dans l’émergence d’une économie territoriale plus humaine, imaginative, créative et durable. Étant donné que la méthode Attali de prévision de l’avenir se veut démocratique, parce que, comme souligné par l’auteur dans son ouvrage «Peut-on prévoir l’avenir ?» (Fayard, 2015), pour prévoir son propre avenir, celui de l’entreprise, des pays et de l’humanité tout entière, on peut s’en emparer en vue de l’appliquer à la prospective territoriale et tester son efficacité pour le projet collectif de redéfinition de l’économie par les territoires.

La prospective territoriale : une tentative d’application de la méthode Attali Ainsi, la prospective territoriale peut se décliner en 5 étapes :

1. La prévision rétrospective : elle renvoie à l’identité profonde du territoire, c'est-à-dire son historicité, sa mémoire collective, les mécanismes de coordination entre les acteurs, son patrimoine oral, écrit et naturel, ses ressources spécifiques (qui lui sont propres et sont rattachées à son identité), la manière dont les acteurs locaux ont réagi aux changements, menaces et réformes opérés par le passé, etc.
2. La prévision vitale : elle va nous permettre de nous faire une idée sur l’état de l’économie territoriale : les potentialités économiques du territoire (ses ressources génériques et spécifiques), l’affectation des subventions publiques, l’état des ressources humaines, la capacité des acteurs locaux en coordination avec l’État de concevoir des projets de développement, la démographie du territoire qui va nous permettre d’avoir une idée précise sur les infrastructures à mettre en place dans les années à venir.
3. La prévision environnementale : qui va nous aider à analyser l’avenir des autres acteurs (régions, État, entreprises, associations, ONG, agences internationales d’aide, collectivités territoriales, institutions de coopération décentralisées, etc.), qui peuvent influer sur le destin du territoire ou être influencés par son action.
4. La prévision affective : elle nous aide à comprendre les alliances possibles du territoire et l’impact des changements environnementaux (acteurs, innovations et changements, réformes étatiques, etc.) sur la trajectoire du territoire.
5. La prévision prospective : elle nous permettra de dresser la liste des «futurs possibles» pour l’économie territoriale, du genre la viabilité d’un projet de mise en place d’un pôle de compétitivité et la capacité du territoire en coordination avec l’État à attirer
les entreprises étrangères et à créer un tissu entrepreneurial local capable de tirer parti de l’action des multinationales installées sur le territoire. 

Echkoundi Mhammed,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

Hicham Hafid,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

Otando Gwenaelle,Enseignante chercheur a l’Université d’Artois (France)

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