Menu
Search
Vendredi 26 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 26 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

La dénucléarisation face à la géopolitique de la dissuasion

La géopolitique de la dissuasion constitue le principal héritage de l’époque de la guerre froide. La chute du mur de Berlin en 1989 n’a pas pu mettre fin à la course aux armements de dissuasion. Aucune doctrine de sécurité n’a prétendu remplacer les «armes de non-emploi», ce mot flou que les écoles de guerre du monde bipolaire avaient attribué à l’arme nucléaire. En effet, après une période très courte de convalescence, le monde verra une reprise des efforts, d’une part, de modernisation des armes nucléaires par les principaux possesseurs et, d’autre part, de certaines nations aspirants au statut de puissance pour l’acquisition de l’arsenal de dissuasion, à sa tête l’arme nucléaire.

La dénucléarisation face  à la géopolitique  de la dissuasion

L'emprise de la puissance américaine sur la décision internationale en matière de paix et de sécurité conjuguée aux dommages collatéraux qu’avait entrainés l’unilatéralisme américain pendant les années 1990 a créé un climat d’insécurité à travers la planète. Ainsi, l’espoir du camp des colombes de voir une planète dénucléarisée s’évaporera, surtout après les tests nucléaires de la Corée du Nord, la suspension de l’accord de Start entre la Russie et les USA et le refus de l’État d’Israël d’ouvrir ses installations nucléaires aux inspecteurs de l’AIEA. Il est très important de rappeler que la possession d’arme atomique s’inscrit dans la stratégie de défense, permettant au pays détenteur d’empêcher l’ennemi de recourir à l’usage de la force contre lui. Cependant, malgré le fait que les USA et l’ex-URSS se sont abstenus de faire la guerre l’un contre l’autre durant la guerre froide, étant donné l’auto-destruction mutuelle que pouvait entraîner toute confrontation entre les deux grands protagonistes de cette époque, la sécurité et la paix internationales n’étaient pas à l’abri d’une possible catastrophe nucléaire.

De même, cela n’a pas empêché les deux rivaux d'entrer en confrontation par procuration à travers la planète (guerre du Vietnam, baie des cochons à Cuba…). Il est aussi capital de rappeler que le fait de débattre de la question nucléaire est non seulement important, mais aussi, déterminant pour le futur des relations internationales. Si le monde a pu coexister à l’époque bipolaire grâce à l’arme nucléaire, même si c'est cynique de le dire, cela n’est plus si évident après les mutations profondes dans l’échiquier nucléaire planétaire et à cause de la diversification des acteurs puissants à travers le monde. Ainsi, le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968, qui n'a pas réussi durant la période bipolaire à fermer le Club nucléaire «des autorisés» (USA, ex-URSS, la France, la Grande-Bretagne et la Chine), avec l’accession de nouveaux États à l’arme nucléaire, «les non autorisés», à savoir l’Inde, le Pakistan et Israël, se trouve démuni face aux nouvelles réalités géopolitiques internationales, à savoir le système multipolaire, et incapable d’empêcher la course aux armes de dissuasion. Alors, cette doctrine des relations internationales qu’on croyait disparaitre avec la fin de la guerre froide se voit aujourd’hui en plein essor pour de multiples raisons.

La dénucléarisation de la planète a été la préoccupation majeure d'une grande partie des organisations internationales comme l'AIEA. Cependant, cet objectif demeure une utopie si l'on se réfère à la nature de la société internationale qui, d'après la définition de Max Weber, est conflictuelle et accentuée par les grandes questions géopolitiques non résolues.

Le conflit arabo-israélien demeure jusqu'à présent sans issue dans un Moyen-Orient où la guerre persiste depuis plus de 60 ans. Cette région géographique devient un véritable champ de guerre ouvert. On peut citer à cet égard la guerre interminable en Afghanistan contre un jihadisme inlassable. De même, l'hostilité entre les deux puissances nucléaires, l'Inde et le Pakistan, alimentée par le litige autour du Cachemire. La Russie mène sa propre guerre autour du Caucase, espace vital pour le tigre blanc, face aux mouvements séparatistes, soutenus et armés par l’Occident, d'une part, et face aux projets d'extension de l'OTAN, d‘autre part. La Russie continue de voir dans le bouclier antimissile déployé en Europe une menace directe à sa sécurité nationale.

En réponse, elle installe ses batteries de missiles balistiques sur toutes ses frontières dont le tracé n'est pas encore définitif. La sensibilité russe face aux ingérences occidentales est suffisante pour comprendre les discours de dissuasion de son Président Vladimir Poutine à l’égard des puissances occidentales, à travers lesquels il insiste sur la capacité de nuisance de l’armée russe en annonçant le 4 décembre 2014 devant l’Assemblée fédérale de Russie que «personne ne pourra jamais parvenir à une supériorité militaire sur la Russie».


La perception de la classe dirigeante russe est ferme quant à l’utilité du dispositif de dissuasion nucléaire, comme l’avait fait comprendre aux Occidentaux le Président Poutine, lors de l’annexion de la Crimée : «à la tournure la plus défavorable qu'auraient pu prendre les événements», nous étions «prêts à le faire», en se confiant à la chaine Rossiya 1, à propos de l’éventuel usage de l’arme nucléaire.
Le conflit sino-américain qui oppose les deux puissances nucléaires peut être qualifié de guerre froide. Selon les Américains, les Chinois ne sont pas clairs par rapport à leur industrie militaire. La suspension des accords de coopération militaire par la Chine sème le doute chez les Américains. Ces derniers taquinent de temps en temps le panda chinois. Tantôt via des manœuvres militaires avec la Corée du Sud ou via les ventes d'armes à Taïwan, tantôt en invitant le Dalaï-Lama à se rendre aux USA. On peut ajouter à ce cocktail les ingrédients de l'espionnage dont les scandales surgissent de temps en temps.

Faut-il encore ajouter que les Américains se considèrent depuis 2003 en guerre permanente contre «l'axe du mal», ce qui implique que le budget de la défense américaine pèse lourdement sur l'économie nationale, sachant que les républicains continuent de faire pression sur l'Administration Obama pour ne pas mettre fin à l'héritage de Bush en matière de lutte contre le «terrorisme». Ce climat d'hostilité et de rivalité, qui pèse lourdement sur les relations internationales fait d'elles un champ fertile pour les tentations de se doter d'une arme de destruction. N'est-il pas alarmant de voir notre planète assise sur plus de 23.000 têtes nucléaires ? Réalité attristante d'après les estimations de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Sachant que 90% de ce stock est en possession des cinq pays reconnus comme États dotés de l'arme nucléaire par le Traité de non-prolifération nucléaire (NTP).

N'est-il pas encore attristant de voir autant d'hypocrisie dans le comportement des puissances mondiales ? De pratiquer une politique de «deux poids deux mesures» dans leur approche, d'une part, de la question de la prolifération nucléaire dans le monde et, d'autre part, du nucléaire iranien en particulier. Cependant, même l’Occident est divisé sur l’importance de l’arme atomique. Ainsi, l’ex-Président français Nicolas Sarkozy qui, lors du vote du 24 septembre 2009 à l'ONU du texte 1887 prévoyant de «créer les conditions pour parvenir à un monde sans arme nucléaire», a reconnu l'illusion de mettre fin à la prolifération nucléaire dans le contexte mondial actuel en répondant à Obama : «Nous vivons dans le monde réel, pas dans le monde virtuel». D'ailleurs, ce dogmatisme français remonte aux années 80, lorsque François Mitterrand avait dit : «La pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion de la France, c'est le Chef de l'État, c'est moi», du fait que l'emploi de l'arme suprême relève du Président. C'est dans ce contexte de menaces, de courses aux armes de destruction massive, à l'acquisition de la technologie nucléaire, que l'Iran, la Corée du Nord et d’autres pays développent leur programme nucléaire.

La non-prolifération nucléaire, comme les droits de l'Homme, la lutte contre le terrorisme, sont certes des messages nobles, justes, voire légitimes, que l'on peut défendre. La société internationale a été souvent mobilisée derrière ces slogans, mais l'histoire a démontré que le messager n'est pas souvent crédible et que la géopolitique de la dissuasion l’emporte sur les appels contradictoires à la paix mondiale. L'Occident, avec à sa tête les USA, a souvent fait preuve de mauvaise intention. La guerre de l'Irak a donné l'exemple de la manipulation et la tromperie. N'ont-ils pas menti sur les armes de destruction massive afin d'obtenir des Nations unies ledit droit d'ingérence, chose qui s'est révélée fausse, et dont le prix était très lourd : des centaines de milliers de morts, des mutilés de guerre, des sans-abri, des femmes violées, des prisonniers torturés, humiliés et un pays détruit, presque ramené à l'âge de pierre. À l'ère de Bush fils, les USA avaient qualifié l'Iran, la Syrie et la Corée du Nord d'«États voyous» en les inscrivant sur la liste des pays de «l'axe du mal». En effet, l'Occident a accusé l'Iran d'avoir dissimulé une partie de son programme nucléaire à des fins militaires, chose que les Iraniens ont démentie, en insistant sur le caractère pacifique de leurs programmes. Faut-il préciser que pour l’Iran, le mobile des Américains n'a jamais été la lutte contre la prolifération du nucléaire, mais plutôt de contrer le régime des Ayatollahs qui constitue une menace pour leurs intérêts dans la région. Preuve à l'appui, les Américains n'ont jamais fait d'objection à ce programme à l'époque du shah Pahlavi lorsque l'Iran, aux côtés d'Israël, était leur partenaire stratégique, voire le principal pilier de leur domination au Moyen-Orient. Personne ne peut douter que l'Iran a souvent fait objet de menaces de la part de plusieurs ennemis : les talibans en Afghanistan, des groupes radicaux au Pakistan, l'opposition armée «guerriers de Dieu» qui a fait souvent de l'Irak et du Pakistan des bases arrière de leurs opérations militaires contre la République islamique iranienne. À noter aussi que les frontières de l'Iran sont pour la plupart des frontières de guerres, les flottes et les bâtiments de guerre américains ne sont pas loin de son territoire, chose qui constitue une menace permanente pour l'Iran.

D'autant plus qu'Israël, qui demeure le principal ennemi des Iraniens, est doté d'un arsenal nucléaire de plus de 200 têtes, refusant toujours de signer le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et d'ouvrir par conséquent le site de Dimona aux inspecteurs de l'AIEA, ce qui fait jusqu'à présent du programme nucléaire israélien une énigme pour la société internationale, sachant que ce programme n’aurait pu voir le jour sans l’assistance française et américaine. Il est capital d'ajouter aussi que dans la géopolitique mondiale américaine figure la destitution des régimes contestataires de l’hégémonie américaine. Ainsi, la CIA avait mené des guerres psychologiques et asymétriques contre l’Iran sous l’intitulé de la «révolution verte» de 2009. Ce même scénario qui a réussi autrefois, en Europe orientale durant les années 1990, dans le cadre des «révolutions orange», on veut le reproduire en Russie où chaque année les services spéciaux russes déjouent des plans de subversion et d’instabilité, soit à travers des ONG qu’elle implante sur le territoire russe, soit à travers les réseaux sociaux dont l’objectif est de semer des troubles capables de mettre fin à l’élite nationaliste russe, actuellement au pouvoir. L’image devient encore plus lisible quand on se réfère aux stratèges américains qui pointent systématiquement l’Iran, la Russie et la Chine comme ennemis futurs des USA (le Grand Échiquier 1997).

Cela ne constitue nullement un climat favorable à l’abandon de l’immunité nucléaire et au recul des théories de dissuasion. Sous cet angle, l'objectif des émergents de se positionner dans le monde des puissances nucléaires n'est pas seulement légitime, mais davantage une nécessité pour préparer l'avenir des générations. Les États-Unis, comme les vieilles puissances, savent bien que les grands enjeux de l'avenir sont la course aux métaux rares, la prolifération nucléaire et les énergies renouvelables... De ce fait, cette guerre de l'ombre avec l'Iran (l'embargo, les assassinats de savants, les attaques du cyberespace) n'est que la partie visible de l'iceberg. L'objectif de ces puissances n'est autre que le monopole et la mainmise sur le savoir et la technologie. L'Iran, comme la plupart des pays émergents, cherche à s'approprier les atouts nécessaires pour devenir une puissance mondiale, d'où le choix du nucléaire comme théâtre de combat avec l'Occident.

Faut-il rappeler que l’actualité internationale, à savoir les guerres en Ukraine, en Syrie, en Irak, en Libye et au Yémen, ne fait que favoriser la course aux armements de dissuasion. L’émergence du nouvel ordre international multipolaire où les nouveaux acteurs mènent la bataille pour la préservation de leurs intérêts accroitra les efforts de développement de la capacité de dissuasion à travers le monde, d'autant que la maitrise de la technologie nucléaire sanctuarise les pays énergiquement et militairement et, par conséquent, le club des pays nucléarisés ne fermera pas les portes, au moins dans le temps prévisible. 

Lisez nos e-Papers