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La tendance à la réhabilitation de l’État et des politiques d’industrialisation

Echkoundi Mhammed,
Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.
Hicham Hafid,
Professeur d’économie ˆ l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

La tendance à la réhabilitation de l’État  et des politiques d’industrialisation
L'une des caractéristiques majeures de l’économie du développement d’après guerre, est d’avoir tiré de l’analyse du processus de croissance des pays industrialisés des politiques applicables aux économies sous-développées.

L’émergence de l’économie de développement dans les années 50 marque un tournant majeur dans l’histoire de l’économie en tant que science. En effet, la tentative de projection des outils d’analyse conçus pour rendre compte d’une réalité précise qui est celle des pays industrialisés sur des contextes différents (ceux des pays nouvellement indépendants), fut un grand défi posé à cette science. Du coup, l’émergence de l’économie de développement raisonnait comme une négligence de l’importance de la diversité caractérisant les nouveaux pays indépendants qualifiés de «sous-développés».

Dit autrement : l’extension des outils d’analyse de l’économie à la compréhension de la problématique du sous-développement s’est faite dans la précipitation. Et ce n’est pas par hasard que les écrits économiques sur les pays nouvellement indépendants se faisaient rares à l’époque. Seules les anthropologues étaient capables de produire des données, en termes statiques, sur le fonctionnement de ces sociétés.
En outre, dans un contexte de balbutiement d’une économie de développement quasi inexistante, la préoccupation principale des dirigeants africains était d’assurer la sécurité à l’intérieur et aux frontières des pays et le désir ardent de développement. S'ajoutent à cela les problèmes liés à la construction de l’État, qui se trouvait à un état embryonnaire. De même, le contexte dans lequel est survenue l’indépendance des pays et, partant, leur accès à la souveraineté juridique, fut principalement marqué par la prédominance de ce que Bing (2009, p. 23) qualifie de conflit du siècle entre le libéralisme et le communisme. Dans ces conditions, le processus de décolonisation s’est inséré dans cette confrontation des deux messianismes se disputant le monde.

Les premières théories

de développement à l’épreuve de la modernisation des structures politiques et économiques
Force est de constater que les États africains sont «le produit de certaines évolutions historiques et géopolitiques qui continuent à influencer la nature de leur politique, laquelle peut faire l’objet d’ingérence et/ou de manipulations de la part des puissances extérieures» (CNUCED, p. 85). Par ailleurs, dès les premières années qui ont suivi l’indépendance, les jeunes États se trouvaient prisonniers des deux logiques portées par les belligérants de la guerre froide.
Une situation qui transcende la seule politique étrangère de ces États dans la mesure où leurs tentatives de consolidation nationale et de développement économique sont devenues aussi des aspects de la guerre froide, en ce sens que leur efficacité et leur vitesse ont pris pour les puissances rivales une importance politique. On comprend bien que les autorités nationales de ces puissances fassent pression pour que l’on étudie les problèmes du sous-développement de ces pays.

Ainsi, les premiers pas de l’économie de développement étaient marqués par le primat des calculs politiques des puissances rivales. «On s’attend, écrit Myrdal (Ibid, p. 16), aussi à ce que ces recherches parviennent à des conclusions opportunes et soient présentées sous une forme considérée comme avantageuse.» Et d’ajouter significativement : «Il en résulte que toutes les études sur les problèmes des pays sous-développés sont maintenant trop souvent entreprises pour répondre aux intérêts fortuits et étroitement politiques ou stratégiques d’un pays ou d’un bloc, au lieu de faire appel aux valeurs universelles et éternelles que le Siècle des Lumières nous a laissées en héritage.» (p.16)

Les théories de développement post-ajustement : entre gouvernance, institutions et développement humain

L’économie du développement a connu un tournant majeur à la fin des années 80. L’échec des politiques d’ajustement structurel est interprété par la Banque mondiale comme un manque de capacités institutionnelles de certains pays, elle oriente donc ses programmes vers ce qu’elle appelle «La bonne gouvernance». De fait, il ne s’agit pas seulement de s’intéresser aux programmes à mettre en place, il est question aussi de comprendre la nature des institutions qui donnent corps à ces programmes. C’est ainsi que la «bonne gouvernance» peut renvoyer, à priori, à la prise en compte du comportement politique dans le développement. Pendant la même décennie, le PNUD a publié l’Indice de développement humain, remettant l’individu au centre des politiques de développement.
Les institutions acquises au libéralisme, confrontées à l’échec social des PAS (plans d'ajustement structurel), se trouvaient dans l’obligation de changer de discours. C’était d’autant plus intéressant que ce sont les pays qui ont le moins respecté les préceptes de ces institutions qui ont le mieux réussi. Dans ces conditions, le cadre institutionnel des pays en développement est mis à l’index comme étant responsable des échecs passés. «La bonne gouvernance» est mise en avant comme un impératif absolu et l’indice auquel il a donné lieu permet d’introduire un nouveau système de notation où seulement les bons élèves (les pays convergeant vers la «bonne gouvernance») peuvent avoir accès aux crédits alloués par les instances financières internationales. En dernière instance, la «bonne gouvernance» est érigée en nouvelle conditionnalité. Malgré les critiques que l’on peut faire à l’endroit de ce nouveau concept et l’idéologie qu’il véhicule, il a le mérite de pointer du doigt l’importance des institutions dans le développement et, en filigrane, la place de l’État dans la mise en place des politiques du développement.

Les nouvelles politiques de développement : émergence ou développement, que choisir ?

La montée en puissance de certains pays à l’instar du groupe des BRICS est la partie visible d’un nouveau phénomène lié à l’émergence des pays du Sud. En effet, de nombreux acronymes sont utilisés pour faire référence aux pays dont les caractéristiques de l’économie permettent de les qualifier de nouveaux pays émergents. Le concept «d’émergence» est de plus en plus mobilisé pour décrypter les réalités de certains pays en voie de développement qui ont réussi grâce à la mise en place de certaines politiques économiques et des configurations institutionnelles, à émerger des situations de sous-développement. Force est constater que l’une des caractéristiques majeures de l’économie du développement d’après-guerre est d’avoir tiré de l’analyse du processus de croissance des pays industrialisés des politiques applicables aux économies sous-développées. Cette ascension des pays du Sud donne, d’ores et déjà, par le biais de la «coopération Sud-Sud», des sortes, sans céder au mimétisme, «d’économies externes», pour les autres pays du Sud qui peuvent tirer profit de cette nouvelle situation historique. Ces faits émanant des pays du Sud plaident pour un réajustement des théories de l’économie du développement conformément au principe méthodologique où les faits sont souverains et la théorie est un a priori.

Tout compte fait, la nouvelle économie de développement se caractérise par la multiplicité des approches et des modèles. Ce qui signifie la fin du modèle unique en matière de développement et le commencement d’une nouvelle ère où les pays dits en développement sinon en émergence, peuvent s’inspirer et sans sacrifier au mimétisme dont les conséquences furent désastreuses pour les économies africaines, afin de bâtir de nouvelles stratégies de développement. En dernier lieu, les nouveaux modèles de développement se caractérisent par :

• La place importante de l’État dans la coordination et l’orientation de l’activité économique par le biais des incitations à aller vers les secteurs porteurs. La réhabilitation de l’État dans le développement soulève des problèmes, particulièrement en Afrique, sur sa relégitimité en retrouvant sa capacité à protéger ses frontières (donner le droit à la vie à ses citoyens) ainsi que son rôle dans le développement humain (donner le droit à la subsistance).

• La réhabilitation des politiques d’industrialisation comme vecteur d’amélioration de la structure productive. Ceci est d’autant plus opportun que dans un nouvel ordre économique mondial marqué par la fragmentation du système productif, l’insertion stratégique dans la chaîne de valeur mondiale devient un enjeu de taille.

• Le rôle grandissant du capital humain. En effet, l’investissement dans l’éducation pour améliorer la productivité du travail requiert une importance capitale dans les nouvelles stratégies de développement.

• L’insertion favorable dans l’économie mondiale. En effet, le modèle asiatique montre amplement que la mondialisation peut être un facteur de développement pour tout pays disposant d’un État et de ressources humaines maîtrisant les enjeux des négociations internationales. D’où l’importance de l’ouverture stratégique (création des conditions propices pour tirer profit du capital industriel mondial plutôt que de le subir). Malgré le chemin parcouru depuis plus d’un demi-siècle dans la compréhension des processus du développement, et en dépit de la richesse des théories et des efforts du FMI et d’autres acteurs internationaux, beaucoup d’éléments restent inexpliqués. De plus, les politiques de développement basées sur le principe «d’État minimum» se sont révélées inefficaces. Pour paraphraser Myrdal, on peut dire que l’économie de développement, comme toute science d’ailleurs, a commencé, à priori, mais au fur et à mesure de son évolution, elle a constamment lutté pour trouver une base empirique à la connaissance et devenir ainsi de plus en plus en adéquation avec la réalité que l’on étudie. Et ce n’est pas un hasard si nous assistons ces derniers temps à un intérêt croissant accordé aux études empiriques dans la nouvelle économie de développement. 

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