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Le Nigeria ou quand le géant se réveille

Ce mois de septembre est particulièrement faste pour le Nigeria. Il a d'abord vu deux de ses ressortissants, Akinwumi Adesina et Ade Ayeyemi, devenir respectivement président de la Banque africaine de développement (BAD) et directeur général d'Ecobank International Incorporated le premier septembre. Et il verra un autre de ses fils, Benedict Oramah, prendre le contrôle d'Afrexim Bank.

Le Nigeria ou quand le géant se réveille

S'il est certain que ces hommes doivent leur arrivée à la tête de ces puissantes institutions à leurs compétences, il n'en demeure pas moins qu'ils symbolisent le retour en force du Nigeria. Ce géant qui se décide enfin à jouer un rôle réel sur le continent.

Une puissance géopolitique endormie

Sur le papier, la puissance géopolitique du Nigeria en Afrique ne fait aucun doute. Pays le plus peuplé d'Afrique avec ses 300 millions d'habitants, économie parmi les plus fortes d'Afrique, grâce notamment à ses exportations de pétrole, le Nigeria peut également compter sur une armée puissante et efficace, qui a notamment fait ses preuves lors des conflits du Libéria et de la Sierra Leone dans les années 90.
Des années fastes où le pays a pu jouer pleinement son rôle avant d'être englué dans des crises politico-militaires à répétition qui l'ont placé au ban des nations. Depuis, le Nigeria a été jugé avec une certaine méfiance et toujours avec un certain scepticisme. Ce n'était pas sa croissance et sa situation économique qui étaient mises en cause, mais c’est surtout son instabilité et son taux de corruption endémique qui sont pointés du doigt. Des handicaps lourds qui lui ont notamment coûté le soutien d'alliés importants, les États-Unis par exemple s'intéressent désormais aux pays de l'Est, tandis que certains experts ne voient plus en lui une future puissance émergente.

Un vent de renouveau

Ces dernières années, un vent nouveau souffle sur le Nigeria et le pays semble déterminé à montrer un visage plus agréable. Cela a commencé par la culture, avec le cinéma nigérian, connu sous le nom de Nollywood, qui est devenu aujourd'hui l'une des références du cinéma africain ; la musique avec ce style complètement nouveau porté par des artistes comme Davido ou encore P-square. Sans oublier le style vestimentaire qui est désormais une référence : les tenues des mariages nigérians sont particulièrement appréciées en Afrique de l'Ouest et le foulard est devenu une référence pour les femmes.
Les financiers ont par la suite pris le relais, ces milliardaires nigérians que l'on disait distants et indifférents montrent désormais tout leur intérêt pour l'Afrique et pour son développement. Ainsi, depuis décembre 2014, Tony Elumelu a créé la Tony Elumelu Entrepreneurship Fondation qui consacrera 100 millions de dollars à l'accompagnement de 10.000 startups africaines pendant 10 ans. De son côté, Aliko Dangoté, qui a dépassé en 2013 le cap des 20 milliards de dollars de fortune, n'est pas en reste puisqu'il réalise de nombreux investissements en Afrique. Enfin, les hommes et les femmes politiques sont entrés en action, d'abord au Nigeria avec des hommes comme Akinwumi Adesina qui ont dynamisé l'agriculture au Nigeria, des femmes comme Ngozi Okonjo-Iweala ex-responsable à la Banque mondiale et puissante ministre des Finances de Goodluck Jonathan et bien sûr Muhamadu Buhari, le nouveau Président du pays dont l'élection semble avoir redonné au Nigeria toute sa place en Afrique. Mais de nombreux défis, et non des moindres, attendent ce pays.

Quels sont les défis du Nigeria

Le Nigeria n'aurait pas pu trouver meilleur moment pour retrouver sa force, car de nombreux défis l'attendent. Des défis intérieurs d'abord avec Boko Haram qui devient chaque jour plus important et plus violent et les millions de jeunes auxquels il faut trouver un avenir rapidement. Déjà, le pays s'est engagé dans une coalition avec le Cameroun et le Tchad et la mobilisation internationale est perceptible à travers le soutien américain. Sur le plan économique, certaines améliorations sont à noter comme au niveau agricole : le passage de Akinwumi a en effet permis au Nigeria de diviser par deux ses importations alimentaires (de 4,6 milliards à 2,1 milliards d'euros), de créer 3 millions d'emplois et d'augmenter sa production de 21 millions de tonnes supplémentaires, mais de gros efforts doivent être déployés pour atteindre l’autosuffisance. Le pays essaie désormais d'attirer les investisseurs pour dynamiser son tissu industriel : Ford, le constructeur automobile américain, s'installera bientôt pour produire des voitures sur le territoire, toutefois d’autres types d’industries restent à développer. L'aventure ne fait que commencer pour ce pays, d'autant plus que le Nigeria a perdu de l'influence au fil du temps. L'heure est donc aux alliances, aux compromis, mais surtout, elle n'est plus aux faux pas et aux coups d’État. 


Le pétrole, une richesse encombrante ?

En 2014, le Nigeria est devenu la première puissance économique de l'Afrique. Mention spéciale au pétrole, bien sûr, qui constitue 70% de son budget, mais qui lui crée également certains soucis majeurs. Ainsi, le pays qui vend de l'essence à l'extérieur a du mal à en fournir à sa propre population. L'on se souvient bien sûr de la pénurie de diesel et des grèves qui avaient suivi. Les fournisseurs de pétrole réclamaient notamment une augmentation des prix des subventions accordées par l'État pour compenser la chute des prix du pétrole. L'épisode avait finalement pu être clos, mais non sans révéler la fragilité de l'État dans ce domaine. Il n'est en effet pas rare d'assister à des scènes de vol d'essence orchestrées par des populations dans le besoin au péril de leurs vies. Un paradoxe dans un des pays les plus riches en pétrole du monde, mais qui, de l'aveu même de son ex-ministre des Finances, gère mal les prix du pétrole.

Le Nigeria face à Boko Haram

Boko Haram fait sans aucun doute partie des préoccupations majeures du Nigeria à l'heure actuelle. Parti d'un simple groupe de jeunes refusant l'école, dans les années 90, le groupe est aujourd'hui un groupe terroriste puissant qui reste difficile à démanteler et qui a de nombreuses ramifications et alliances avec les autres groupes du même type.
Il ne se passe pas une semaine sans que Boko Haram ne perpètre un attentat ou un enlèvement. Et le groupe, qui a désormais de plus en plus de forces, s'attaque aux pays voisins comme le Tchad et le Cameroun. Déjà, une coalition entre ces trois pays a vu le jour pour tenter d'endiguer le mouvement, mais elle semble pour le moment loin d'atteindre son objectif. Et la menace de terrorisme continue de prendre de l'ampleur dans la région avec des attentats sporadiques au Mali et des menaces sur la Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, le Nigeria est attendu et observé par les pays de la sous-région qui espèrent qu'il jouera pleinement son rôle de leader. De leader militaire pour coordonner les opérations et mettre sa puissante armée au service de la cause. Mais aussi de leader économique qui aidera financièrement les autres pays dans leur lutte. Toute la question est de savoir s'il pourra assumer pleinement ces deux rôles.

Le Nigeria sur la voie du social

Le Nigéria est décidément un pays de contraste ! Alors qu'il affiche des taux de croissance plus que satisfaisants et compte de nombreux milliardaires, il compte également une population pauvre, la plus nombreuse d'ailleurs, qui voit son revenu se détériorer d'année en année. Une situation qui s'explique, selon l'ex-ministre des Finances, Mme Ngozi Okonjo-Iwela, par la question des inégalités et l'incapacité du pays à développer une croissance inclusive pour le moment. Mais le Nigeria semble résolu à inverser la pente et a décidé de créer un système de sécurité sociale pour les plus pauvres. À l'instar de ce qui se passe au Brésil avec la Bolsafamilia et au Mexique, l'État accorde des versements aux mères de famille de 5 enfants à condition qu'elles scolarisent et soignent leurs enfants. Les premiers essais ont donné de bons résultats et ont permis une augmentation de 10% du taux de scolarisation à Kano. De même, l'État a mis en place des programmes pour stimuler l'emploi dans l'éducation et dans la construction.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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