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Les objectifs stratégiques des États-Unis en Syrie

Derek EL ZEIN,Maitre de conférences en Sciences politiques à l’Université Paris Descartes.Jugée parfois frileuse, la politique étrangère des États-Unis telle que menée par l’administration du Président Obama ne donne pas toujours l’impression d’avoir un cap clairement défini. Pourtant, depuis la fin de la guerre froide, c’est bien ce pays qui s’est imposé et qui est perçu aujourd’hui encore comme l’unique acteur qui compte vraiment à l’Est de la méditerranée et au-delà.

Les objectifs stratégiques  des États-Unis en Syrie
L’annonce de l’envoi de 50 commandos américains en Syrie n’est pas de nature à assurer quelque victoire que ce soit.

Face à la disparition de l’Union soviétique et au rôle plus que marginal que jouent les pays de l’Union européenne dans la région, la responsabilité des États-Unis face au désordre et aux troubles dans la région était et demeure majeure. Or, ni sur le plan de la stabilisation de la région dans son ensemble, ni sur le plan de la résolution de la crise palestinienne en particulier, la mission ne fut réellement remplie. Le rôle de gendarme du monde que certains pensaient dévolu au chef de file historique des pays occidentaux semble décidément bien difficile à porter. Il n’en demeure pas moins que, dans ce contexte, les États-Unis ont endossé le rôle d’arbitre pour de nombreux conflits, sans toutefois arriver à des solutions pérennes. Prisonniers de leurs alliances locales et des contraintes liées au calendrier de la politique interne, les États-Unis n’ont pas toujours su en apparence profiter de certaines opportunités pour imposer leur solution.

Il est ainsi utile de rappeler que les alliances proches et moyen-orientales des États-Unis ne se limitent pas seulement à un soutien à Israël, tant il est vrai que ce dernier a pris plusieurs formes différentes dans le temps. Polymorphe, mais essentiellement militaire depuis l’administration Georges W. Bush, la stratégie de soutien aurait pu mener à plusieurs reprises à un règlement diplomatique du conflit israélo-palestinien. Pour ce qui concerne l’Arabie saoudite, l’autre grand allié historique de la région, le Pacte du Quincy du 14 février 1945 avait scellé les destinées du Royaume wahhabite et des États-Unis pour les 60 années à venir sur la base d’une protection américaine en contrepartie d’une quasi-exclusivité de l’exploitation du pétrole saoudien. Il est vrai que face à l’agression du Koweït par l’Irak de 1990, les États-Unis ont rempli avec zèle leur mission de protection de l’Arabie saoudite.

Pour des raisons stratégiques, cet accord a été reconduit pour une nouvelle période de 60 années en 2005. En effet, et même si les États-Unis sont moins dépendants du pétrole saoudien aujourd’hui, ils gardent au travers de cet accord un avantage majeur quant au contrôle de l’approvisionnement en pétrole de pays émergents tel que la Chine. Alors bien entendu, les États-Unis voient dans l’instabilité régionale un moyen de contrôler cette zone dont il est dit que 90% des exportations de pétrole seront destinées aux pays asiatiques en 2035. Par le biais de leur présence et de la dépendance qu’ils entretiennent, ils tentent ainsi indirectement de contrôler les principaux fournisseurs de leurs propres créanciers asiatiques, mais également européens.

Autre soutien stratégique, celui de la Turquie au travers de l’OTAN. Cette alliance est aujourd’hui dans une situation pour le moins ambiguë au regard de la crise syrienne et irakienne. En effet, les États-Unis et leurs alliés sont dans une situation difficile face à une Turquie tiraillée entre ses envies conservatrices, confirmées il y a peu par les urnes, son angoisse de voir émerger une entité kurde officiellement autonome et ses obligations de lutte contre l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak, aux côtés des Occidentaux.

Enfin, le soutien américain à l’Égypte, officiellement interrompu depuis la prise de pouvoir du Président Al Sissi, mais indirectement poursuivi par le financement massif saoudien, participe à l’influence que les États-Unis souhaitent préserver dans la région, même s’ils confient une grande partie de leurs actions à des acteurs locaux ou à leurs alliés occidentaux. En effet, les 40.000 soldats américains, la flotte présente en méditerranée et dans le Golfe persique et les bases militaires de la région ne doivent pas faire oublier qu’un recentrage massif de l’intérêt des États-Unis en direction de l’Asie est une réalité depuis de nombreuses années. Le centre des intérêts américains n’est plus qu’indirectement le Proche et le Moyen-Orient. Il n’est par conséquent pas étonnant que l’Arabie saoudite et Israël fassent partie des alliés de choix dans une région où ces deux pays représentent plus de la moitié des budgets et environ 15% des effectifs militaires. L’Iran, grand rival des alliés des États-Unis dans la région et allié objectif de la Russie, représente seulement un dixième des budgets militaires de la région, mais 20% des effectifs militaires.

La stratégie en Syrie ne peut par conséquent plus être celle de l’attentisme face à une Russie de plus en plus présente et un renforcement quotidien de la présence militaire iranienne sur le sol syrien. Les États-Unis ont, semble-t-il, abandonné l’idée de former des combattants de l’opposition syrienne pour privilégier la fourniture de matériel militaire. Les combats récents autour de la ville de Raqqa et qui opposent «les modérés» à l’EI attestent ce soutien en matériel et les frappes aériennes occidentales contre l’EI. Toute la difficulté sera de savoir si la fourniture de matériel, qui ne peut être particulièrement lourd à ce stade, suffira à remporter des victoires décisives menant à un arrêt des combats. L’annonce de l’envoi de 50 commandos américains en Syrie n’est bien entendu pas de nature à assurer quelque victoire que ce soit. Qu’il soit ici permis de douter de l’envie de mettre fin au conflit syrien tant qu’il reste localisé. Finalement partagés entre l’intérêt décroissant pour la région sur fond d’une moins grande dépendance énergétique, les alliances anciennes avec certains pays de la région, le besoin d’entretenir l’instabilité pour garder une certaine maîtrise de la zone et l’envie de ne pas laisser la voie libre à leurs créanciers tous très dépendants de l’énergie produite dans la région, les États-Unis semblent en apparence hésiter dans leurs choix stratégiques, mais procèdent en réalité à de nombreux ajustements d’une stratégie inchangée depuis la fin de la guerre froide.

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