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Quels sont les enjeux géopolitiques de l’ouverture de Cuba ?

C’est le 17 décembre dernier que Barak Obama et Raoul Castro ont décidé de normaliser les relations entre leurs deux pays. Une nouvelle qui vaut son pesant d’or quand on sait que les deux pays voisins étaient en froid depuis 1962 pour des questions essentiellement politiques et idéologiques et qui suscite un regain d’intérêt des puissances occidentales à l’égard de Cuba. Allons-nous donc vers la fin d’une époque ?

Quels sont les enjeux géopolitiques  de l’ouverture de Cuba ?

Difficile d’oublier l’année 1962 et l’embargo des États-Unis contre Cuba. Et plus de 60 ans après, nul n’aurait pensé que cet embargo aurait pu être levé. Il est pourtant en passe de l’être, car les deux pays ont décidé de normaliser leurs relations pour poursuivre des intérêts communs.

Une décision calculée
Une décision qui correspond à la volonté cubaine de retrouver un nouveau souffle de croissance et de faire face à la contestation sociale grandissante. Le pays, qui est exsangue depuis l’embargo américain et le durcissement des relations avec l’Occident, voit en effet ses soutiens s’effondrer les uns après les autres. D’abord l’URSS, qui après sa chute n’a plus été en mesure d’assurer les achats de sucre en échange de pétrole, et maintenant le Vénézuéla, qui depuis la disparition d’Hugo Chavez et la crise du pétrole préfère s’occuper de ses problèmes intérieurs. Ainsi, pour l’île, la recherche d’investisseurs et de capitaux pour lutter contre la pauvreté et ses autres maux est devenue vitale, et cela quel qu’en soit le prix. Les efforts pour attirer les investisseurs étrangers se sont ainsi multipliés depuis 2008 avec notamment la création d’une zone franche dans le port de Mariel pour les entreprises étrangères, les encouragements aux entreprises et aux coopératives privées ou encore le début de la distribution des terres : 1,6 million d’hectares ont déjà été distribués en usufruit.

En face, les États-Unis ne peuvent rester insensibles à ce marché de 14 milliards de dollars situé à seulement 150 km de leurs côtes, d’autant plus que les Cubains importent près de 80% de leurs denrées alimentaires. Il n’en aura pas fallu plus aux agriculteurs américains pour monter l’US Agriculture Coalition for Cuba, une association qui se bat pour la levée de l’embargo des États-Unis sur Cuba et qui aura certainement gain de cause. Un avenir proche qui a de quoi inquiéter des pays comme la France, qui a déjà de nombreux intérêts à Cuba : Accor gère des complexes touristiques sur l’île, Total y a des intérêts et les entreprises françaises profitent d’accords avec le gouvernement. Ainsi, les analystes politiques avertis voient la visite que François Hollande a effectuée à Cuba cette semaine comme un rappel sinon un renforcement des intérêts français sur l’île. Elle devrait être rapidement suivie celles des officiels allemands, espagnols ou encore italiens ; soucieux eux aussi d’être présents sur l’île avant le jour J. Autant d’éléments qui montrent bien que l’ouverture économique de Cuba est en marche, mais est aussi le cas de l’ouverture politique.

Une place historique du communisme en péril ?
Même si Barak Obama avait annoncé que demander la fin du régime castriste était inutile, il n’en demeure pas moins que la question est sur toutes les lèvres : l’ouverture de Cuba signe-t-elle la fin du communisme sur l’ile et au-delà sa quasi-disparition au niveau mondial ?Car il faut bien dire que le régime a engagé de nombreuses réformes sur le plan intérieur d’abord, avec l’autorisation de l’émigration ou encore l’autorisation des catholiques à intégrer les rangs du parti communiste au pouvoir, mais également sur le plan externe avec les appels de phares répétés en direction de la communauté internationale. Il faut également reconnaître que Cuba ne dispose plus des soutiens communistes qu’elle avait autrefois avec l’effondrement de l’URSS et l’affaiblissement du Vénézuéla. Quant à la Chine, elle semble plus préoccupée par ses intérêts économiques et par son désir de rester la première puissance économique mondiale : le pays se contente donc de pratiquer le communisme à domicile et évite les alliances internationales dans ce sens.

On pourrait donc penser à une fin du régime communiste à Cuba, mais cela serait sans compter l’importance du nationalisme à Cuba et les quelques résultats positifs apportés par le communisme sur l’île : Cuba peut en effet s’enorgueillir d’un système éducatif et sanitaire de grande qualité et elle est également l’île des Caraïbes au plus faible taux de criminalité. Des acquis que les Cubains ne seront probablement pas prêts à abandonner sans compter le régime au pouvoir qui souhaite certainement se maintenir aux affaires pendant un certain temps.
En somme, Cuba souhaite l’ouverture économique dans un court terme, mais pas encore son ouverture politique. Pour cela, il faudra encore patienter. 

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Bouchra Rahmouni Benhida

Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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