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Croissance 2015, parlons-en !

Nabil Adel,
cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’économie, de stratégie et de finance.
[email protected] www.nabiladel74.wordpress.coms.aussi rose.

Croissance 2015, parlons-en !

La multiplicité des annonces florissantes en ce début d’année 2015 donne le tournis à l’observateur. Nous avons l’impression à les entendre que le Maroc fait désormais partie des BRICS, voire a rejoint le club des nations avancées. Entre croissance prévisionnelle du PIB avoisinant les 5%, amélioration du solde des échanges extérieurs et passage aux changes flottants, censés soutenir la compétitivité de l’économie marocaine et mettre le pays sur orbite en tant que centre financier régional, tout y est ! Mais à y regarder de plus près, le tableau est loin d’être 

Une croissance frivole

Les chiffres de la croissance de 2015 dont on ne cesse de se glorifier appellent quelques observations de forme et certaines nuances de fond.
S’agissant des observations, le taux de croissance annoncé est prévisionnel et il faut attendre la fin de l’année pour en avoir une appréciation définitive, d’autant plus que ces estimations ont souvent tendance à se retourner brutalement au moindre incident conjoncturel de parcours. Par ailleurs, la croissance du PIB en 2015 intègre un cadeau du ciel, à savoir une campagne agricole particulièrement généreuse. Enfin, cette performance «salvatrice» correspond à un effet de rattrapage par rapport à 2014, où la progression de la production nationale a été relativement faible (2,9%), car la nature a été moins généreuse avec nous. L’étude de la tendance historique du taux de croissance calme bien des ardeurs et révèle les dysfonctionnements structurels de notre modèle de développement.

Une croissance molle, trop molle

Le Maroc ambitionne de faire rapidement partie des pays dits émergents, mais doit faire face à plusieurs défis, à la tête desquels la montée du chômage des jeunes et le creusement inquiétant des inégalités. Le retard dans la réalisation de l’ambition de décollage économique et les risques liés au chômage et aux inégalités ont une seule et même cause : un taux de croissance faible de la production nationale. En effet, pour rejoindre le train de l’émergence, le Maroc est condamné à atteindre un taux de croissance d’au moins 7% par an sur une longue période. Ce chiffre correspond au niveau qui permet de doubler la richesse nationale tous les dix ans. Quant au fléau du chômage, le Maroc voit arriver chaque année environ 200.000 jeunes sur le marché du travail. Quand on sait que chaque point de croissance permet de créer entre 25.000 et 30.000 postes d’emploi, il faudrait donc réaliser une progression annuelle du PIB entre 6 et 8% rien que pour absorber les flux qui arrivent, sans compter la croissance additionnelle requise pour intégrer 1 million de Marocains à la recherche d’emploi, à fin 2014. Or avec un taux de croissance moyen oscillant entre 4 et 4,4% sur la dernière décennie, nous sommes loin des conditions objectives d’émergence et nous n’arrivons même pas à arrêter la saignée du chômage. Les chiffres sont hélas têtus !

Pourquoi peinons-nous à ce point à décoller ?

Au-delà de la sophistication des réponses que nous pouvons apporter à cette question que se posent beaucoup de Marocains, assaillis par la multiplicité des annonces et la grandiloquence des projets, il y a une réalité simple que nous connaissons tous et que nous passons notre temps à esquiver : le manque de courage pour entreprendre les réformes de fond. À titre d’illustration, nous savons tous qu’il y a un grand problème d’éducation et d’enseignement dans notre pays, que plus on dépense moins ça marche et qu’après six ans passés dans l’enseignement primaire, 76% de jeunes Marocains ne savent ni lire, ni écrire ; et pourtant nous pensons naïvement que l’on peut se développer, en ignorant cette tare ou en faisant comme si elle allait se régler d’elle-même. Nous pouvons multiplier les cas à l’envi (problème de la justice, léthargie de l’administration, iniquité de la fiscalité et des prélèvements, insuffisante intégration entre marchés financiers et économie réelle, manque de compétitivité de l’entreprise marocaine, en raison d’absence de pratiques managériales modernes…) et nous aboutirons systématiquement à la même conclusion : pour l’enseignement, ce n’est pas en parlant des problèmes qu’on les résoudra et il y a une grande différence entre constat et action. Il en résulte qu’en dépit de tous les chantiers que nous lançons, nos performances économiques restent moyennes et fort insuffisantes par rapport à nos ambitions qui sont, somme toute, légitimes pour un grand pays comme le Maroc. Il est, en revanche, navrant de constater que les réformes courageuses de fond, pour inverser le cours des choses, tardent à venir, de peur de gêner des citadelles bien ancrées d’intérêts égoïstes. La nouveauté est que les risques de l’inaction deviennent de plus en plus menaçants. Dans une interview qui marque un tournant dans les relations de Washington avec ses alliés, le Président Barack Obama a clairement indiqué que le danger qui guette beaucoup de pays n’est pas tant la menace extérieure, mais l’insuffisante intégration des jeunes dans ces sociétés et l’absence de perspectives pour eux.
Les principaux facteurs d’instabilité, selon le locataire de la Maison-Blanche, sont le fort taux de chômage, la faiblesse de la croissance et la mauvaise répartition des richesses. Et contre ces fléaux, les armes de l’Oncle Sam ne peuvent malheureusement rien ou comme dirait Jules César : «Alea jacta est» (le sort en est jeté). 

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