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Quelle analyse géopolitique de l’affaire Omar El Béchir à L’UA ?

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages?: «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée?», Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Quelle analyse géopolitique de l’affaire  Omar El Béchir à L’UA ?
Omar El Béchir arrive à Karthoum le 15 juin 2015, venant de Johannesbourg. Sous le coup de deux mandats d’arrêt à la Cour pénale internationale (CPI), le président soudanais est parvenu à quitter le pays en dépit de l’interdiction de quitter le ter

Alors que les Chefs d’État du continent devaient se réunir en Afrique du Sud pour évoquer la question des migrants et celle du terrorisme, c’est plutôt un autre sujet qui a marqué les esprits. Présent au sommet pour discuter avec ses pairs, le Président soudanais Omar El Béchir a en effet été interdit de sortie du territoire par la justice sud-africaine à la demande d’une ONG locale. L’homme a finalement pu «s’éclipser», ce qui pose bien évidemment la question du rôle de l’État sud-africain dans cette affaire et plus largement celles des enjeux géopolitiques de cette situation.

Omar El Béchir est le Président du Soudan depuis 1989, l’année où il accède au pouvoir grâce à un coup d’État. C’est sous sa présidence qu’éclate la guerre civile du Darfour dans les années 2000 et même s’il s’en défend, le rôle d’El Béchir dans cette guerre aurait été très actif. Le 14 juillet 2008, un premier mandat d'arrêt à charge est émis contre lui parce qu'il aurait commis des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre au Darfour. Le procureur accuse notamment El Béchir d'être à l'origine d'une campagne systématique d'intimidation, de meurtres, de viols contre trois groupes ethniques du Darfour : les Four, les Masalit et les Zaghawa. Les campagnes orchestrées par le gouvernement soudanais ont de plus forcé le déplacement de plus de 1,5 million de personnes. Après un avis favorable des juges, ce premier mandat est suivi d’un deuxième, émis le 12 juillet 2010, qui ajoute aux premiers chefs d’accusation celui de génocides contre les Four, les Masalit et les Zaghawa.

Notons qu’en prévision du sommet de l’UA, la Cour pénale internationale avait notifié dès le 28 mai à l'Afrique du Sud son obligation statutaire, en tant qu'État membre de la Cour, d'arrêter et de lui remettre Omar El Béchir si celui-ci se rendait sur son territoire. Et c’est donc dans un cadre tout à fait légal que l’ONG sud-africaine, la Southern African Litigation Centre, avait saisi la justice contre lui et que cette dernière avait rendu son verdict : une interdiction provisoire de quitter le territoire sud-africain. Seulement voilà, El Béchir est chez lui à l’heure actuelle. Alors que s’est-il passé ?

Une complicité évidente de l’UA et de Jacob Zuma

Il est difficile de croire qu’El Béchir ait pu quitter le territoire sud-africain sans l’aide et le soutien de son homologue sud-africain, Jacob Zuma. Comme le soulignent d’ailleurs ces derniers jours la presse et l’opposition sud-africaine, Jacob Zuma a cautionné ce départ. Parce qu’il y était obligé comme l’expliquent ses partisans : selon eux, l’armée soudanaise aurait encerclé les 1.400 soldats sud-africains chargés des opérations de paix dans le pays. Ou alors parce que c’était son choix personnel : n’oublions pas que Zuma a toujours apporté son soutien aux Présidents africains les plus sulfureux tels que Laurent Gbagbo, qui est aujourd’hui jugé à la CPI, ou encore Robert Mugabé.
Car derrière cette action, il y a un message : celui qui consiste à dire que les présidents africains ne veulent pas de la CPI. Robert Mugabé ne s’est d’ailleurs pas privé de le dire : «Ici, ce n'est pas le siège de la CPI et on n'en veut pas dans la région», a rétorqué celui-ci lors du point presse de clôture du sommet continental. «Les États africains qui ont signé le traité de la CPI le regrettent désormais». Le discours est fondamentalement le même chez Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l'UA et accessoirement ex-épouse de Jacob Zuma, qui déclare : «Je ne sais pourquoi on en fait tout un plat aujourd'hui… On est peut-être géographiquement en Afrique du Sud, mais ici c'est l'Union Africaine».

Quelles conséquences pour la CPI ?

Autant d’éléments qui confirment la défiance d’un nombre croissant de Chefs d’État du continent envers la Cour pénale internationale. Mais quels sont les impacts pour cette dernière ?
La CPI s’est dite déçue du comportement de l’Afrique du Sud sur ce dossier. Mais il s’agit avant tout d’un camouflé pour elle et pour l’ONU dans une traque qui dure depuis 2009. Car le message est clair : ce ne sont pas les Africains qui livreront Omar El Béchir aux Occidentaux.
Ce discours, qui s’enracine progressivement sur le continent permet aux Chefs d’État au pouvoir d’agiter la fibre nationaliste et anti-impérialiste de leurs populations pour rester en poste, mais pose à plus long terme la question de la légitimité de la Cour.Cela fait en effet deux fois cette année qu’un des individus qu’elle réclame ne lui est pas livré : rappelons que la Côte d’Ivoire a refusé de lui livrer Simone Gbagbo pour la juger elle-même. Et il est certain que d’autres pays en feront autant, alors même qu’ils ne disposent pas d’appareils judiciaires capables de juger certains cas.
Alors ne va-t-on pas vers une disparition de la Cour à terme ? Et dans ce cas, quel mécanisme défendra les plus vulnérables ?


Quels sont les intérêts derrière la crise du Soudan ?

Derrière la crise soudanaise, il y a quatre grandes puissances qui s’affrontent. D’un côté, les États-Unis qui défendent les droits des populations victimes de génocide. Et de l’autre, la Chine et la Russie qui défendent le gouvernement en place et surtout les immenses réserves de pétrole du pays.
Les États-Unis souhaitent envoyer une force militaire dans le pays et résoudre le conflit par la force, tandis que les Européens, avec la France en particulier, recherchent une solution pacifique. Ils souhaitent en effet éviter un débordement du conflit dans les pays voisins où ils disposent de forces militaires, à savoir le Tchad et la Centrafrique. Quant à la Chine, elle est le plus grand exploitant du pétrole soudanais et entend défendre ses intérêts par tous les moyens. Elle menace d’abord d’utiliser son droit de véto contre toute décision qui pénalise le gouvernement du pays. Quant à la Russie, plusieurs éléments indiquent qu’elle livre actuellement des armes au gouvernement du Soudan.

Le travail de la CPI est-il menacé ?

Le fait que la CPI n’ait instruit que des cas africains fait dire à ses détracteurs qu’elle est un nouvel outil de contrôle de l’Occident sur l’Afrique. Cette idée, qui conforte la pensée anti-impérialiste déjà bien ancrée en Afrique depuis quelques années, est bien entendu encouragée par de nombreux dirigeants du continent et rend difficile le travail de la Cour. En effet, si elle ne peut plus juger les suspects, comment pourra-t-elle agir efficacement ?
D’un autre côté, les tribunaux africains ne disposent pas réellement des moyens et de l’impartialité nécessaires pour traiter des cas aussi graves et complexes que les crimes de guerre. Et dans ce cas, la disparition de la Cour serait tout simplement désastreuse, car elle enverrait un signal d’impunité à de nombreuses personnes et ouvrirait la porte aux pires exactions. Dans ce cadre, quelles sont les actions qui peuvent être mises en place ?

Quel est le rôle de la CPI ?

La Cour pénale internationale est une juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d'agression et de crime de guerre. Depuis le 2 janvier 2015, 123 États sur les 193 États membres de l'ONU ont ratifié le Statut de Rome et acceptent l'autorité de la CPI. Trente-deux États supplémentaires, dont la Russie et les États-Unis d’Amérique, ont signé le Statut de Rome, mais ne l’ont pas ratifié. Certains, dont la Chine, l’Inde et Israël, émettent des critiques au sujet de la Cour et n’ont pas signé le Statut.
La CPI peut en principe exercer sa compétence si la personne mise en accusation est un national d’un État membre, ou si le crime supposé a été commis sur le territoire d’un État membre, ou encore si l’affaire lui est transmise par le Conseil de sécurité des Nations unies. La Cour est conçue pour compléter les systèmes judiciaires nationaux : elle ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour juger de tels crimes. L’initiative en matière d’enquête et de jugement de ces crimes est donc laissée aux États. À ce jour, la Cour a ouvert une procédure d’enquête dans sept cas, tous en Afrique : l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République de Centrafrique, le Darfour (Soudan), la République du Kenya, la Libye et la Côte d’Ivoire. La Cour a mis en accusation seize personnes, dont sept sont en fuite, deux sont décédées (ou supposées telles), quatre sont en détention, et trois se sont présentées volontairement devant la Cour. Une enquête est ouverte sur le Mali.

Les livres de la semaine

1914, la guerre n’aura pas lieu», de Philippe Conrad Dico Atlas de la Grande Guerre, Belin, 96 p.
«Non, l’Allemagne n’était pas coupable», de Philippe Simon.
À l’occasion du centenaire de la Grande Guerre et des 75 ans cette semaine de l’appel du 18 juin 1840, l’occasion est idéale pour se replonger dans la lecture géopolitique de la guerre. La première en particulier, qui a été la plus désastreuse pour l’humanité, est vue de 3 manières différentes par trois auteurs. Le premier, Philippe Simon, rétablit la vérité sur la responsabilité de l’Allemagne en tant que peuple dans la guerre. Il préfère parler des choix des acteurs du conflit, du hasard ou encore des imprévus qui ont précipité l’histoire. Selon lui, il était commode pour les alliés de désigner les Allemands comme coupables afin d’obtenir une réparation à l’échelle nationale. Et d’ajouter que la stigmatisation d’un groupe entier est le début de la barbarie. Pour leurs parts, Philippe Conrad et les éditions Belin adoptent une approche plus généraliste et surtout plus historique. Sans prendre parti, ils décrivent manière claire (dates, faits, causes, acteurs) les différents éléments qui se sont succédé pour conduire à la Grande Guerre et les conséquences désastreuses qu’elle a eues.

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