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Quels sont les enjeux géopolitiques du renforcement de la présence américaine en Syrie ?

Bouchra Rahmouni BenhidaProfesseur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Quels sont les enjeux géopolitiques du renforcement de la présence américaine en Syrie ?

Barack Obama a annoncé le vendredi dernier le déploiement d’une cinquantaine d’hommes des forces spéciales en Syrie afin d’appuyer l’opposition dans sa lutte. Une décision qui va à l’encontre des promesses l’année dernière sur la non-intervention des troupes américaines au sol dans ce conflit. Mais qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Et pourquoi Barack Obama envoie-t-il désormais ses hommes au sol ?

«No boot on the ground», comprenez en français pas de troupes au sol, Barack Obama a martelé cette phrase à plusieurs reprises depuis le début de l’intervention américaine en Syrie en septembre 2014. Les intentions du Président américain étaient alors claires et précises : il s’agissait de mener des raids aériens, il en a mené 2.000 jusque-là en partenariat avec ses alliés occidentaux et arabes, sur l’État islamique afin d’affaiblir l’organisation.

Bien entendu, la décision de ne pas mener la guerre au sol relève principalement de questions de politique interne à l’Amérique : il s’agit en effet d’éviter de répéter les bourbiers habituels (Irak, Afghanistan ou encore Vietnam), de ne plus faire couler une seule goutte du sang américain, mais aussi et surtout d’éviter les effets désastreux d’une exécution filmée de soldats américains par l’EI. Et jusque-là, les Américains avaient mis un point d’honneur à respecter leurs engagements, du moins officiellement. Car il serait naïf de croire que les récentes victoires enregistrées par l’opposition sur le terrain n’ont pas bénéficié d’un chouïa d’aide américaine sur le terrain.

Pourtant, alors que le contrat semblait convenir à tout le monde, les États-Unis viennent de le rompre en décidant l’envoi de troupes des forces spéciales sur le front, plus précisément aux frontières avec la Turquie, dans les zones contrôlées par les rebelles kurdes.

Une décision aussi subite qu’inattendue qui pour le moment ne trouve pas d’explications. Mais que s’est-il donc passé pour que Barack Obama change d’avis ?

Plusieurs hypothèses, mais aucune certitude

Alors que le premier sommet entre les parties prenantes dans le conflit en Syrie vient d’avoir lieu, les États-Unis prennent la décision unilatérale d’envoyer des troupes au sol. Une décision difficile à comprendre, d’autant plus qu’elle n’a pas été décidée au cours du sommet de Vienne. De ce côté, les discussions sont en effet restées bloquées sur le sort du président Bachar El Assad que les Occidentaux et leurs alliés veulent voir démissionner, tandis que les Russes et les Iraniens veulent son maintien en place. Et d’aucuns pourraient arguer que les États-Unis ont tenté un coup de poker pour peut-être obliger leurs adversaires à changer de position.
Il est également possible de voir dans cette décision la réminiscence de vieilles questions de rivalité et des questions de légitimité politique. Car le petit événement que la planète entière n’a pas loupé est bien sûr l’entrée officielle en guerre de la Russie. Le pays de Vladimir Poutine a démarré les frappes en septembre dernier avec l’objectif d’affaiblir l’opposition syrienne et de maintenir Bachar Al Assad en place. Analysée sous ce prisme, la décision américaine peut correspondre à une contrattaque militaire d’une part pour protéger les rebelles et leur permettre de se défendre à la fois contre l’EI et contre les Russes et d’autre part pour empêcher ces derniers de ruiner tous les efforts déjà consentis. Il y aurait donc dans cette annonce un message direct aux Russes pour les inviter à faire attention, mais pas une déclaration de guerre. N’oublions pas que les deux pays viennent de réaliser des tests de communication de vol en commun afin que leurs troupes s’informent régulièrement de la situation sur le terrain. Incontestablement, la décision américaine a fait prendre un tournant nouveau au conflit qui prend désormais des allures de mini guerre froide. Mais est-elle réellement pertinente ?

Un coup stratégique ou pas ?

S’il est certain que l’intervention de la Russie sur le terrain est l’une des motivations de l’envoi des troupes américaines au sol, il est en revanche difficile de dire si la décision est pertinente ou pas. Déjà, aux États-Unis même, Barack Obama est critiqué par les républicains pour son choix qui risque, selon John McCain, son adversaire à la présidentielle de 2008, «d’éroder la crédibilité de l’Amérique». Et Frederic Hof, l’ancien responsable du dossier Syrie au département d’État, d’ajouter que ce ne sont pas 50 commandos qui vont «intimider l’EI, qui y verra même un nouveau signe de faiblesse d’Obama».

Certes, les réactions des républicains, qui ont une certaine tendance à considérer l’Amérique comme le superman mondial et qui aimeraient qu’elle fasse la guerre partout, ne devraient pas surprendre Barack Obama et encore moins lui inspirer un nouvel Irak ou un nouvel Afghanistan. Mais elles devraient sans doute le pousser à réfléchir sur la pertinence de sa décision. Était-ce vraiment le bon moment de le faire alors que les négociations de Vienne reprendront dans deux semaines ? Une alliance avec la Russie et l’Iran ne serait-elle pas plus efficace pour détruire l’ennemi commun qui est l’EI ? Ne serait-il pas temps finalement de reconsidérer les positions sur Bachar Al Assad ? Ce sont là autant de questions qui peuvent être posées et dont les réponses permettront peut-être de résoudre le conflit syrien qui a déjà fait plus de 205.000 morts et près de 22 millions de déplacés.


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