Le Carrefour des initiatives et des pratiques agroécologiques (CIPA) du douar Skoura, dont la cérémonie d’inauguration a eu lieu mercredi dernier en présence de l’écrivain et penseur français Pierre Rabhi, l’un des pionniers de l’agriculture biologique et l'inventeur du concept «Oasis en tous lieux», a été construit avec des matériaux locaux. Ce centre est doté de bassins de récupération d’eau de pluie, d'un laboratoire de recherche et d’un jardin aménagé par des ingénieurs agronomes toulousains. Ce jardin est conçu telle une oasis en pleine zone aride. Selon le co-président de «Terre et Humanisme Maroc», Abdelfettah Derouiche, le centre comprend quatre pôles : une ferme expérimentale pour démontrer la pertinence de l’agroécologie, un pôle pour la formation de paysans, un autre pour l’accueil de stagiaires de tous pays pour favoriser les échanges culturels solidaires Sud-Sud et Sud-Nord et enfin un pôle dédié à l’animation des réseaux nationaux et internationaux et à la promotion des techniques pérennes de l’agroécologie.
L'association a formé trois promotions d’animateurs qui sont répartis aujourd’hui sur l’ensemble du territoire national pour diffuser l’approche écologique et prodiguer des conseils dans leurs régions de manière plus au moins autonome.
La biodiversité au service du consommateur
Dans la mesure où le CIPA se veut un point de rencontre entre le Nord et le Sud, un programme de coopération a été établi avec deux écoles françaises d’agriculture de Toulouse dont leurs stagiaires séjournent pour une dizaine de jours dans le Centre pour valider un module inhérent à l’agroécologie, a indiqué M. Derouiche.
Il a signalé aussi l’existence d’un autre projet initié avec ONU-Femmes portant sur la formation de femmes semenciers dans la perspective de renforcer leurs capacités en matière de production, de préservation et de valorisation des semences locales de qualité.
En marge de cette cérémonie, des stands ont été aménagés et mis à la disposition des coopératives, des associations et d’artisans de la région pour exposer leurs produits du terroir. Reconnue par les Nations unies comme une solution aux problématiques d’environnement et de développement durable, l’agroécologie est une agriculture saine et respectueuse de l’environnement et de l’humain et aussi une agriculture qui valorise les paysans et les paysannes en les aidant à s’adapter aux défis actuels. «L’agroécologie est pour nous bien plus qu’une simple alternative agronomique.
Elle est liée à une dimension profonde du respect de la vie et replace l’être humain dans sa responsabilité à l’égard du vivant», affirme Pierre Rabhi. Cet événement a été l’occasion pour l’Association «Terre et Humanisme Maroc» de souffler sa dixième bougie. Durant ses dix ans d’existence, l’Association a fait de l’agroécologie son credo, avec l’appui de Pierre Rabhi et de sa fondation, de l’Association «Terre et Humanisme France» et de nombreux autres partenaires tant nationaux qu’étrangers. Parmi ses actions phares, il y a lieu de citer la ferme pédagogique de Dar Bouazza, réputée pour sa grande biodiversité au service des consommateurs.
Questions à Pierre Rabhi, fondateur de «Terre et Humanisme»
«On a une planète avec une société inégalitaire»
Le Matin : Pensez-vous qu’une agriculture agroécologique soit la réponse à la problématique de la sécurité alimentaire ?
Pierre Rabhi : Je pense vraiment que nous pouvons nous nourrir, nourrir l’ensemble de l’humanité avec des méthodes écologiques. J’affirme encore une fois que l’agroécologie est la seule mesure de réponse à cette problématique. Les disparités mondiales sont considérables dans la mesure où les trois quarts de la population mondiale vivent dans l’indigence, la pauvreté ou la misère absolue. Au Burkina Faso où j’ai travaillé comme «paysan sans frontières» dans les années 1980, j’ai expérimenté les bases de l’agriculture écologique. Aujourd’hui, plus de 90.000 paysans burkinabés pratiquent ces méthodes qui font appel à la régénération des sols grâce au compostage aérobie qui permet d’obtenir un engrais naturel de haute qualité.
Vous ne cessez d’évoquer la Terre-Mère massacrée ? Quel regard portez-vous sur nos sociétés ?
On a une planète avec une société inégalitaire. Cette planète, nous la désertifions à grande vitesse. L’environnement est dégradé et l’humanité est aussi mal en point. L’agriculture, qui est censée nous nourrir et nourrir les générations futures, est devenue une agriculture de destruction et de pollution. En définitive, les pratiques humaines, qui dominent nos sociétés depuis des décennies, sont derrière ces tristes constats, d’où l’impérieuse nécessité d’inverser la logique et d’opter pour une agriculture alternative.
