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Un pas important sur le chemin de l’unité libyenne

Toute la communauté internationale s'est félicitée de la signature à Skhirate, au Maroc, d'un Accord politique entre plusieurs parties en conflit en Libye. Lors de la conférence de Rome organisée trois jours auparavant et face à la menace croissante d'un terrorisme qui se répand en Libye, la communauté internationale a apporté un soutien «unanime» à la formation d'un gouvernement d'union nationale et de réconciliation réunissant les principales composantes politiques du pays.

La Libye, une histoire et une géographie, mais une notion de l’État récente

À 90% désertique, la Libye s’étend sur un territoire très vaste (1.759.540 km²) et sous-peuplé. Elle compte 1.770 kilomètres de côtes ouvertes sur la mer Méditerranée. Avec ses 4.348 kilomètres de frontières terrestres, ce pays est voisin avec l’Égypte, le Soudan, le Tchad, le Niger, l’Algérie et la Tunisie.
La Libye se subdivise en plusieurs régions nettement distinctes. Au Nord-Ouest, la Tripolitaine, très anciennement liée au Maghreb, où se trouve Tripoli ; au Sud-Ouest se trouve le Fezzan, vaste zone de transit vers le Sahel ; dans la Cyrénaïque, qui occupe toute la partie orientale du pays, la ville principale, Benghazi, ex-capitale politique sous la monarchie, commande le Nord-Est, qui comprend plusieurs villes, dont Tobrouk ; le désert de Syrte, riche en hydrocarbures, forme une frontière «naturelle» large de 500 kilomètres qui sépare la Tripolitaine de la Cyrénaïque.
Depuis toujours, la situation de large carrefour stratégique, riche en eau souterraine et en pétrole, est, incontestablement, ce qui contribue le plus à fonder la perception de valeur du territoire libyen. Ce pays est situé à la charnière du Maghreb et du Machrek et sur une voie de passage entre l’Europe et l’Afrique. Dès l’antiquité, il constitua un pôle actif du commerce intra-méditerranéen. Durant les temps longs de l’histoire, la Libye n’a pas manqué de jouer le rôle d’un des verrous de l’espace méditerranéen puisque son contrôle a représenté constamment un enjeu de sécurité. Par ailleurs, aujourd’hui, les voies transsahariennes constituent un point de passage important de l’émigration clandestine de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe. La Libye peut prétendre jouer, à nouveau, le rôle de garde-frontière de l’espace européen. Malgré cette profondeur historique, aucune construction politique autochtone unitaire durable ne précéda l’État libyen, né en 1951.

Skhirate, le sixième round :

un accord historique

L’accord politique d'union nationale paraphé à Skhirate a été négocié dans le cadre du dialogue politique sous l'égide de la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul). Après une période de divisions politiques et de conflit et bien que les faits bloquent la voie difficile d'un retour de la sécurité et de la souveraineté dans ce pays qui est travaillé par des forces centrifuges, la Libye a besoin de toute urgence d’une remise en état de marche de l’appareil d’État, du maintien de l’unité territoriale et de la mise en place d’un État central, efficace et exempt de toute corruption, un État doté d’une police capable de faire face à la montée de la criminalité de droit commun.
Un pareil accord politique permettra à la Libye de s’engager dans un processus de refondation de l’État avec toutes les incertitudes relatives à son avenir en tant qu’entité souveraine. Néanmoins, cet accord acte la réactivation de la transition politique par la mise en place d’un ensemble d'institutions légitimes dans un cadre empreint de sécurité, de stabilité et surtout d’unité. Skhirate a pu réunir un large éventail de la société libyenne, notamment une importante délégation de la Chambre des représentants de Tobrouk et du Congrès national général de Tripoli, ainsi que des personnalités importantes des partis politiques libyens, de la société civile, des municipalités et des groupes représentant les femmes.

Encore une fois, cet accord n’est que le début d'un processus difficile qui devra permettre de parachever la réconciliation nationale avec la nécessité impérative d’intégrer les Libyens du Sud et de l’Est et de lancer un dialogue inclusif sur la sécurité nationale. Cette dernière demeure une problématique essentielle, étant donné la situation humanitaire dramatique à Benghazi et la menace de plus en plus grandissante du terrorisme. Il s’agit bien d’un pays où prévaut une situation à l’irakienne opposant divers acteurs : une élite porteuse d’une vision et d’un projet d’État centralisé, islamique tourné vers la modernité ; des séparatistes, des islamistes et des groupes criminels jouant leur propre jeu sur une base provinciale et tribale. Bien que l'essentiel des forces de Daesh dans la région se trouve concentré dans l'Est libyen, autour de Syrte, à 500 km de la capitale, une semaine avant de parvenir à l’accord de Skhirate, la cité de Sabratha, à 70 km de Tripoli, a eu droit à un défilé composé d'une trentaine de véhicules tout-terrain armés de mitrailleuses lourdes et arborant le pavillon noir de Daesh. Une action démonstrative qui en dit long sur les intentions du groupe en Afrique du Nord. Donc au-delà de la Libye, c’est toute la sécurité de la région qui est menacée. Une région qui est confrontée à un ordre régional déphasé, fragmenté, marqué par des inégalités relativement aux étapes du processus démocratique et susceptible, selon l’évolution de la situation, d’aboutir à une reconfiguration de la carte régionale. Les développements inégaux au sein de l’Afrique du Nord et les nouvelles tensions affaiblissent l’ensemble de la région et aggravent sa situation économique et sécuritaire.

Le leadership marocain, légitime et crédible

Dans un tel contexte, le Maroc fait figure d’exception, il construit son économie et sa sécurité d’abord dans le Maghreb qui reste le seul garant d’une prospérité et d’une sécurité partagée. Il joue sa propre partition dans un but précis : faire en sorte que les trajectoires stratégiques dans la région se complètent et se croisent.
Contrairement aux visions des autres pays maghrébins marquées par des tensions intérieures, des problèmes de stabilité, de modernité et de voisinage, le Royaume se perçoit à travers un ensemble régional stabilisé et parvient à s’élever à une vision commune et globale des enjeux sécuritaire dans la région. Il ne veut en aucun cas être réduit à la périphérie d’un centre qui se situerait ailleurs. Par son leadership confirmé dans les négociations interlibyennes à travers, d’une part, l’accueil des rounds de pourparlers et, d’autre part, à travers le rôle très important d'appui politique au processus de ces négociations, le Maroc prouve une fois de plus qu’il est un acteur stratégique dans la préservation de l’essence géopolitique de la région dont la régulation ne doit en aucun cas être subordonnée à la seule initiative des puissances extérieures. Nous gardons à l’esprit que le rôle de ces dernières, en termes d’appui technique et de soutien financier, ne peut être négligé, tellement les défis à relever et les chantiers à lancer sont importants en Libye. Les futurs dirigeants libyens vont devoir réaliser un compromis politique acceptable par le plus grand nombre via la conciliation entre plusieurs tendances, à savoir : l’aspiration à la liberté et à l’indépendance, l’attente d’une libéralisation économique réelle ainsi que d’une ouverture sur l’Union européenne et les États-Unis, l’attachement à l’islam tout en cherchant à le rendre compatible avec la démocratie et en écartant le risque extrémiste, la revendication des jeunes d’accéder à l’amélioration de leur vie quotidienne. À ce niveau, le Maroc peut apporter un savoir-faire et une technicité forgés à travers les dynamiques et les réformes au niveau national initiées depuis plus d’une décennie. Le peuple libyen se trouve à l’heure des choix, il lui appartient de saisir – ou non – l’opportunité qui lui est offerte pour forger une nation. Mais encore faut-il que les dirigeants libyens soient à la hauteur des défis, que les égoïsmes dans la région soient mis de côté et que la communauté internationale témoigne davantage d’attention et de constance vis-à-vis du destin de la Libye. 

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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