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«Notre premier objectif est de contribuer à la plus grande mobilisation possible des ONG, notamment celles du Sud»

«Notre premier objectif est de contribuer à la plus grande  mobilisation possible des ONG, notamment celles du Sud»

Le Matin : L’engagement de la société civile est essentiel à l’élaboration et à l’avancée de tout programme relatif au changement climatique. Qu’en pensez-vous ?
Driss El Yazami : Effectivement. Le rôle de la société civile dans l'action pour le climat est devenu incontournable, que ce soit dans la mobilisation, la sensibilisation ou le plaidoyer. Les organisations de la société civile à l'échelle nationale et internationale ont développé une expertise très forte sur le terrain et font preuve d’une grande proximité avec les citoyens. Elles sont aussi porteuses de projets innovants d'atténuation et d'adaptation. Les exemples ne manquent pas, au Maroc comme sur toute la planète. Au niveau mondial, l’action des grandes ONG a été décisive. Il y a en effet neuf réseaux d’observateurs accrédités par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) basés à Bonn qui se sont regroupés par catégories d’acteurs : entreprises, paysans, jeunes, femmes, universités et recherche, etc. Ces acteurs ont fortement influencé le processus qui a abouti à la conclusion de l'Accord de Paris et leur trace peut être lue dans plusieurs articles de cet accord historique. C'est la raison pour laquelle l'une des priorités du pôle société civile est d'accompagner les organisations marocaines pour obtenir l'accréditation auprès
de la CCNUCC.

Quid des entités marocaines accréditées ?
À la COP 21, il n’y avait que deux entités marocaines accréditées. Aujourd’hui, ce sont 12 organisations nationales (dont la Confédération générale des entreprises du Maroc) qui sont accréditées et 18 autres ont soumis cet été leur demande d’accréditation. Les collectivités territoriales constituent aussi un autre exemple. Regroupés dans une vingtaine de réseaux internationaux et régionaux, les villes et les gouvernements régionaux sont en train de devenir des acteurs très importants. Dans le même esprit, nous agissons avec l’Association des régions du Maroc, et l’aide de la Direction générale des collectivités locales pour renforcer les relations des collectivités marocaines avec ces réseaux. À cet égard, une des manifestations phares sera le deuxième sommet des élus locaux et régionaux qui se tiendra à Marrakech le 14 novembre avec des centaines de participants. En parallèle, les ONG agissent sur plusieurs autres terrains que le plaidoyer auprès des négociateurs. En matière de sensibilisation, comme l’illustre au Maroc l’action de l’Association des enseignants de sciences de la vie et de la terre (AESVT) ou des Petits débrouillards, dans le domaine de l’économie solidaire comme le montre l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), qui a aidé des centaines de projets développés par les femmes, etc. Enfin, plusieurs autres ONG se sont montrées très actives en termes d’alerte des opinions publiques, comme en témoignent Greenpeace ou WWF.

À la COP 22, la voix de la société civile peut-elle faire pression sur les dirigeants et les pousser à conclure tel ou tel accord ?
Notre premier objectif est de contribuer à la plus grande mobilisation possible des ONG, et notamment celles du Sud, de les accueillir au mieux et, enfin, de leur permettre non seulement de s’exprimer, mais aussi de dialoguer avec les États. C’est la raison pour laquelle le Pôle société civile a effectué durant tout le mois d’août des visites dans 14 pays d’Afrique subsaharienne et compte envoyer, dès la semaine prochaine, des délégations dans 8 autres pays du continent. Dans la zone verte, 10.000 mètres carrés sont prévus pour leur permettre d’exposer leurs réalisations et d'exprimer leurs revendications. La présidence marocaine de la COP a prévu d’organiser une demi-journée de dialogue avec la société civile lors de la pré-COP du mois d’octobre, qui constitue la dernière occasion de négociation entre les États avant l’ouverture de la COP. De même, Mmes El Haïti et Tubiana, les deux championnes, organiseront pour la première fois un dialogue de haut niveau entre les parties et les acteurs non étatiques. Enfin, et comme lors des COP précédentes, les ONG accréditées par la CCNUCC feront comme d’habitude leur travail de plaidoyer auprès des délégations gouvernementales dans la zone bleue, gérée comme vous le savez par la CCNUCC.

Au compte des actions, quelles sont les attentes des représentants de la société civile quant aux engagements des différentes parties sur les questions phares à ce propos ?
Les attentes sont diverses et énormes. Les acteurs non étatiques, comme la présidence marocaine de la COP 22 et de nombreux autres pays du monde, et surtout les plus vulnérables (Afrique et États insulaires en particulier) aspirent à une entrée en vigueur aussi rapide que possible. C’est en bonne voie : une soixantaine de pays (dont le Maroc) ont déjà ratifié l'Accord de Paris. L’objectif de la ratification par au moins 55 pays représentant au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre est déjà atteint. Le deuxième grand défi concerne la mise en œuvre et les modalités de cette mise en œuvre. Quelles modalités de financement, de transfert de technologie, de renforcement de compétences ? Comment gérer la période allant d’aujourd’hui à l’entrée en vigueur de l’Accord, ce que l’on appelle communément le pré-2020 ? Comment penser des solutions à des problématiques émergentes comme la question des migrations climatiques ? Et enfin, comment articuler l’action de tous les acteurs : gouvernements, entreprises, société civile, collectivités territoriales, citoyens ordinaires dans leur vie quotidienne ? Lutter contre les changements climatiques exige en effet de penser de nouvelles articulations entre le niveau international (la mise en œuvre de l’Accord de Paris), l’échelle nationale (qui se manifestera notamment par des contributions nationales), l’implication des territoires, l’engagement de la recherche et du monde des entreprises, mais aussi des changements des modes de vie de tout un chacun.
Pensez par exemple à une «simple» opération : «Zéro mica». Je vois des médias qui s’interrogent sur la réussite ou l’échec de cette belle initiative. Il a fallu des années de préparation au niveau du gouvernement, l’adoption d’un texte législatif, plusieurs campagnes d’information, un débat et des polémiques publics, des changements nécessairement douloureux au niveau de l’industrie formelle, mais aussi informelle de la plasturgie, une adhésion des divers distributeurs, l’implication de la société civile, mais aussi et peut être surtout des simples consommateurs que nous sommes. L’opération réussira définitivement le jour où tous les citoyens, sans exception, refuseront ce type d’emballage.

Selon vous, quelles sont les solutions concrètes sur le terrain pour faire face au changement climatique ?
Il existe une multitude de solutions concrètes contre le changement climatique, développées un peu partout dans le monde pour réduire les émissions des gaz à effet de serre, en favorisant davantage l'utilisation des énergies renouvelables, l’agriculture biologique, l’économie circulaire, etc. Les visiteurs de la zone verte pourront voir des centaines de ces initiatives à Marrakech. Au Maroc même, et pour ne prendre que quelques exemples, je citerais l’association Dar Si Hmad, initiatrice du projet «Moissonner le brouillard», qui opère depuis mars 2010 à Sidi Ifni, et qui vient de remporter le prix «Élan des Nations unies pour le changement climatique». Ce projet, qualifié de «plus grand système de récolte d’eau de brouillard opérationnel du monde», consiste en 20 filets qui capturent une moyenne de 12 m3 par jour d’eau, eau qui est acheminée vers 5 villages partenaires. Cette collecte de l’eau du brouillard, basée sur une technologie simple et peu coûteuse, permet de fournir de l’eau potable aux habitants et libère les femmes de la corvée quotidienne consistant à aller chercher de l’eau dans des puits éloignés. Avec leur partenaire allemand Wassestiftung, l’association va lancer la construction de 1.600 m² de nouveaux filets qui résistent à des vents de 120 km/h et nécessitent peu d'entretien, avec un rendement journalier d’une moyenne de 35,2 tonnes d'eau de brouillard par jour. Un autre exemple concerne les 12.000 hammams du Maroc, grands consommateurs de ressources en bois et en eau (8% de la réserve annuelle en bois). L'Association marocaine Énergie, solidarité et environnement a lancé, en partenariat avec une association française spécialisée dans les énergies renouvelables (GERRES), une initiative écologique ambitieuse pour rendre les hammams écologiques et durables.
Je trouve aussi admirables tous les projets développés dans les campagnes et le périurbain, comme le projet «Femmes semencières» que développe l’association Terre et humanisme Maroc en partenariat avec l’ONU Femmes sur plusieurs sites. Il a permis de former une centaine de femmes à l’agro-écologie, ou le projet de réseau de restaurants engagés, en cours à Chefchaouen et mis en place par l’association AFTHA : chaque semaine, des restaurateurs passent commande auprès de l’association de produits du terroir en agro-écologie. 

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