Éco-Conseil : Quand peut-on parler de discrimination au recrutement ?
Ismaïl Belabbess : D’après la définition du Larousse l’acte de discriminer est le «fait de distinguer et de traiter différemment (le plus souvent de manière négative) quelqu'un ou un groupe par rapport au reste de la collectivité ou par rapport à une autre personne». La psychologie sociale a étudié ce phénomène depuis plusieurs décennies et estime que la discrimination découle d’un processus de catégorisation sociale qui tend à légitimer les catégories en leur conférant plus qu’une existence, une essence. On catégorise les gens et les objets en fonction de l’idée qu’ils possèderaient, la même nature. Ainsi «catégoriser» nous amène à discriminer un individu et à le placer dans nos propres catégories en fonction de nos propres représentations sociales. Par conséquent, un recruteur possède comme tout individu ses propres représentations sociales.
De nombreuses études démontrent que le phénomène de discrimination reste très présent dans les différents processus de recrutement. Selon le huitième Baromètre de l’Organisation internationale du travail, 85% des demandeurs d’emploi estiment que les discriminations à l’embauche sont fréquentes. La séniorité (être âgé de plus de 55 ans) est le facteur le plus discriminant, devant le fait d’être enceinte, d’être handicapé ou obèse. Bien qu’en recul, le fait d’être une femme reste un inconvénient à l’embauche pour plus de 35% des sondés. L’origine est également un facteur qui reste discriminant. Ainsi, plus de 65% des demandeurs d’emploi pensent qu’un nom à consonance étrangère peut être un frein pour trouver un travail. Enfin, 62% des sondés estiment que la couleur de la peau peut être pénalisante. On peut donc parler de discrimination dès que le recruteur met en place des critères de sélection qui ne sont pas en lien avec des éléments tangibles, objectifs en lien avec le poste présenté.
Y a-t-il un cadre juridique qui délimite ces aspects, en dehors
des critères de discrimination prohibés par la loi : genre, couleur, sexe...
En dehors du Code du travail qui interdit aux cabinets de recrutement privés toute forme de discrimination (Article 487), il n’existe pas de cadre juridique précis à l’encontre d’employeurs pratiquant la discrimination et de sanctions applicables.
Comment dénoncer un recruteur en cas de discrimination ?
Dénoncer un recruteur en cas de discrimination est très complexe, car celle-ci doit se baser sur des éléments factuels, par exemple, lors de la diffusion d’une annonce où l’on indique précisément le genre ou lors d’un recrutement si vous constatez que votre niveau de rémunération est inférieur par rapport à celui de vos collègues masculins pour le même poste et les mêmes responsabilités.
Pourquoi la dénonciation reste-t-elle complexe ?
Bien qu’il existe une certaine prise de conscience des pratiques de discrimination au travail, celle-ci reste insuffisante pour faire changer les pratiques. Plusieurs facteurs expliquent cette difficulté de passer de la prise de conscience à l’acte :
• L’impossibilité de sanctionner ces pratiques autrement que par des recours individuels. Or les salariés hésitent à poursuivre leur employeur ou ceux qui pourraient les embaucher de peur d’avoir à en subir les conséquences ; la pratique de dénonciation reste donc très marginale, car les demandeurs d’emploi ne souhaitent pas être stigmatisés sur le marché du travail.
• La difficulté des entreprises à mesurer et à objectiver leurs éventuelles pratiques discriminatoires. Certaines règles relatives au recrutement non connues par les recruteurs pour prévenir toutes les discriminations, notamment celles qui peuvent résulter implicitement de biais de sélection non identifiés. En psychologie du travail, nombre de biais ont été constatés qui interfèrent lors de l’évaluation des candidats (par exemple : le biais de la première impression qui a un poids déterminant même si les informations ultérieures la contredisent).
Quels sont les principaux critères de discrimination à craindre chez un recruteur ?
Comme je l'ai précisé précédemment, de nombreux critères discriminatoires sont énoncés tels que l’âge, le handicap et le genre. Mais ce qui est le plus à craindre chez un recruteur, ce sont ces représentations sociales induisant des biais et qui ont des répercussions sur la décision finale dans le recrutement.
On peut citer la première impression, l’effet de Halo (les aprioris vont se généraliser à toutes les caractéristiques du candidat), l’effet de similarité et la connivence (les ressemblances objectives vont créer de la complicité avec des idées réciproques qui peut générer de la sympathie ou inversement, l’antipathie peut émerger s’il existe trop de différences idéologiques). Il est important pour tout recruteur de se connaître, de connaître son système de valeurs et ses représentations sociales qui engendrent des préjugés et des discriminations.
Pour les contrecarrer, il est indiqué de privilégier l’entretien structuré/situationnel, de fournir à l’observateur une description du poste tirée d’une analyse de travail et de combiner l’entretien avec d’autres méthodes.
