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Changes flottants : Advienne que pourra !

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Changes flottants : Advienne que pourra !
Dans une économie comme la nôtre, en manque de tissu productif dynamique et compétitif, l’effet sera davantage sur l’augmentation des importations que sur la dynamisation des exportations.

Le Maroc entamera à partir du mois de mai le processus de passage au régime des changes flottants. Désormais, la valeur du dirham par rapport aux autres devises sera déterminée par le marché. L’annonce a été faite, par le gouverneur de Bank-Al-Maghrib, au temple du système monétaire international, au siège du FMI à Washington. Toute une symbolique, quelques mois après que le patron de la Banque centrale a fustigé l’absence d’une vision économique chez le gouvernement et qu’il a vertement critiqué son bilan en la matière. Hasard du calendrier ? À ces niveaux de décision, certainement pas !

Dans le confort de l’entre-soi

L’une des principales conséquences de l’autonomie des Banques centrales vis-à-vis des gouvernements est que désormais les décisions monétaires ne se prennent plus dans les capitales des pays, mais au siège du FMI à Washington. C’est de là que le calendrier de passage par le Maroc aux régimes de changes flottants a été annoncé. L’autre conséquence de cette autonomie, à laquelle les banquiers centraux tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, est qu’une décision économique aussi importante que le régime de changes du Maroc ne sera débattue par aucune instance élue. C’est une décision prise par des technocrates qui n’ont de comptes à rendre à personne, si les effets de cette mesure s’avèrent négatifs sur l’économie du pays. Ça, c’est pour la forme. Quant au fond, les objectifs de ce changement de cap n’ont jamais été explicitement clarifiés à l’opinion publique. Ceux-ci changèrent au gré des réunions et des lieux de leur tenue. Tantôt, c’est pour améliorer la compétitivité de l’économie marocaine (sans expliquer de quelle manière), tantôt, c’est pour permettre au Maroc une meilleure intégration à la finance mondiale (sachant que c’est cette faible intégration qui lui avait épargné la violence de la crise de 2008). Toujours est-il que l’adoption des changes flexibles fait partie du catalogue des mesures néolibérales imposées aux pays.

Nous ne sommes pas encore prêts !

La parité (rapport de changes entre deux devises) est fixée soit par une Banque centrale par rapport à une ou plusieurs devises (changes fixes) soit directement par la loi du marché (changes flottants). Dans ce dernier cas, la Banque centrale «perd la main» sur sa monnaie qui fait l’objet de transactions commerciales comme n’importe quel actif financier. Depuis les années 1970, c’est le système majoritairement en vigueur dans le monde. Pour notre pays, dont la balance des paiements est structurellement déficitaire par manque de compétitivité, l’adoption des changes flottants se traduira mécaniquement par une dépréciation du dirham. Cette dépréciation est certes «censée» doper les exportations, mais renchérira en même temps le coût des importations.

Dans une économie comme la nôtre, en manque de tissu productif dynamique et compétitif, l’effet sera davantage sur l’augmentation des importations que sur la dynamisation des exportations. D’autre part, pour avoir un effet positif sur la compétitivité, il faut que le dirham, dans un régime de changes flottants, ne s’apprécie pas fortement par rapport aux devises des pays auxquels nous exportons (essentiellement en Europe pour l’instant). Or dans un système de changes flexibles, la valeur d’une devise est fixée par les investisseurs en fonction de la loi de l’offre et de la demande. Plusieurs raisons peuvent donc motiver les investisseurs dans leur décision d'acheter une devise plutôt qu’une autre. La première tient au niveau des taux d'intérêt. Plus les taux d'intérêt d'un pays sont élevés, plus sa monnaie est attractive pour les investisseurs et plus elle s’apprécie. Ainsi, toute augmentation des taux d’intérêt par notre institut d’émission se traduira mécaniquement par une appréciation du dirham et donc une perte de compétitivité du pays.

La fixation des taux devra, à l’avenir, prendre en considération leur niveau chez nos partenaires commerciaux, ce qui réduit de facto l’indépendance de notre Banque centrale. La seconde raison est le dynamisme économique d'un pays qui, enregistrant des taux de croissance élevés, attire les investisseurs qui misent sur sa monnaie, l’apprécient, et donc annulent sa compétitivité (cas de l’euro). Paradoxalement, la compétitivité peut conduire, par un mécanisme de changes, à un affaiblissement de celle-ci. Le principal argument sérieux en faveur des changes flottants est la correction automatique des déficits. La théorie monétariste affirme que le déficit de la balance courante d’un pays conduit à une dépréciation de sa monnaie, rend ses produits moins chers à l’export et, in fine, permettrait une correction de sa balance courante. La réalité est hélas plus complexe et montre, au contraire, que beaucoup de pays ayant adopté ce régime continuent, en cas de faible compétitivité par rapport à leurs partenaires commerciaux, à souffrir de la persistance de déséquilibres externes. C’est le cas des États-Unis par exemple qui ne financent leurs déficits extérieurs que pour leur attractivité, en matière d’investissements étrangers. Un autre argument de taille avancé par les promoteurs des changes flottants est qu’avec ce système nous n’avons plus besoin de détenir des réserves de changes pour soutenir notre monnaie. Celle-ci, étant désormais soumise à la loi de l’offre et de la demande, n’en aura plus besoin comme l’affirmait avec force Milton Friedman. Or l’observation empirique permet de constater que jamais ces réserves n’ont été aussi importantes. Maurice Obstfeld remarqua que depuis la fin de l'ère Bretton Woods (1971), le niveau des réserves globales est passé de 2% du PIB global à 6% en 1999. Ce taux a encore augmenté avec l'accroissement massif des réserves chinoises entre 1999 et 2008.

Certains économistes, tels que le Prix Nobel d’économie Maurice Allais, sont plus radicaux dans leur critique. Celui-ci affirme que les changes flottants créent les conditions d'un désordre généralisé, qu'ils accroissent les risques sur chaque opération commerciale ou financière internationale et qu'ils ne peuvent déboucher que sur une crise mondiale de type 1929. «Ce qui doit arriver arrive», annonce-t-il. Belle conclusion !

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