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De Minbej à Raqqa : Espoir et craintes

La guerre contre Daesh connait depuis quelque mois des développements notoires qui laissent augurer des renversements de tendance à court terme.

Déjà Minbej, au nord-est d’Alep, est tombée cet été. Cette ville était considérée par les djihadistes comme un carrefour d’approvisionnement entre la frontière turque et Raqqa qu’ils considèrent comme leur «capitale syrienne». Quand on analyse la conflictualité sur l’espace syro-irakien durant ces dernières semaines, on constate que plusieurs acteurs sont sur scène avec des scripts totalement différents. La prise de plusieurs villes sur la zone grise, à cheval entre la Syrie et l’Irak, contrôlée par le groupe Daesh, un groupe qui, selon plusieurs experts, se prépare depuis deux ans à faire face à «l’affrontement ultime», pousse plus d’un à se poser la question : serait-ce l’étape finale de la lutte contre le Groupe Daesh ? Car, une fois Raqqa tombée, le groupe disparaîtra comme entité territoriale, mais il restera, fort probablement, des «leaderless» qui voudront venger la chute du «califat» et se venger de tous ceux qui auraient compromis le projet. Préparer l’après-Daesh est primordial.

C’est une autre paire de manches. Revenons à l’analyse de l’état actuel des événements. Les mesures d’isolement de Raqqa en préparation d’une future bataille signifient couper la ville du continuum du territoire du groupe Daesh, c’est-à-dire empêcher ce dernier de jouer sur les lignes intérieures, comme ce qui est en train de se faire à Mossoul en Irak. Faire tomber Raqqa est capital, néanmoins, il va de soi que ce n’est pas le régime de Damas qui y arrivera, puisqu’il n’en a pas les moyens.

La seule solution serait une offensive russo-iranienne. Or, jusqu’à présent, rien ne laisse prévoir l'éventualité d'une telle alliance. Donc, dans un tel contexte, deux scénarii sont à privilégier : étant donné les succès remportés par les peshmerga contre le groupe Daesh, on peut envisager, en premier lieu, que les forces kurdes puissent descendre sur Raqqa, qui se trouve à quelques kilomètres (20 à 30) des zones contrôlées par le PKK. Toutefois, cela suppose que l’armée turque reste en dehors des affrontements. Ce qui nous amène à la seconde éventualité : l’intervention de la Turquie. Cette dernière peut être considérée comme le deuxième acteur capable de prendre Raqqa. Or la Turquie ne pourra le faire que si elle dispose d’un espace stratégique suffisant au nord de la Syrie. Autrement dit, il va falloir que les combats actuels entre les forces soutenues par les Turcs et le PKK se terminent à l’avantage des combattants pro-turcs, à savoir l’Armée syrienne libre (ASL). Dans un tel cas de figure, la descente sur Raqqa serait progressive et commencerait par la prise de Hama, au nord d’Alep. Un tel exploit renverserait le rapport de force avec le régime de Damas à l’avantage de l’ASL. Actuellement, le groupe Daesh est une proie pour l’opposition syrienne soutenue par les Turcs. C’est donc un moment crucial. L’opposition serait ainsi capable de faire jeu égal avec Damas, mais à condition d’être unifiée.

Dans le cas contraire, c’est la fragmentation et la tâche sera des plus ardues pour l’opposition, qui aura créé pour le groupe Daesh l’avantage classique du défenseur encerclé, l'encerclé ayant formé un groupe compact et solidaire pourrait facilement mettre en déroute les diverses attaques. Les Kurdes ne sont pas les seuls susceptibles d’entraver la descente de l’armée turque sur Raqqa.

La Russie, depuis le début de son engagement militaire, s’était fixé quatre principaux objectifs : maintenir l’allié de circonstance Bachar Al Assad au pouvoir, défaire les mouvements djihadistes Daesh, al-Nosra et les autres groupuscules, affaiblir l’Armée syrienne libre en tant que principal opposant au régime et bien ancrer sa présence militaire dans le nord-ouest du pays. Remporter de tels succès géopolitiques, pour Moscou, très souvent adepte du hard power, revient à imposer une solution par les armes pour ensuite mener des négociations en position
de force. La Russie ne ménage aucun effort sur les trois plans, aérien, terrestre et naval, pour mener à bien sa stratégie guerrière contre les djihadistes et donner aux troupes syriennes un avantage décisif face au mouvement insurrectionnel.

Turcs, Russes, Kurdes, Américains et autres doivent comprendre que la seule vraie contre-attaque, c’est de mobiliser et d’unir les efforts de tous les pays pour arrêter la propagation de cette gangrène. Le terrorisme n’a pas de frontières, aucun État ne peut être épargné et tous sont concernés par la lutte antiterroriste. C’est le problème du monde entier et la communauté internationale se doit de trouver le moyen le plus efficace possible pour le vaincre. La seule condition est de s’entendre sur un même objectif : éradiquer Daesh et non pas des intérêts géostratégiques des uns et des autres, qui ne convergeront jamais de toute façon. Le réalisme géopolitique guide les alliances et pour les Russes leur soutien sera indéfectible pour la solution politique qui défendra leurs véritables intérêts. La Turquie, elle, cherche à jouer pleinement son rôle de pivot entre l’Orient et l’Occident. Quant aux Américains, il est primordial pour eux de préserver leur influence dans la région en contrant le fait que la Russie devienne un «Game changer» au Proche-Orient. La crainte dans une telle situation sera de renforcer l’avantage
du défenseur encerclé comme précisé plus haut. 


L’enjeu pour les Américains

L’enjeu se révèle particulièrement important pour les États-Unis, il s’agit de la crédibilité du pays de l’oncle Sam au Proche-Orient. Depuis le début du conflit en Syrie et suite aux échecs essuyés en Irak, Barack Obama a manifesté une grande réticence quant à l'intervention en Syrie. Une réticence fondée, aussi, sur une divergence de points de vue entre Washington et ses principaux alliés dans la région. La demande du cessez-le-feu a été formulée à plusieurs reprises par le secrétaire d'État américain John Kerry, partisan d’un rapprochement avec la Russie. Dans ce cas précis, on est en présence d’une Amérique qui privilégie la voie des pourparlers et de la négociation diplomatique. Une Amérique qui se préoccupe, dans le cas syrien, contrairement au cas irakien, des conséquences des bombardements russes sur les civils.


L’enjeu pour les Russes

Quand on analyse la géographie des opérations militaires russes, on constate que la Russie a concentré ses frappes sur l’axe nord-sud Alep-Damas. Maitriser cet axe représente un préalable indispensable à la récupération des territoires sous contrôle de Daech et constitue le point de départ pour la domination de la partie Nord-Ouest de la Syrie. Les lieux des frappes montrent que Moscou considère tous les opposants au régime de Bachar Al-Assad comme des terroristes, et adopte de fait la même approche contre tous. Sur un plan tactique, la Russie véhicule l’idée d’un duel entre la Russie et le terrorisme international où la Russie tient la tête d’affiche et veut s’ériger en rempart contre le djihadisme. Moscou reste donc fidèle à la grille d’analyse de la conflictualité adoptée depuis le début de la crise syrienne, à savoir qu’il s’agit d’une montée djihadiste internationalisée, contrairement aux Occidentaux qui y voient une guerre civile issue des révolutions arabes.


L’enjeu pour les Turcs

Au début de la crise syrienne, le soutien d'Ankara aux opposants de Bachar Al Assad renforçait le sentiment que la Turquie cherchait à s'affirmer comme une puissance sunnite. Certes, la Turquie est l'un des pays musulmans sunnites les plus influents, mais placer le sunnisme au cœur de sa politique a exacerbé les tensions au niveau régional. L’instabilité croissante au Moyen-Orient depuis 2010 a affaibli la position régionale de la Turquie. Ankara a perdu de gros contrats en Libye, ainsi que l'accès à d'importantes routes commerciales suite aux conflits en Iraq et en Syrie et l’accueil des réfugiés lui a déjà coûté plus d'un milliard de dollars. Sur un autre plan, la Turquie est incapable d'imposer seule une solution diplomatique ou militaire à la crise syrienne et de relever le défi de contenir les répercussions d’une pareille crise sur son économie et sa propre sécurité.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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