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Des actions plurielles vers la fédération des dynamiques et l’unicité de l’objectif

Depuis un peu plus d’une décennie, l’opinion publique maghrébine (au pluriel) tente de distinguer, parmi les différentes dynamiques, la voix et le rôle des sociétés civiles maghrébines dans le projet d’unification du Maghreb. Plusieurs initiatives ont abondé dans le sens de l’union et sous différentes formes. Cependant, cette multiplicité d’angles d’approche ne signifie pas que l’on soit arrivé au degré d’une force de pression et d’influence sur la décision officielle. Il est probablement urgent de passer à une vitesse supérieure dans la construction de l’action civile maghrébine. L’unicité de l’objectif, à savoir le Maghreb uni et démocratique, doit prendre le pas sur toute autre considération de quelque nature qu'elle soit.

Des actions plurielles vers la fédération des dynamiques et l’unicité de l’objectif

L’action civile maghrébine : le constat
Il est important de rappeler l’aspect hétérogène des sociétés civiles maghrébines selon le contexte historique et institutionnel de chaque pays. Cela constitue le principal obstacle pour le lancement de toute action commune forte et efficace. À cet égard, nul ne peut contester le dynamisme des ONG marocaines depuis trois décennies, et ce malgré les difficultés et les pressions qu’elles peuvent affronter. Elles restent tout de même pionnières dans plusieurs domaines. À l’opposé, la Libye d’avant la révolution de 2011 abolissait purement et simplement toute action ou initiative d’ordre civil. Pour les autres pays, la Tunisie en premier lieu, la vague des soulèvements de 2011 a permis une renaissance salutaire qui a, plus ou moins, contribué à faire bouger les lignes face aux systèmes politiques. L’exemple du quartet tunisien, prix Nobel 2015, reste le plus éloquent pour notre sujet. Par ailleurs, et pour redynamiser le chantier unioniste maghrébin, l’action commune de plaidoyer reste faible et inefficace. Son caractère sectoriel et individualiste la cantonne dans la célébration et la lie à la conjoncture diplomatique.

La flamme maghrébine demeure surtout ravivée par les associations de jeunes. De par leur maitrise des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de l’information, elles ont réussi à créer une dynamique, soutenue et continue, pour faire avancer sérieusement le débat sur la nécessité urgentissime de l’intégration maghrébine. Ce qui parait logique vu les défis immédiats qu’affronte la jeunesse à cause des déficits socioéconomiques du Maghreb, et ce faute d’Union. Elles sont également éprises d’espoir et d’ambition, et elles ne supportent aucun poids historique pouvant inhiber leur pensée ou action.
D’autres tentatives ont vu le jour grâce aux entrepreneurs maghrébins, ce qui a contribué au lancement récent de la Banque maghrébine d'investissement et de commerce extérieur (BMCIE) à Tunis. Reste à savoir si cette structure pourra passer outre les blocages politiques pour décliner efficacement ses programmes et atteindre ses objectifs.
Pour le reste, les ONG des pays du Maghreb sont concentrées sur des sujets d’ordre local ou tout au plus national, ou bien elles se ruent sur la propagande officielle pour formuler des positions destinées à l’étranger. Rares sont celles qui s’activent pour l’entretien de l’idée unioniste maghrébine et, partant, pour l'initiation libre d'un système maghrébin de valeurs dépassant tous les clivages existants et imaginaires.

Les principaux défis
Depuis une vingtaine d’années, il a été amèrement constaté que l’objectif prioritaire des pays du Maghreb n’était ni l’union ni la démocratie. La lutte contre le terrorisme, la réduction de la dette, le développement des infrastructures et la stabilisation géostratégique des alliances régionales et internationales ont renvoyé aux calendes grecques le maintien d’une dynamique unioniste maghrébine. S'ajoute à cela la crise de la démocratie représentative dans tous les pays du Maghreb, la société civile (au pluriel également) se retrouvant contrainte de suivre la cadence officielle.
Par conséquent, le projet du Maghreb uni et de la démocratisation de ses instances ont dû subir les aléas des stratégies des États-nations. Et les ONG unionistes se contentaient d’actions ponctuelles sans réelle influence sur le cours des évènements pouvant enclencher un processus irréversible d’intégration maghrébine à tous les niveaux.
Par ailleurs, le Maghreb, en tant que projet sociétal et civilisationnel, n’est pas suffisamment visible chez les citoyens maghrébins. Il est considéré comme un objectif non prioritaire face à la situation sociale des populations. L’aspect maghrébin des actions est présent principalement au sein des cercles élitistes et corporatistes. Les professions libérales ou autres organismes culturels et sportifs tentent de garder le cap, malgré les défis sécuritaires et les contraintes politiques. La société civile maghrébine est confrontée ainsi à un double enjeu : garder vivante la flamme de l’union, au sein des sociétés, aussi longtemps que possible, malgré la conjoncture de crise permanente. Et continuer d’exister face aux systèmes politiques qui ne semblent pas prêts à évoluer vers une doctrine plus unioniste et moins chauvine. L’idée qui doit donc mobiliser la société civile maghrébine unioniste est celle de contribuer au développement rapide d’une conscience maghrébine transcendant les particularismes et les chauvinismes. Ce challenge est une condition préalable à la responsabilisation des dirigeants dans la construction d’un ensemble maghrébin intégré et démocratiquement institué....


Société civile maghrébine : atouts et stratégie à adopter S’il y a un espace dans le monde qui présente presque tous les atouts possibles pour constituer un ensemble régional complémentaire, cohérent, autosuffisant, dynamique et viable, c’est bien le Maghreb. Et sur le plan culturel, ethnique et religieux, son homogénéité est quasi absolue. Ce qui est, en terre d’Islam, une chance et un atout considérables. Il est une raison à cela : Le Maghreb est un espace géohistorique qui a été façonné par une même stratification culturelle pour avoir absorbé les mêmes civilisations exogènes qui l’ont fécondé au cours des siècles.
Plus récemment, tant il est vrai que l’idéal démocratique demeurait au Maghreb un luxe conceptuel et ne couvrait aucune réalité vécue authentique, le «printemps maghrébin» a pu rappeler aux États du Maghreb le devoir de prendre un nouveau cap. Car au-delà de toute animosité ou compétition régionales commandées par des considérations historiques ou idéologiques, la prospérité et la stabilité de chaque pays maghrébin dépendent substantiellement de celles de son voisin immédiat.

La société civile a un rôle axial à jouer pour mobiliser les populations autour de cette interdépendance. Elle doit également mettre de côté toute velléité stérile et tout opportunisme indécent pour aller de l’avant vers la fédération des dynamiques et la complémentarité des stratégies. Avec des dynamiques communes, l’unification du Maghreb sera plus fédératrice. Cela permettra de soulever toutes les questions sensibles dont le poids historique handicape l’action des épris d’union. Les ONG du Maghreb sont appelées à jouer un rôle fondamental dans la mise en place d’un système/réseau d’associations qui sera le socle d’une société civile maghrébine commune digne de ce nom et qui pourra être un contrepoids organisé face aux divergences des États. Il doit devenir un espace de participation démocratique et d’émergence de citoyen(e)s orienté(e)s action civique, couvrant tout l’espace maghrébin et abolissant toute frontière. Il sera le noyau dur d’une masse critique sociétale capable d’orienter l’opinion publique vers le projet civilisationnel qui a toujours animé la région : l’Union maghrébine.
Tous les secteurs civils sont appelés à jouer ce rôle important dans l’élaboration et le développement démocratiques de l’idée maghrébine. Les ONG des droits de l’Homme, de l’éducation à la citoyenneté, de la sensibilisation aux droits économiques, politiques, sociaux et culturels, les syndicats, les chercheur(e)s et les universitaires, les journalistes, les auteur(e)s, les poètes, les sportif(ve)s, les étudiant(e)s, les blogueur(se)s et les activistes virtuel(le)s déclaré(e)s et reconnu(e)s. Les politologues, les économistes, les sociologues, les historiens et les géographes dont l’indépendance idéologique et la rigueur scientifique ne sont pas à prouver doivent produire et faire rayonner toutes les bases scientifiques nécessaires à la montée en puissance du projet maghrébin commun, et de l’immédiateté et l’urgence de l’intégration des pays du Maghreb.

Les chefs d’entreprises ont un rôle clé à jouer dans cette dynamique. Les intérêts qu’ils peuvent tirer de l’intégration économique maghrébine sont si évidents. Ils doivent par conséquent faire du pragmatisme économique un atout de solidité de l’action civile. Cela permettra à son plaidoyer d’infléchir les positions officielles, d'aller de l’avant vers une vraie unité maghrébine et sortir ainsi des déclarations de bonnes intentions vers des actions concrètes sur le terrain politique et économique.
Enfin, cette fédération de dynamiques civiles ne pourra être efficace que si elle est indépendante politiquement, dans la mesure où elle ne s’inscrit dans aucune compétition pour le pouvoir et ne représentera ni ne cautionnera aucune orientation idéologique.
En revanche, l’essence même de l’objectif de cette stratégie sera éminemment politique par la réalisation de l’aspiration des Maghrébins à une vie authentiquement démocratique dans une Union maghrébine dont les institutions seront démocratiquement constituées. Les maghrébin(e)s doivent inventer leur propre champ de pensée et de dialogue et réhabiliter ainsi la noblesse du débat des idées et la construction commune de l’avenir, du progrès et de la prospérité du Maghreb. 

Par Rabii Leouifoudi,
chercheur en économie territoriale
et en géopolitique

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