Par définition, l’entreprise libérée signifie une suppression de la hiérarchie, une autonomie des salariés et une gestion collaborative incluant l’ensemble des ressources humaines. Le terme d'«entreprise libérée» a été popularisé par Isaac Getz, professeur à l'ESCP Europe, à partir de 2009. Il définit l’entreprise libérée comme étant «une entreprise où la majorité des salariés peuvent décider de toutes les actions qu’ils considèrent eux-mêmes comme étant les meilleures pour l’entreprise sans qu’elles soient nécessairement imposées par les décideurs ou une quelconque procédure». Mais ce modèle ne fait pas encore l’unanimité chez les experts. Certains évoquent une nouvelle idéologie managériale, d’autres parlent de buzz médiatique mettant en avant les limites de ce modèle de gestion.
En pratique, l’entreprise libérée favorise une nouvelle culture managériale basée sur le collectif, le collaboratif et le travail d’équipe. Par opposition à l’organisation «classique» de l’entreprise, le développement de cette notion a donné naissance à une perspective expliquant que la présence de la hiérarchie, de procédures et de contrôle avait pour conséquence une démotivation naturelle et, de ce fait, devenait un frein à la performance, explique Jihane Benslimane, directrice Pôle conseil et formation, HERA Consulting.
Dans une structure libérée, le salarié se trouve au cœur de toutes les stratégies de développement. L’idée est de responsabiliser les collaborateurs de la hiérarchie et du contrôle, leur donner une plus grande marge d’action et les libérer dans l’objectif de rendre l'entreprise plus performante. Le but est de les rendre responsables en leur accordant largement confiance et autonomie, au point même de leur permettre de définir leur propre système de rémunération ou de choisir eux-mêmes leurs fournisseurs ou clients. À ce niveau de gestion, on peut s’interroger sur le rôle que pourrait avoir le manager au sein de cette organisation. Certains experts parlent même de la disparition du poste de manager, dans la mesure où les salariés seront responsables et autonomes ! En effet, basée sur un modèle de management «plat», l’entreprise libérée va certainement créer un nouveau modèle de gouvernance qui va permettre «de réinventer et de repenser le management et le positionnement de l’entreprise.
Il nécessite que les managers fassent un travail sur eux-mêmes pour évoluer vers une posture de leader et parvenir à veiller sur le bien-être des collaborateurs et la performance du faire ensemble», fait remarquer Hanane Aït Aïssa, DG de NGH Développement.
Attention au laisser-aller et à la désorganisation !
Ce style de management fait ses premiers pas chez nous. L'écosystème marocain est certes constitué autour de l'entreprise classique, pyramidale, hiérarchique et bureaucratique. Cependant, parmi la nouvelle génération de managers, on constate une nouvelle vision de la gestion d’entreprise.
Selon plusieurs avis, on va, doucement, mais sûrement, vers un management participatif qui est la base d’une
entreprise libérée. Cela s’applique beaucoup plus dans les start-ups de taille moyenne, par nature innovante et employant des collaborateurs jeunes et bien formés.
Le management libéré peut également être une solution pour motiver les salariés et pour les impliquer dans le développement des perspectives de l’entreprise, mais il faut que la responsabilité soit parfaitement partagée : pour le salarié, ne pas y voir une opportunité de laisser-aller ou de désorganisation, et le manager d’agir comme un leader libérateur et fédérateur. «Lorsque ce management participatif est déjà courant dans les pratiques, que les salariés sont dotés d’un fort savoir-être, d’un important sens des responsabilités et d’une forte mobilisation et autonomie alors le management peut tendre à devenir “libéré”», résume Jihane Benslimane.
Déclaration de Hanane Aït Aïssa, coach exécutive et directrice générale NGH Développement
«Le concept d’entreprise libérée a été théorisé par le penseur et conférencier français Isaac Getz sur la base de plusieurs recherches et études auprès des chefs d’entreprises dans différents secteurs d’activités dans différents pays. Ouverte à son écosystème, l’entreprise libérée est basée sur un management “plat” ou en réseau ce qui favorise le développement de l’autonomie, la collaboration et l’intrapreuneuriat des collaborateurs. Ce modèle de gouvernance permet de réinventer et de repenser le management et le positionnement de l’entreprise. Ce mode de gouvernance et de management s’appuie sur un engagement du chef d’entreprise et de tous les collaborateurs. Il nécessite que les managers fassent un travail sur eux-mêmes pour évoluer vers une posture de leader pour parvenir à veiller sur le bien-être des collaborateurs et la performance du faire ensemble. L’entreprise libérée veut dire aussi une collaboration entre les managers et les collaborateurs dans la définition de la stratégie et des plans d’action. Ainsi, les projets stratégiques (investissements, lancement de nouveaux produits…) sont initiés et gérés directement par les équipes, et les collaborateurs ont une marge de manœuvre dans le choix de leurs projets, collègues, managers… ils sont donc amenés à évoluer avec leurs managers et à échanger davantage sur la collaboration et sur l’organisation. Dans ce mode de management, les promotions et les rémunérations sont initiées et discutées par les collaborateurs sur la base de primes individuelles, primes performance d’équipe et primes sur la rentabilité globale de l’entreprise. Dans le monde, de grandes entreprises ont initié le management libéré comme
Airbus (qui a lancé son Usine du futur sous le modèle libéré), Société Générale, Décathlon et BNP Paribas.»
Entretien avec Jihane Benslimane, directrice Pôle conseil et formation, HERA Consulting
«Nos managers doivent avoir confiance en leurs équipes et leurs compétences»
Éco-Emploi : L'entreprise libérée veut-elle dire la fin du rôle du manager dans sa conception «classique» ?
Jihane Benslimane : Le management en entreprise libérée, appelé également le management coopératif, existe depuis 1988 et connait une grande médiatisation depuis la sortie de plusieurs ouvrages en 2009. Celui-ci existe déjà dans certaines entreprises et promet de booster la performance de l’entreprise en «libérant» les employés de la hiérarchie et du contrôle. Le développement de cette notion a donné naissance à une perspective expliquant que la présence de la hiérarchie, de procédures et de contrôle avait pour conséquence une démotivation naturelle et de ce fait devenait un frein à la performance. L’objectif de ce type de gestion est de responsabiliser les salariés quant au résultat de leur travail en leur donnant la possibilité de s’organiser librement tout en nommant des leaders, de supprimer les managers intermédiaires et de principe de subsidiarité.
Notre écosystème se prête-t-il à ce type de management ?
Pour que ce type d’entreprise puisse évoluer dans notre écosystème, il est essentiel de passer d’un management participatif à un management coopératif. Aussi, les dirigeants dans ce dernier doivent avoir confiance en leurs équipes et leurs compétences. Or, dans les entreprises de manière générale nous sommes encore en phase de mutation d’un management directif à un management situationnel qui implique entre autres un management participatif. Lorsque ce management participatif est déjà courant dans les pratiques, que les salariés sont dotés d’un fort savoir-être, d’un important sens des responsabilités et d’une forte mobilisation et autonomie alors le management peut tendre à devenir
«libéré».
Quelles sont les limites de ce style de management ?
Ce management donne lieu à plus d’autonomie et de confiance aux collaborateurs en supprimant les contrôles inutiles, le poids de la hiérarchie et les coûts du management intermédiaire.
Pourtant il existe encore des questions sans réponses et des limites à ce type de gestion comme :
• Moins de fonction support suppose moins d’embauche et moins d’importance à la présence d’un manager intermédiaire dans une structure.
• Plus de présence de jeux politiques en interne entre salariés.
• Pas de besoin en gestion d es ressources humaines et par conséquent moins de veille en gestion des conflits, en anticipation des besoins en recrutement, en dialogue social…
• L’absence d’un système structuré pour l’acquisition et l’évolution des compétences (la formation dans une entreprise libérée existe, mais est souvent externalisée)
• Pas de visibilité sur la gestion des carrières.
• L’incapacité pour l’entreprise à réagir et s’adapter vite dans un environnement complexe et incertain.
• Le manque d’anticipation budgétaire et pas de vision sur les résultats comptables.
Des salariés autonomes, libres d'innover, organisant leurs horaires, fixant personnellement les objectifs... Est-ce juste un rêve ou cela peut-il devenir une réalité ?
En dehors des principaux critères liés à l’autonomie des salariés, une étude des pratiques de certaines «entreprises libérées» a pu permettre de définir différentes formes de participation six en tout : la participation aux profits ; La participation à la propriété de l’entreprise ; La participation à la prise de décision de gestion ; La participation à l’amélioration des conditions de travail ; La participation à la dynamique de développement de l’entreprise ; La participation à «l’ordre civique» de l’entreprise, c’est-à-dire à sa responsabilisation.
Bien qu’il n’y ait pas eu d’études concluant que ce type de management liant l’autonomie au bonheur des salariés et aux résultats peut mener à la performance optimale, quelques entreprises à succès pratiquent le management libéré (Zappos, filiale d'Amazon en France et Mondragon en Espagne).
