Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Expansion économique, puissance moyenne : un monde en perpétuel changement ?

Bouchra Rahmouni BenhidaProfesseur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Expansion économique, puissance moyenne : un monde en perpétuel changement ?

Lorsqu’un pays se lance dans un processus d’industrialisation, il s’engage dans la voie du rattrapage technologique et réduit, ainsi, le fossé qui le sépare des puissances émergentes et des puissances traditionnelles. Si, en plus, le pays dispose d’atouts tels une population importante et homogène, une intelligence sociale, un esprit ouvert aux innovations, il pourra jouer un rôle d’envergure dans le changement de l’ordre mondial.

Plus d’un politologue avance que la course au développement économique constitue un facteur déstabilisant de l’équilibre mondial aussi bien sur le plan géoéconomique que sur le plan géopolitique. Le fait est que l’industrialisation bouleverse l'ordre des puissances. Immanuel Wallerstein, un important analyste du «système monde», supposait dans son ouvrage «The Politics of World Economy, the States, the Movements and the Civilizations», que l’évolution capitaliste détermine la dynamique de changement du centre du monde. Selon lui, la puissance est un produit de l’expansion économique. La Chine, le Brésil et l’Inde ont émergé et produisent désormais des biens à haute valeur ajoutée qui concurrencent directement les produits des pays développés. Certes, ces pays se trouvent actuellement dans le tournant de Lewis (Lewis turning point : Arthur Lewis est un Prix Nobel d’économie qui a conceptualisé le modèle de basculement économique d’un pays émergent comme conséquence d’une main-d’œuvre qui se raréfie, entraînant une augmentation rapide des revenus qui constituent les prémices de la réduction des marges bénéficiaires des entreprises donnant lieu à une chute de l’investissement), toutefois d'autres pays prennent le relais.

Les CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie, Afrique du Sud), les BENIVM (Bangladesh, Éthiopie, Nigeria, Indonésie, Vietnam et Mexique) sont des acronymes pour désigner et classer les émergents de demain. Sur la base de critères économique, politique et géopolitique plusieurs pays tels le Bangladesh, l’Éthiopie, le Nigeria, l’Indonésie, le Vietnam et le Mexique figurent régulièrement dans les classements des nouveaux pays émergents établis par le Boston Consulting Group ainsi que la plupart des études économiques à l’horizon 2050. Tant celles de HSBC que de PricewaterhouseCoopers sont unanimes pour les présenter comme les futurs marchés émergents. Face au G7 (comprenant les sept premières économies mondiales que sont les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Canada), PricewaterhouseCoopers dans «le monde en 2050», mettait en évidence les «E7» regroupant les économies émergentes les plus importantes en 2050 (la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, l’Indonésie, le Mexique et la Turquie). Les potentialités de ces pays nous conduisent à penser qu'à terme, ils pourraient atteindre le rang de puissance moyenne, c'est-à-dire d'États qui, sans être une grande puissance, détiennent une influence relative sur la scène internationale.

Les futures économies émergentes disposent de plusieurs atouts

Toujours selon le rapport World in 2050 publié par PricewaterhouseCoopers, d’ici à 2050, l’Indonésie, le Nigeria et le Vietnam pourraient connaître une croissance économique spectaculaire. 

En termes démographiques, selon le CIA World Factbook 2013 qui porte sur une projection des populations à l’horizon 2030 et 2050 des BENIVM, ces derniers appartiennent aux quatorze pays les plus peuplés du monde et ont une dynamique démographique importante.

À eux seuls, ils représentent un ensemble de 1 milliard d’habitants qui se répartit principalement en Asie et en Afrique. La croissance de leur population sera près de deux fois supérieure à celle des BRIC d’ici à 2030.
Ces pays méritent bien toute l’attention puisque leurs stratégies de développement englobent aussi bien des desseins économiques que de souveraineté. Leur émergence ne manquera pas d’avoir des implications importantes pour l’ensemble des pays de la planète et pour leur stratégie de croissance. Sur le plan économique, ces changements impliquent, pour les pays en voie de développement, une concurrence potentielle plus forte dans les activités à haute intensité de main-d’œuvre, ce qui nécessitera, à terme, un ajustement des structures productives et un renforcement de la compétitivité.

Sur le plan géopolitique, depuis quelques années, le monde assiste à l’émergence déstabilisatrice de nouvelles puissances, motivées par des dynamiques de croissance. L'ordre international a subi et subira encore une profonde transition. En d’autres termes, on se trouve face à un déséquilibre qui implique une redistribution des pouvoirs suite à l’apparition de puissances moyennes sur le devant de la scène. Aujourd’hui, la survie d’une puissance et son positionnement sur l’échiquier international ne dépendent plus uniquement de sa force militaire et de son poids politique, la conception westphalienne de la souveraineté étatique s’en trouve affectée. Dans cette dynamique et dans un contexte de plus en plus multipolaire et multi-enjeux, le monde court le risque de se complexifier, laissant présager un avenir incertain des relations internationales.

À ce niveau, il convient de souligner que le monde est organisé autour de quatre structures : la superpuissance dominante qui dispose des plus grandes ressources militaires et économiques ; les grandes puissances qui sont des rivales potentielles de la superpuissance ; les puissances moyennes et régionales qui suivent la ligne directrice posée par la superpuissance ; et enfin, les petites puissances qui jouent un rôle limité au sein de leur environnement régional. Il est donc judicieux de ne pas s’intéresser à la seule analyse des puissances régionales émergentes, mais de s’intéresser également aux puissances moyennes pour comprendre ce monde en transition. En ce 21e siècle, il est capital de distinguer entre les puissances moyennes traditionnelles et les puissances moyennes émergentes. Les puissances moyennes émergentes (exemple : Turquie, Malaisie, Argentine, Nigéria, Afrique du Sud) sont désireuses de dominer, diriger et participer activement à la création de structures régionales et sont prédominantes dans leur environnement immédiat et régional. Alors que les puissances moyennes traditionnelles (exemple : Canada, Australie, Pays-Bas, Norvège, Suède, Danemark) s’alignent sur les positions défendues par la superpuissance.

Les puissances moyennes en devenir sont en plein essor et présentent des opportunités d’investissement énormes. Par conséquent, on assiste au développement dans plusieurs pays d’une diplomatie tournée vers les pays émergents de puissance moyenne du continent asiatique et du continent américain, autres que la Chine, l’Inde et le Brésil. Qui sait, peut-être qu'à terme, l’exercice par les puissances moyennes émergentes d’influences à leur niveau régional conduirait inéluctablement au phénomène de multipolarisation des centres de gravité mondiaux ? Une chose est sûre, le système international ne cessera jamais de se reconfigurer au gré de l’essor de nouveaux arrivants sur la scène internationale.


Nouvelles puissances africaines

Longtemps assimilée aux images de guerre et de pauvreté, l’Éthiopie fait désormais peau neuve et entre dans le club des futurs émergents. Le pays connaît depuis une dizaine d’années un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) qui tourne autour des 10%, l’un des plus élevés d’Afrique. Ces trois dernières années, ce taux est resté très stable, malgré la crise économique mondiale : 8% en 2010, 7,5% en 2011 et 7% l’année dernière, selon les estimations du CIA World Factbook. L’Éthiopie a de nombreux atouts tels que sa démographie, et donc sa population jeune, un bon niveau d’éducation et de bonnes infrastructures. Bien entendu, la puissance économique de ce genre de pays ne va pas sans une certaine influence géopolitique.
Au Nigéria, la croissance est fortement soutenue par l’exportation des produits pétroliers et une classe moyenne qui devient de plus en plus dynamique en termes de consommation et d’investissement. Quant à l’Éthiopie, pays de 94 millions d’habitants se situant en Afrique de l’Est, la croissance économique s’y établit autour de 10% par an. Le pays regorge de potentialités naturelles et humaines lui permettant de devenir une puissance régionale quant à l’approvisionnement de la région en électricité et par conséquent son rôle croissant dans l’amélioration de la rentabilité agricole et industrielle.


CIVETS et BENIVM

Depuis longtemps, les pays émergents les plus importants se sont regroupés sous le sigle BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). D’autres pays récemment émergents viennent aussi de se regrouper sous le sigle «CIVETS». Rendu public par Michael Geoghegan de la Banque HSBC lors d'un discours devant la Chambre du commerce de Hong Kong en avril 2010, six États en font partie : Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud. Ce regroupement a comme point commun une population jeune et nombreuse. D’après une étude de l’Economist Intelligence Unit, du magazine britannique «The Economist», ces CIVETS apparaissent comme des destinations séduisantes pour les investisseurs et devraient connaître une croissance de 4,5% par an au cours des deux prochaines décennies. Tous ont une population jeune et nombreuse, de 46,9 millions en Colombie à 240 millions en Indonésie.
Introduit par Laurence Daziano, maître de conférences en économie, les pays sous le nouvel acronyme «BENIVM» (Bangladesh, Éthiopie, Nigeria, Indonésie, Vietnam, Mexique) disposent de perspectives de croissance attractives et pourraient bien devenir les pays émergents de demain. Elle ajoute aux quatre pays régulièrement cités comme pays émergents par les banques d’investissement le Bangladesh et l’Éthiopie qui ont «une forte croissance démographique accompagnée d’une urbanisation accélérée, un potentiel de croissance élevé et des économies déjà diversifiées et industrielles. Le Bangladesh, l’Indonésie et le Vietnam sont les trois pays émergents qui ont suivi un même chemin dans la mondialisation : un rattrapage économique avec de faibles salaires, une monnaie sous-évaluée afin de soutenir les exportations et l’accumulation de réserves de change qui permettent, à terme, de financer les infrastructures.

Lisez nos e-Papers