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Histoire d’une union inachevée

À l’occasion de chaque anniversaire de la naissance de l’UMA, le 17 février 1989 à Marrakech, se bousculent, dans les esprits épris de l’unité maghrébine, ambitions et déceptions face à la triste réalité du projet unioniste maghrébin. Vingt-sept ans d’un processus qui n’a abouti à aucun bâti sur le chantier ambitieux qu’est l’Union maghrébine.

Histoire d’une union inachevée

Le constat est tellement criant : l’Union du Maghreb arabe (UMA) en tant que telle a échoué. Échec dans le lancement, dans l’impulsion de l’énergie cinétique de la construction et dans l’accompagnement des évolutions politiques et sociétales dans la région. Sans parler de l’absence d’une position maghrébine commune à l’encontre des défis permanents : crises économiques successives, chômage massif des jeunes, menaces sécuritaires ou autres conflits régionaux historiques.

Devrions-nous alors nous engluer dans des tentatives d’analyse et d’explication d’un vécu douloureux pour les peuples et surtout pour les jeunes maghrébins porteurs du rêve de l’Union ? La jeunesse maghrébine, elle, a toujours préféré l’espoir au défaitisme, l’action à l’attentisme, la coopération à la divergence. Pour elle, le Maghreb uni a été et est un préalable au développement des États-nations, un espace de liberté pour les peuples et un projet de civilisation face aux invasions et autres colonialismes prônant l’éclatement au lieu de l’unification des destins des peuples du Maghreb.

Ainsi, par et pour la jeunesse, l’espoir reste vivant de voir se concrétiser l’Union maghrébine sous de nouvelles formes institutionnelles démocratiques et inclusives. La Nation maghrébine est en train de se construire. Elle verra le jour grâce à la pugnacité et l’ambition sans fin de sa jeunesse.

La jeunesse, pionnière du militantisme maghrébin dès le début du 20e siècle L’histoire maghrébine de la première moitié du 20e siècle est riche en enseignements ayant trait à l’implication de la jeunesse dans le lancement des jalons de l’unification des peuples maghrébins. Ainsi, a vu le jour à Paris dès 1928 l’Association des étudiants musulmans nord-africains (AEMINA) qui permit à tous les étudiants maghrébins présents en France de se regrouper au sein d’une organisation de lutte politique autour de l'idée-force d'indépendance. L’AEMNA a réussi à leur faire prendre conscience de leur commune culture et de la nécessité de construire un Maghreb uni. Elle a ainsi été un cadre d'action et de pensée où se préparèrent les leaders nationalistes et les futurs cadres et dirigeants des premiers gouvernements maghrébins issus des indépendances.

Contre la domination coloniale européenne, l’action commune des jeunes maghrébins, entre les deux grandes guerres, a certes côtoyé et suivi des symboles emblématiques tels que Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, Omar El Mokhtar, Allal El Fassi, Messali Lhadj, Ferhat Abbas ou Ferhat Hachad. Les jeunes maghrébins après la Seconde Guerre furent également des leaders incontestables de leur génération pour l’indépendance et la démocratisation de leurs pays. Ils n’ont été, tout au plus, que trentenaires, les Hocine Aït Ahmed, Mehdi Ben Barka, Lahbib Bourguiba ou autre Mokhtar Ould Dadah.

Rappelons-nous de l’action conjointe des partis politiques nationalistes maghrébins pour l’indépendance de leurs pays. N’y a-t-il pas eu mobilisation générale du peuple marocain, son Roi feu Mohammed V et des partis nationalistes, pour l’indépendance de l’Algérie? La jeunesse marocaine fut aux avant-postes à cet égard. Les Jeunes nationalistes tunisiens ont également organisé à leur niveau une chaîne de soutien logistique pour la résistance algérienne face aux forces d’occupation. L’histoire gardera que les chants nationalistes de l’époque ont été maghrébins et non propres à un seul pays, et que la jeunesse casablancaise s’est spontanément insurgée lors de l’annonce de l’assassinat du syndicaliste tunisien Ferhat Hachad, en décembre 1952 à Radès, par les forces coloniales. Par bien des aspects, on assistait à cette époque à une véritable foi de la part des jeunes en une Union maghrébine basée sur l’émancipation des peuples, la démocratisation de la vie politique et la communauté du destin. Revisitons pour cela les documents de la Conférence de Tanger organisée par le Parti de l’Istiqlal marocain, entre le 27 et le 30 avril 1958, et à laquelle ont assisté tous les partis nationalistes maghrébins et les représentants de la lutte algérienne pour l’indépendance. Les participants ont déclaré en guise de clôture de leur rassemblement : «la Conférence de Tanger est consciente d'exprimer la volonté unanime des peuples du Maghreb d'unir leur destin, convaincue que le moment est venu de concrétiser cette volonté d'union dans le cadre d'institutions communes afin de leur permettre d'assumer le rôle qui leur incombe dans le concert des nations».

Seconde moitié du 20e siècle, une période maghrébine en dents de scie

La jeunesse maghrébine a toujours voulu unir le Maghreb et unir les jeunes avec l’idée du Maghreb. Cependant, dès l’aube des indépendances maghrébines, le temps de l’action commune et de la politique pour les peuples a laissé la place à une période de lutte des pouvoirs pour le pouvoir. Crises et conflits se succédèrent, de malentendus en ruptures, d’action maladroite à réaction tactique. L’avenir de la jeunesse maghrébine éprise d’union s’est retrouvé ainsi otage des calculs politiciens, des stratégies liées à la guerre froide et surtout de l’extinction de la flamme maghrébine qui mettait, à une époque, le projet maghrébin devant les ambitions nationales aiguës. Dès 1963, une guerre, certes courte, mais dont les conséquences subsistent de nos jours, a éclaté entre le Maroc et l’Algérie sur fond de divergences autour des frontières héritées de l’époque coloniale. Les racines de cette crise n’ont toujours pas été traitées cinquante-trois ans après, faute d’aptitude des deux pays à se mettre autour d’une table. Ils pourraient ainsi démystifier et assainir toutes cellules conflictuelles existantes. Il est temps pour les deux géants maghrébins de donner un nouvel élan à leur relation pour permettre à toutes les autres dynamiques maghrébines de redémarrer sur de bonnes bases. L’affaire du Sahara pourra ainsi sortir du blocage et trouver une sortie dans un cadre unificateur maghrébin. D’ailleurs, la création de l’UMA en 1989 allait dans ce sens et les jeunes maghrébins ont pu goûter pour une courte durée aux frontières ouvertes entre les cinq pays maghrébins. L’espoir de l’Union a pu vivre chez les peuples le temps d’une accalmie entre les États. Hélas, la dernière décennie du 20e siècle fut douloureuse pour la jeunesse maghrébine. Lourd tribut payé par les vies des jeunes algériens durant la lutte contre le terrorisme, fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie dès août 1994 et blocage des institutions issues du cadre de l’UMA. Cela dit, le Maghreb a toujours trouvé, au sein de sa jeunesse et quelle que soit la génération, un soutien indéfectible et une source d’énergie et d’espoir pour perpétuer le projet et en réinventer les paradigmes.

Le 21e siècle, que d’espoirs…
La fin du siècle précédant et le début de l’actuel ont donné lieu à des événements suscitant de l’espoir pour la cause maghrébine : le changement à la tête des États au Maroc et en Algérie ou le début d’une prise de conscience de la nécessité de changement politique en Tunisie ou en Mauritanie. En outre, l’annulation des visas entre l’Algérie et le Maroc n’a été suivie d’aucun autre signal sérieux vers l’aplanissement des différends et la réactivation de la Machine-Maghreb. L’UMA et ses instances quant à elles n’ont jamais pu rejouer leur rôle d’animateur de l’unification.
Mais il est des luttes qui en cachent d’autres. Car en filigrane et depuis les indépendances, la lutte des peuples maghrébins pour la démocratie, la liberté et la justice sociale n’a jamais cessé, et la jeunesse y a toujours joué les premiers rôles. Et comme si l’histoire avait voulu jouer un tour au Maghreb, une nouvelle génération jeune, porteuse des valeurs de démocratie, de liberté et surtout de l’espoir de l’Union maghrébine commença à s’organiser un peu partout en Europe et plus précisément à Paris. Elle lança des appels à l’Europe et aux États maghrébins pour sortir le Maghreb de sa léthargie et impulser une nouvelle dynamique de démocratisation, d’union et de développement axée sur les jeunes. Elle prévint par ailleurs contre les maux qui guettent la jeunesse maghrébine : faibles moyens destinés à son éducation, chômage massif et croissant, mouvances jihadistes prônant la violence au sein des sociétés, immigration clandestine de masse. Au total, un tableau inquiétant et éloignant tout épanouissement pour la jeunesse maghrébine, chez elle, à cause de l’immobilisme des États et faute d’alternatives crédibles à lui proposer. La période 2010-2011 est celle où le printemps maghrébin a pu, selon les pays, renverser, changer ou bousculer le paysage politique dans la région. Cela a, de nouveau, suscité l’espoir de la jeunesse du Maghreb pour qu’elle soit intégrée en tant qu’acteur politique à part entière dans la chose publique maghrébine. Démocratie, liberté et justice sociale sont les maîtres mots qui persisteront encore longtemps tant que le Maghreb ne connaîtra pas une vraie mutation vers l’Union irréversible, la démocratisation de ses instances et des institutions des États qui le composent et naturellement l’émergence d’une jeunesse à qui reviendrait un rôle prépondérant dans la construction de son avenir commun.

Faire de l'espace maghrébin une zone commune

La jeunesse maghrébine veut et peut s’employer sur plusieurs niveaux : l’ouverture des peuples et leur solidarité, la construction de nouveaux concepts d’institutions maghrébines basés sur la démocratie et l’inclusion des jeunes et de la société civile. L’urgence d’une nouvelle impulsion à la dynamique d’unification des peuples du Maghreb s’explique par l’aspiration des jeunes à vivre en paix dans le monde et dans leur région. La propagation incontrôlable des réseaux sociaux et son appropriation par les jeunes les aideront à être de plus en plus pris en compte dans les équilibres politiques au sein même des systèmes politiques maghrébins.

À ce niveau, la société civile marocaine, connue pour être active et entreprenante, peut donner un nouvel élan d’unité et de plaidoirie pour la démocratie, les droits de l’Homme, la liberté et la justice sociale. Cela paraît un préalable essentiel pour toute construction unificatrice solide et pérenne.
Si les instances représentatives officielles des États maghrébins semblent sombrer dans un attentisme stérile, le Maghreb se fait et se fera au quotidien sans attendre l'aval des États. La jeunesse du Maghreb, ses entrepreneurs, syndicalistes, scientifiques et toutes les composantes de la société civile ont pris conscience de la nécessité vitale de se fédérer dans des organisations communes. Les institutions maghrébines doivent prendre en considération cette nouvelle dynamique. Et l'une des orientations que le Maghreb officiel doit opérer est d’ouvrir ses instances représentatives aux représentants de la société civile et notamment des mouvements de jeunesse.

Car la jeunesse maghrébine a repris le flambeau des aînés réunis à la conférence de Tanger du 27 avril 1958. Et Tunis, qui a vu naître le printemps maghrébin, a abrité en avril 2011 une conférence de la jeunesse maghrébine lançant alors l’Appel de Tunis pour un Maghreb uni et démocratique : «La jeunesse maghrébine s’est toujours engagée et connaît aujourd’hui une reconnaissance. Elle est décidée à inscrire le projet d'un Maghreb uni et démocratique dans la réalité. En mettant en place une coordination d’organisations de jeunes maghrébins, réunissant associations et jeunesses de partis, cet objectif se réalise. La jeunesse considère ainsi que les conditions historiques sont désormais réunies pour que le projet maghrébin passe du stade des vœux et des proclamations à celui des actes et des réalisations». Aujourd’hui, la jeunesse maghrébine prend son destin en main et voit l'avenir du Maghreb dans l'union de toutes ses forces. Elle interpelle les gouvernements maghrébins pour inscrire leur engagement officiel pour l’édification d’un Maghreb uni et démocratique.

Elle s’est réjouie de voir le Royaume du Maroc interagir positivement dès 2011 à cet appel et inscrire dans le Préambule de sa nouvelle Constitution l'engagement suivant : «Se fondant sur ces valeurs et ces principes immuables, et fort de sa ferme volonté de raffermir les liens de fraternité, de coopération, de solidarité et de partenariat constructif avec les autres États, et d'œuvrer pour le progrès commun, le Royaume du Maroc, État uni, totalement souverain, appartenant au Grand Maghreb, réaffirme ce qui suit et s'y engage : Œuvrer à la construction de l'Union du Maghreb, comme option stratégique» ; ainsi que la Tunisie qui a voté en 2014 son texte suprême qui proclame dans le cinquième article «l’appartenance de la Tunisie au Maghreb arabe» et «œuvre pour son unité» et «prend toutes les mesures pour y parvenir». Et enfin, le projet de la Constitution algérienne proposée dernièrement au débat national et qui assure, dans son préambule, que l'«Algérie fait partie intégrante du Grand Maghreb». Nous espérons, cependant, que la Mauritanie et la Libye affirmeront cet engagement dans les prochaines révisions constitutionnelles.

Dans le monde où nous vivons et face à une Europe unie et puissante, les sociétés maghrébines et en premier lieu les jeunes doivent œuvrer sans tarder à accomplir le rêve historique qu’est la Fédération du Grand Maghreb. Les sociétés maghrébines connaissent un changement qui affecte en profondeur leurs modes de vie et d’organisation. Elles s’adaptent plus aisément aux différentes composantes culturelles qui les constituent : arabité, Islam, amazighité, judaïté, nomadisme, africanité et euroméditerranéité semblent fusionner le long de l’histoire maghrébine. Le succès du projet de civilisation que la jeunesse prône de toutes ses forces ne peut se consolider qu’au sein d’un Maghreb uni, démocratique et riche de toutes ses composantes. Il est temps par conséquent de travailler ensemble pour le lancement d’un nouvel ordre maghrébin basé sur la coopération, la solidarité, la libre circulation, la résolution pacifique des différends et le partenariat stratégique entre les cinq pays du Maghreb pour un meilleur avenir pour sa jeunesse. Les jeunes maghrébins y sont prêts et peuvent y contribuer activement dès lors que le Maghreb officiel sera conscient de la nécessité d’une telle approche. 

Rabii Leouifoudi,membre fondateur et ancien secrétaire général, en 2005 à Paris, de l’Union des jeunes euro-maghrébins (UJEM), ancien président fondateur de l’UJEM-Maroc et chercheur en économie territoriale et en géopolitique.

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