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Ils ne veulent toujours pas comprendre ?

Au terme du dernier conseil de Bank Al-Maghrib, nous avons eu droit à une surprise de taille, à savoir le relèvement du niveau de la réserve obligatoire. Cette décision est d’autant plus surprenante qu’elle va à contre-courant des dernières résolutions de la Banque centrale qui allaient toutes dans le sens du desserrement de la politique monétaire, dans le but de relancer une activité économique atone. Dans le même temps, l’Institut d’émission envoie un mémorandum au gouvernement, l’alertant sur le faible niveau de croissance. Or, cette nouvelle décision réduira la capacité des banques à distribuer des crédits, ce qui contractera la demande et donc la croissance. Allez comprendre !

Ils ne veulent toujours pas comprendre ?
Quand on veut une croissance forte, il faut accepter que celle-ci soit accompagnée d’inflation et de déficit budgétaire.

La chose et son contraire L’économie est peut-être la seule discipline où des économistes ont décroché le Prix Nobel, en affirmant, sur le même sujet, deux opinions diamétralement opposées. Du coup, certains peuvent avoir raison à un moment et d’autres, à l’opposé, avoir raison en même temps, en discutant du même sujet. Tout dépend du choix des indicateurs à commenter et de la manière de les analyser.
Et c’est là où arrivent les magiciens de l’économie pour faire dire à la réalité ce qu’ils ont envie de lui faire dire et qu’elle ne dit absolument pas. Tout le monde peut critiquer un bilan gouvernemental, mais on ne peut pas critiquer une politique dont on est l’un des principaux architectes.

À titre d’illustration, quand les responsables de Bank Al-Maghrib envoient un mémorandum au gouvernement pour le mettre en garde contre le faible niveau de croissance et lui reprochent sa focalisation sur l’amélioration du déficit budgétaire et de la balance des paiements, ils feignent d’oublier qu’il y a trois ans, ils avaient tiré à
boulets rouges quand ce déficit budgétaire avait atteint 7% du PIB et quand on était à moins de 3 mois de réserves de changes. On semble taire, quand on enfile le costume du donneur de leçons, que la focalisation quasi maladive de la politique monétaire sur la lutte contre l’inflation conduit inéluctablement, en l’absence de réformes structurelles, à une baisse d’activité mortelle pour la création d’emplois et la croissance.
S’il est vrai qu’on peut reprocher à ce gouvernement de ne pas mener des politiques économiques plus offensives en matière de réduction de chômage, il est tout aussi vrai qu’il n’est pas le seul à blâmer.
Faut-il rappeler que la politique économique a deux instruments,la politique budgétaire qui est entre les mains du gouvernement et la politique monétaire qui, de par les statuts de la Banque centrale consacrant son indépendance de l’exécutif, lui échappe complètement ? N’avons-nous pas à plusieurs reprises, dans ces colonnes, mis en garde contre une politique monétaire qui fait certes plaisir aux bailleurs de fonds internationaux, mais mine les leviers de croissance de l’économie marocaine ? Quand on veut une croissance forte, il faut accepter que celle-ci soit accompagnée d’inflation et de déficit budgétaire. Avons-nous le courage, dans ce cas, de faire face aux dictats du FMI ? Ou bien les mêmes «experts» monteront au créneau pour fustiger une politique économique qui déstabilise nos chers équilibres macroéconomiques ? Il faut choisir. Or il semblerait que nous ayons beaucoup de mal à le faire.

L’économie ne se décrète pas

Quand on se focalise sur les chiffres négatifs de la croissance et du chômage (que personne ne conteste), alors que les politiques budgétaire et monétaire menées par le gouvernement et la Banque centrale visaient l’amélioration du déficit public et du compte courant et la réduction de l’inflation, à la demande des agences de notation et des institutions financières internationales, on se départit de l’objectivité qu’on doit avoir quand on commente les comptes de la Nation. Rappelons que toutes les mesures prises par Bank Al-Maghrib pour réduire la tension sur les liquidités, qui a failli asphyxier l’économie, sont restées sans effets. Seule l’amélioration du compte courant, dont on vient de reprocher le redressement au gouvernement, a permis de réduire le déficit de liquidités, même si c’est à la faveur en partie d’éléments externes. Aujourd’hui, aux premiers signes d’amélioration de cette liquidité, le conseil de BAM prend une mesure de nature à lui porter un coup de massue, car cette détente n’est qu’à son début et tout déséquilibre des comptes extérieurs, qui a de fortes chances de se produire, nous ramènerait au point de départ.

Par ailleurs, le chantage au crédit fait aux banques, à travers la rémunération de la réserve obligatoire uniquement pour celles qui font des efforts en matière de distribution de prêts, montre que nous n’avons toujours pas compris que les banques distribueront des crédits quand l’économie réelle en a besoin.
Les pousser de la sorte est contreproductif et à terme dangereux pour leur solvabilité.
Précisons que quand bien même le crédit serait relancé, l’expérience historique a montré que celui-ci financerait rarement l’investissement et les secteurs productifs.

Au mieux, il ira financer la consommation à court terme, le déficit de trésorerie des entreprises ou l’immobilier, car moins risqués pour les banques qui doivent faire face à une montée des contentieux et à un durcissement des règles prudentielles. Brandir la stabilité macroéconomique aux étrangers comme signe de la solidité de notre économie et reprocher les conséquences de cette même stabilité au gouvernement rappelle étrangement la citation de Bossuet : «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes».
Sauf que nous déplorons à géométrie variable. 

Par Nabil Adel
M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.
[email protected]

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